Léonore Porchet contre Martin Candinas
Investir en 2021 dans des chars militaires, est-ce sensé?

Toutes les deux semaines, Léonore Porchet (Verts) et Martin Candinas (Centre) débattent de l'actualité. Aujourd'hui au programme: les investissements militaires acceptés mardi au Parlement.
Publié: 12.06.2021 à 12:12 heures
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Dernière mise à jour: 12.06.2021 à 13:11 heures
Sermîn Faki et Adrien Schnarrenberger

La semaine a été agitée au Parlement. Les votations de dimanche (5 objets!) sont dans tous les esprits, et l'augmentation de l'âge de l'AVS pour les femmes a été le gros sujet. Au point que les autres ont été éclipsés, dont le «message sur l'armée».

Mardi, les parlementaires ont pourtant passé plusieurs heures à débattre du projet, qui visait notamment à définir les contours du futur de l'armée: armement, immobilier et acquisition de matériel.

La Verte Léonore Porchet, qui faisait partie de la minorité de la Commission de la sécurité à proposer une non-entrée en matière, a choisi ce thème pour notre première édition de «Blick-Pong» face à Martin Candinas (Centre), 2e vice-président du Conseil national.

Blick: Madame Porchet, s'opposer à l'armée en 2021, n'est-ce pas de l'énergie perdue alors que la population a réitéré son soutien au modèle obligatoire en 2013 (73,2% de oui)? Quelles sont vos doléances? Vous avez le feu libre pour ouvrir le débat 😉.


Cyberattaques, influence et désinformation, terrorisme, catastrophe et situations d’urgence. Mais surtout les dangers climatiques et les pandémies. Ce sont les enjeux sécuritaires qui sont identifiés par le DDPS lui-même. Rien qui ne demande l'armée Suisse telle qu'elle est aujourd'hui: surarmée, obsolète et très polluante (220'000 tonnes de CO2/année contre 40'000 pour le reste de l'administration). Le «greenwashing» des communiqué de presse n'y change rien: l'armée suisse ne répond pas aux enjeux du XXIème siècle!

Les lignes de conflit se sont modifiées ces dernières années. Les menaces sont de plus en plus hybrides, multiples et beaucoup plus complexes. S'adapter est un vrai défi pour notre armée. La cheffe du DDPS Viola Amherd a par exemple déclaré que les enjeux autours de l'espace «cyber» avaient une importance capitale pour notre politique de sécurité.

Mais l'armée a aussi prouvé durant la pandémie qui est toujours en cours qu'elle était très bien préparée. Jusqu'à 6000 soldats ont été engagés en même temps et ont soutenu le système de santé de nombreux cantons. De dire que l'armée n'est pas adaptée aux défis du 21e siècle n'est non seulement pas juste, mais touche presque à la désinformation, ma chère Léonore!

Super que tu viennes sur le sujet de la mobilisation pendant la pandémie, cher Martin: après des dizaines d'années sans engagement, c'était l'occasion pour l'armée suisse de prouver son utilité.

Alors d'abord, soulignons que c'était pour un domaine exclusivement civil, donc des forces civiles auraient été mieux adaptées, et en plus il y a eu plusieurs problèmes: mobilisation tout d'abord trop importante (des jeunes qui jouent aux cartes dans des casernes au lieu d'être à leurs études), ensuite des plaintes de la part de soldats mobilisés mal encadrés et sans soutien psychologique, et par dessus le marché, des importants foyers de contamination dans certaines casernes 🤦‍♀️

De plus, quand on a proposé d'intervenir dans les EMS, où il y avait le plus de morts, l'armée avait «d'autres priorités». Mais tu as raison sur un point: le visage des menaces à changé. Et l'armée n'est manifestement pas la bonne réponse à ces risques élevés, en particulier sanitaires et environnementaux ➡️ c'est la société civile qui doit avoir ces moyens pour répondre aux (vrais) risques!

Tu as écrit tout à l'heure que l'armée devait se concentrer sur les nouvelles menaces comme les pandémies. Et maintenant tu viens tout à coup nous dire que cette mission doit être confiée à des civils! Cela montre bien que tu ne veux pas adapter l'armée, mais simplement la supprimer.

