Devant le grand entrepôt de légumes situé à Steinmaur, dans le canton de Zurich, de grandes caisses en plastique s’empilent. Elles sont vides, mais ne devraient pas l’être. Ces cageots devraient être remplis à ras bord et s’empiler par centaines dans les halles réfrigérées.
Aujourd’hui, seules quinze caisses de carottes sont reléguées dans un coin de l’entrepôt de l’agriculteur bio Stephan Müller. «Les années normales, il y en aurait au moins 150 à cette période, soupire-t-il en secouant la tête. La halle devrait être remplie aux deux tiers. Là, elle est pratiquement vide!»
Stephan Müller dirige l’une des plus grandes exploitations bio du canton de Zurich. Dans les hangars de ses collègues suisses, la quantité de marchandise stockée est la même: quasiment inexistante.
«Les légumes bio sont épuisés»
La Suisse manque de légumes bio! Dans de nombreuses exploitations, il n’y a aujourd’hui plus du tout d’oignons indigènes sous ce label. Selon Bio Suisse, l'épuisement des pommes de terre est prévue pour la mi-février. Les réserves de carottes tiendront peut-être encore quelques semaines, tout au plus. D’autres légumes suisses sont également «presque épuisés».
«Une grande partie de la marchandise a tout simplement été consommée», rapporte l’agriculteur zurichois. En 2021, la météo a fait des siennes. Le printemps a été froid et humide. En été, des intempéries ont inondé des champs entiers. Pour ne rien arranger, de nombreux orages de grêle ont dévasté les champs de légumes.
La Suisse tributaire des importations
Le résultat de cette météo pourrie? Les variétés de légumes bio les plus appréciées en Suisse doivent désormais être acheminées depuis l’étranger. Si l’importation en soi n’a rien d’extraordinaire, cette année la Suisse en dépend plus tôt que jamais auparavant. De plus, la marchandise issue de la production conventionnelle – c’est-à-dire non bio – sera, elle aussi, bientôt une denrée rare.
«D’ici mi-avril, nous n’aurons probablement plus de carottes suisses», pronostique Alexander Zogg, de l’organisation maraîchère Müller Azmoos AG, qui distribue les légumes de près de 120 producteurs de Suisse orientale.
Les agriculteurs ne pourront déterrer les premières carottes suisses de la nouvelle récolte que début juin au plus tôt. Pendant de nombreuses semaines, la Suisse devra importer ses carottes – probablement depuis l’Italie ou l’Espagne.
Pertes records pour le secteur
Pourtant, l’Union maraîchère temporise encore avant de déposer des demandes d’importation. Ce n’est pas le cas de Swisspatat: l’association des pommes de terre a déjà rempli une demande d’importation pour 20’000 tonnes de pommes de terre de consommation.
La commande est urgente. Les tubercules manquent déjà dans toute la Suisse. «Dans notre ferme, nous n’avons récolté que 10% de la récolte normale de pommes de terre», rapporte Stephan Müller. Dans tout le pays, les agriculteurs bio ont récolté deux fois moins de pommes de terre que les années précédentes.
L’assurance agricole Suisse Grêle estime les dommages aux grandes cultures assurées l’année dernière à plus de 110 millions de francs. C’est un record. Le manque à gagner sur les ventes devrait être plusieurs fois supérieur à ce chiffre. Bio Suisse ne veut pas s’exprimer quant au montant des pertes dû à la météo déplorable de l’été passé.
Des agriculteurs désespérés
«J’essaie de sauver ce qui peut encore l’être», se lamente Stephan Müller en s’agenouillant dans une rangée de choux rouges. Habituellement, il les récolte en automne. Le paysan zurichois les a laissés en terre. «À moitié par désespoir, à moitié par espoir», confie-t-il.
En été, une partie de ses choux ont été complètement immergés dans l’eau qui a engorgé ses champs. Les racines ont pourri, et les têtes de chou étaient minuscules. Ce n’est que grâce à des soins méticuleux que les plantes ont survécu, ont formé de nouvelles racines et ont pu continuer à pousser.
Il est peu probable que les têtes de chou atteignent le poids souhaité et la qualité exigée. «Les acheteurs et les consommateurs sont toutefois devenus plus tolérants», observe Stephan Müller, notamment lors des ventes à la ferme. Le marché a dû s’adapter par la force des choses à une «marchandise moins parfaite».
Les hausses de prix ne sont plus rentables
Malgré des stocks limités, le secteur a décidé de ne pas augmenter les prix. «Cela ne vaudrait même plus la peine de demander plus. Nous n’avons pas de marchandise à livrer», rapporte Stephan Müller. Il n’a jamais vécu cela de toute sa vie d’agriculteur.
Dans le champ, on s’apprête à semer des radis. Mais le sol est encore gelé. Une fois de plus, la météo fait des siennes. Le Zurichois hausse des épaules, et soupire avec philosophie: «Tant que ce n’est pas aussi grave que l’année passée...»
(Adaptation par Jessica Chautems)