L'enseignante Fiona B. se confie
Des directeurs d'école poussent les professeurs à démissionner en masse

Des enseignants démissionnent en masse outre-Sarine. En cause: de mauvais chefs d'établissement, selon eux. Une prof explique pourquoi des conflits peuvent survenir et quelles compétences un bon directeur d'école doit posséder.
Publié: 16.05.2023 à 14:01 heures
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Dernière mise à jour: 16.05.2023 à 14:06 heures
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L'enseignante Fiona B.* travaille depuis 30 ans dans l'enseignement.
Photo: Siggi Bucher
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Qendresa Llugiqi

Les directeurs d’école sont considérés comme des bâtisseurs de ponts entre les enseignants et les autorités. Mais ces dernières semaines, ils ont surtout fait la une des journaux pour avoir court-circuité la communication entre les deux parties outre-Sarine.

Des professeurs ont démissionné en masse à la fin mars à Saint-Gall, où 16 des 49 enseignants de l’école sont partis, et dans le canton de Zurich, où 25 professeurs ont claqué la porte. Que reprochent-ils? Une incompétence organisationnelle et professionnelle, ainsi que de maigres soft skills.

Ce n'est pas la première fois que des directeurs d’école sont pointés du doigt outre-Sarine. En 2020, huit enseignants ont démissionné d’une école primaire de Soleure. En 2019, c’est plus de la moitié des professeurs d’une école secondaire de Thurgovie qui a donné sa lettre de démission. Et en 2017, 21 enseignants d’une autre école zurichoise ont pris la porte. À chaque fois, le personnel sortant a avancé que la direction les avait poussés vers la sortie, pour cause d'incompétence.

Muselière médiatique

Blick a pris contact avec les derniers enseignants concernés. À Zurich, le responsable de la formation, chef de tous les directeurs d’école, est mis en cause. Selon un professeur sortant, le responsable aurait veillé à ce que lui et ses collègues ne parlent pas à la presse. Les Saint-Gallois connaîtraient une situation similaire. Une enseignante mentionne l’existence d’un accord de non-divulgation. Mais, «de toute façon», la règle générale non écrite qui s’applique est que les enseignants ne devraient pas parler aux médias, glisse-t-elle.

Mais Fiona B.* refuse de se laisser intimider par cette directive. Elle pourrait être considérée comme une traîtresse à la cause, souligne-t-elle, mais elle prête à prendre le risque. Elle-même ne travaille pas dans les écoles concernées. Elle connaît toutefois bien le système: elle a 30 ans d’expérience, en tant qu’enseignante et directrice d’école.

Fiona B. explique qu’un bon chef d'établissement doit avoir plusieurs casquettes. Diverses aptitudes sont indispensables: «Il faut savoir communiquer, résoudre les conflits et, bien sûr, diriger une école. Si ces compétences professionnelles font défaut, cela se répercute obligatoirement très vite sur la vie scolaire et l’ambiance.»

Elle évoque ensuite le rôle central des directeurs d’école. «Il ne faut pas oublier qu’ils doivent assumer de nombreuses tâches bureaucratiques, souligne-t-elle. Ils sont le premier interlocuteur aussi bien des autorités que des enseignants.»

Les élèves en font les frais

Et ce sont justement ces tâches bureaucratiques qui feraient perdre aux directeurs d’école leur lien avec les réalités du terrain. «Je connais un directeur d’école qui n’a plus vu l’intérieur d’une salle de classe depuis dix ans, s’étonne-t-elle. Je trouve cela très inquiétant. Comment peuvent-ils prendre de bonnes décisions pour leur établissement s’ils ne savent pas ce qui s’y passe?» Des décisions complètement en décalage avec l’intérêt de l’école en résulteraient: «Le personnel enseignant en sort frustré, car c’est sur lui que tout repose: il doit mettre en œuvre ces nouvelles mesures, aussi mauvaises soient-elles parfois!»

Mais peut-on reprocher à un directeur d’école d’être désagréable et de ne pas avoir le caractère qu’il faudrait pour sa fonction? Bien sûr, selon Fiona B. Il y a des no-go pour occuper ce siège. «Un bon chef ne doit pas être arrogant, ni craindre les conflits, détaille-t-il. Et il ne doit pas non plus être irritable ni colérique.»

Il faut donc un juste milieu. Or, elle a rencontré à de nombreuses reprises de type de faiblesse chez des directeurs d’école. «L’un d’entre eux refusait de rencontrer les élèves et les parents d’égal à égal dans des situations de conflit, s’étrangle-t-elle. Il se considérait comme au-dessus de tout ça et préférait observer tout ça de loin, d’un œil supérieur.»

Le comportement problématique ou l'incompétence d’un directeur peuvent-ils conduire à un conflit tel que les enseignants ne voient pas d’autre issue que la démission, comme l’affirment ces professeurs sortants? Fiona B. est catégorique: oui, et même au sein d’un gymnase. «Mais il ne faut pas oublier que dans ce genre de situation de départ collectif, ce sont les élèves qui en font les frais», regrette-t-elle.

Réorganiser la formation des directeurs d’école

Que peut-on faire pour stopper cette débâcle? Selon Thomas Minder, le plus haut directeur d’école de Suisse, le problème avec les directeurs d’école commence déjà par leur formation insuffisante. «Celle-ci est définitivement trop courte, assure-t-il. Il faudrait la prolonger et la développer.» En effet, les tâches d’un directeur d’école sont devenues bien plus vastes. De nos jours, il doit être à l’aise sur de nombreux terrains et avec le multitasking, avance-t-il.

Il ne le nie pas: certains directeurs d’école ne sont simplement pas faits pour ce poste. Mais un nombre réduit de candidats oblige parfois à ne pas être trop difficile: «C’est aujourd’hui compliqué de trouver des enseignants. Et c'est encore un plus gros challenge de dénicher des personnes qui ont les épaules pour devenir de bons directeurs d’école. Il peut donc arriver que des personnes non adaptées soient engagées.»

Il assure toutefois qu’il ne s’agit pas de la majorité d’entre eux: «De nombreux futurs chefs d'établissement disposent du talent nécessaire, mais reçoivent trop peu de formation en deux ans. Ils se retrouvent donc bien vite assommés par la masse de tâches qui leur tombe dessus et par les conflits à désamorcer.» Il faudrait donc pouvoir garantir le haut niveau de professionnalisme que ce poste exige.

Fiona B., de son côté, se prononce aussi pour un tri beaucoup plus strict: «Il faut absolument vérifier ces compétences – et ce, avant l’admission à la formation de directeur d’école. On peut ainsi voir si les bases sont là. Sinon, dans les situations d’urgence, ce sont des personnes inappropriées qui accéderont à ce poste clé.» Ce qui conduira immanquablement à davantage de conflits.

*Nom modifié

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