Nous ne devons pas faire l'erreur de penser qu'une menace remplace une autre. Elles s'additionnent, ce qui donne encore plus d'importance à l'armée, qui doit se déployer dans de nombreux domaines.

Deux points encore sur la mobilisation de notre armée durant la pandémie. Elle était unique. Aucune autre organisation peut déployer des milliers de personnes en l'espace de quelques semaines. Le fait qu'elle y soit parvenue est la meilleure preuve que les structures fonctionnent. Et encore une chose: le nombre de personnes mobilisées dépendaient des besoins des cantons. Or, je constate que les cantons romands, dominés politiquement par l'alliance rose-verte, ont été ceux qui ont le plus fait l'appel à l'armée et ont été les plus prompts à demander le renfort de soldats.

Moralité: adaptons-nous aux menaces actuelles et futures, mais ne philosophons pas sur la santé et l'environnement au détriment de la sécurité!

Ce que je critique, c'est que l'armée dépense des milliards pour des armes qu'elle dit elle même être inutile. Encore ce matin, le Parlement a validé un demi-milliard pour des chars qui ne correspondent à aucune menace. Nous sommes dans un magasin de jouets! Cet argent, il serait plus utile ailleurs, et si on regarde véritablement quelles sont les risques identifiés par le DDPS lui-même, il doit aller à la société civile car les risques sont principalement civils, le réchauffement climatique en tête. C'est là que sont les enjeux: il ne faut pas confondre force miliaire et sécurité, les questions sanitaires et environnementales sont la sécurité. À terme, on verra bien quels domaines de l'armée sont vraiment utiles, mais c'est possible en effet qu'on doive en conclure que l'armée ne sert à rien et doit être abolie.

Dire que la Suisse dépense pour des armes inutiles, c'est faux. Le «message sur l'armée» discuté au Parlement cette semaine a été préparé avec soin. Si l'on compare les dépenses du domaine de la sécurité avec les autres domaines, cela reste modéré. La Suisse n'est aussi pas connue pour investir excessivement.

Mais nous devons nous équiper de manière adéquate. Si je ne me trompe pas, nous avons décidé de remplacer aujourd'hui des chars qui sont en fonction depuis 1963! Et il ne s'agit pas du tout d'un remplacement automatique. Le DDPS analyse de quoi nous avons besoin et prends des décisions de manière adéquate.

Et oui, je te rassure: de nos jours aussi, nous avons besoin de véhicules blindés. Ils garantissent la mobilité, peuvent mettre en place ou ôter des barrages, emprunter des voies minées. Je ne sais pas pourquoi tu dis qu'ils sont inutiles.

Nous avons également alloué cette semaine 200 millions de francs pour l'extension des systèmes de commandement, de contrôle et de communication. Ces investissements nous permettent d'assurer une communication résistante à toute crise, protégée et sans perturbations. Nous sommes mieux protégés que jamais contre les cyberattaques. Ces instruments doivent être adaptés à l'ère du temps.

Encore quelque chose sur le futur de la politique de sécurité: le Conseil fédéral a approuvé la semaine dernière le «dialogue sur les capacités de l'armée». Dans ce cadre, le Parlement a eu la possibilité d'émettre toutes ses contributions pour l'armée du futur.

Celui qui croit que le monde va être plus sûr dans le futur, se trompe à mon avis très lourdement. Tu n'es de cet avis?

Le monde va devenir ce que nous en faisons. Investir dans la force militaire comme dans les armes ne sont pas des outils de paix. De plus, le DDPS lui-même dit qu'en cas de conflit entre la Russie et l'OTAN, la probabilité qu'on doive utiliser ces chars est «invraisemblable». Les outils de la Suisse pour assurer sa sécurité sont ailleurs, en particulier dans la diplomatie, les échanges culturels et économiques, l'entraide internationale. Les services non militaires de sécurité aussi, comme le service de renseignement.

Mais, encore une fois, tu as raison: nous n'allons pas vers un monde rassurant, car si nous ne prenons pas des mesures drastiques en matière d'environnement, il sera invivable pour l'humain dans quelques années.

Quand je vois l'empressement à acheter des chars neufs polluants et les réticences à investir dans des mesures environnementales, je me demande bien qui est le/la plus inquiet/ète pour la sécurité de la population... Tu ne penses pas que tout cet argent devrait d'abord bénéficier aux risques les plus grands et les plus pressants?

Je suis tout à fait d'accord avec toi Léonore: nous devons nous faire du souci pour l'environnement. La Suisse doit dans ce domaine adopter un rôle exemplaire, et c'est pour ça que je soutiens pleinement la loi CO2. Nous n'avons pas de divergence sur ce point. Il faut s'en réjouir 😉

Ceci étant dit, prétendre que l'on assure la sécurité de la population avec des mesures en faveur de l'environnement, c'est rêver en couleurs. Il faut investir contre le réchauffement climatique ET aussi dans la sécurité.

Le Service de renseignement joue un rôle central pour la sécurité à l'intérieur de nos frontières. Nous devons tout faire pour éviter des attentats comme il y en a eu récemment à Morges ou à Lugano.

C'est pour cette raison que je monte au front pour les nouvelles mesures policières contre le terrorisme, en votation populaire dimanche. Mais à ce propos, nous avons des avis divergents 🙈

Pour moi, le terrorisme est le plus grand danger du futur. Je peux tout à fait vivre avec tes idéaux verts, mais conservons tout de même un oeil très attentif sur la sécurité, un besoin fondamental de la population!

Je suis très heureuse que nous nous retrouvions autour de la loi (modérée) sur le CO2, nous devrions peut-être plutôt siéger ensemble à l'UREK qu'à la SIK 😉 💚🌍💚 (Blick: «UREK: Commission de l'environnement, de l'aménagement du territoire et de l'énergie» / SIK: Commission de la sécurité)

Pour moi, investir dans la force militaire, ce n'est pas investir dans la sécurité, là est certainement notre désaccord de fond, tout comme moins de liberté n'est pas une bonne manière de lutter contre le terrorisme, au contraire.

Comme tu les sais, les finances de la Confédération ne sont pas extensibles et quand je nous vois investir un demi-milliard dans des chars qui ne seront jamais utilisés en faveur de la sécurité de quiconque, je préférerais que cet argent soit redirigé vers des domaines vraiment utiles.

Que penses-tu de la proposition verte de créer un centre d'alerte contre les pandémies, par exemple?

Dans la Commission de l'environnement, nous aurions en effet beaucoup plus de dénominateurs communs! Même si quand je pense à la loi sur les résidences secondaires, à la loi sur la chasse, aux constructions hors des zones à bâtir, j'en ai presque la chair de poule 😉

Quels investissements se justifient dans le domaine de la sécurité? C'est le futur qui va le déterminer. Moi-même, j'espère que nous n'aurons jamais à employer ces chars. Tout comme je prie pour que nous n'ayons plus de pandémie à combattre dans le futur. Mais dans les deux cas, nous n'en savons rien. Et espérer ne suffit pas!

«Faire et ne pas attendre» devrait être la meilleure devise en matière de politique de sécurité! Ce que peut nous amener une centrale d'alarme sur les pandémies est encore flou à mes yeux. Tu vas devoir me convaincre. Je te propose donc que l'on en reste là pour cette semaine et qu'on aille en débattre autour d'un café à la Galerie des Alpes du Parlement!

Blick: Merci à vous deux pour ce débat. Il ne vous aura pas mis d'accord, mais il aura sans doute permis à nos lecteurs de se faire leur propre opinion sur les menaces qui planent sur notre pays et les différentes réponses proposées par les parlementaires. Et surtout: santé!

«Blick-Pong», c'est quoi?

Toutes les semaines, deux parlementaires se mettent d'accord sur un thème d'actualité pour en débattre et apporter un peu de hauteur de vue sur les désaccords sous la Coupole.

La co-présidente du PS Mattea Meyer croise le fer avec le vice-président du PLR Philippe Nantermod, tandis que la Verte Léonore Porchet tente de convaincre Martin Candinas (Centre), 2e vice-président du Conseil national.

Toutes les semaines, deux parlementaires se mettent d'accord sur un thème d'actualité pour en débattre et apporter un peu de hauteur de vue sur les désaccords sous la Coupole.

La co-présidente du PS Mattea Meyer croise le fer avec le vice-président du PLR Philippe Nantermod, tandis que la Verte Léonore Porchet tente de convaincre Martin Candinas (Centre), 2e vice-président du Conseil national.

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