L'économiste Nannette Hechler-Fayd'herbe livre ses perspectives conjoncturelles
«L'Europe est un enfant à problèmes, tant sur le plan économique que politique»

Malgré les turbulences mondiales, l'économie suisse se montre résistante. Nannette Hechler-Fayd'herbe prévoit une croissance de 1,2% pour 2025 et voit des développements positifs sur le marché du travail malgré les défis internationaux.
Publié: 02.01.2025 à 15:56 heures
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Nannette Hechler Fayd'herbe est optimiste pour l'économie suisse.
Photo: Philippe Rossier
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Christian Kolbe et Philippe Rossier

Depuis son bureau, la vue qu'a Nannette Hechler-Fayd’herbe, responsable des investissements chez Lombard Odier, sur le lac de Zurich est plus réjouissante que celle sur l'économie mondiale. L'Europe est en crise, les deux moteurs que sont l'Allemagne et la France sont avant tout préoccupés par les élections et se recentrent sur eux-mêmes. L'économie européenne peut encore attendre longtemps les impulsions de la politique. Outre-Atlantique, Donald Trump compte bien bouleverser l'économie mondiale à partir de fin janvier et imposera la réindustrialisation des Etats-Unis par tous les moyens. Avec quelles conséquences pour la Suisse et son économie, pour les emplois, les salaires et la consommation? Nannette Hechler-Fayd'herbenous partage ses réponses avec Blick.

Nannette Hechler Fayd'herbe, des temps agités s'annoncent. À quel point êtes-vous préoccupée?
Pas tant que ça. Je m’inquiéterais davantage si les entreprises avaient des difficultés à obtenir des crédits ou si le marché immobilier montrait des signes de surchauffe.

Les prix des logements en Suisse ont beaucoup augmenté. Le marché immobilier suisse risque-t-il de surchauffer?
Non, nous en sommes encore loin, malgré les récentes baisses des taux d'intérêt par la Banque nationale suisse (BNS). La situation était bien différente à l’époque des taux négatifs.

Les taux négatifs ne sont plus très éloignés, il suffirait d’une ou deux baisses supplémentaires.
Plusieurs éléments s’opposent à un retour rapide aux taux négatifs. La BNS s’est jusqu’ici concentrée sur la politique des taux plutôt que sur celle de la monnaie. Avant de recourir à cet outil impopulaire, la BNS devrait tenter d'intervenir davantage sur les marchés des changes. Et ce n'est que lorsque les taux d'intérêt de la zone euro ou de la zone dollar tendront vers zéro qu'elle envisagera vraiment de recourir aux taux d'intérêt négatifs.

Cela signifie-t-il qu’une nouvelle baisse des taux en mars est peu probable?
La Banque nationale a osé faire un grand pas à titre préventif et va d'abord attendre de voir comment cela se répercute sur l'inflation et le franc. Pour 2025, nous partons du principe que le taux directeur devrait se situer à 0,25%.

Les taux d'intérêt sont certes bas, mais les prix des maisons sont exorbitants en de nombreux endroits. Le rêve de devenir propriétaire s'est envolé pour la plupart des gens en Suisse?
C'est vrai en ce qui concerne les points chauds comme Zurich ou Genève. Mais il existe des régions où, grâce aux faibles taux d'intérêt, il est encore possible d'accéder à la propriété.

Lesquelles?
Les communes qui sont plus éloignées des centres urbains. Pour une bonne connexion avec Zurich, il est encore possible de trouver un logement en propriété abordable dans l'Oberland zurichois ou dans le canton voisin d'Argovie. Glaris, Uri ou Saint-Gall offrent des alternatives abordables avec l'inconvénient de trajets plus longs pour aller travailler à Zurich.

Des taux bas sont avantageux pour les emprunteurs, mais moins pour les épargnants. Quelles alternatives au simple dépôt bancaire conseillez-vous?
Je pense à un portefeuille mixte. C'est-à-dire un portefeuille qui comprend différentes catégories de placement. Ce n'est certes pas sans risque, car il n'y a pas de rendement sans risque. Mais avec un bon mélange, le risque peut être réparti.

Qu'est-ce que je mets dans un tel portefeuille mixte?
Cela dépend de votre tolérance au risque et de votre âge. Un jeune de vingt ans a un tout autre horizon de placement qu'une personne de soixante ans. À un âge avancé, il s'agit surtout de préserver la valeur, les jeunes peuvent en revanche mettre plus d'actions dans leurs placements.

Qu'en est-il des fonds immobiliers?
Ils sont intéressants à deux égards. D'une part, ils offrent de meilleurs rendements que les obligations d'Etat, par exemple, et d'autre part, la demande de logements continue de faire grimper les prix et entraîne des plus-values pour les fonds immobiliers, qui profitent également de la baisse des taux d'intérêt.

Les marchés boursiers ont très bien performé en 2024, sauf sur les derniers jours. Est-ce un mauvais présage pour 2025?
2024 a vraiment été une année supérieure à la moyenne sur les marchés boursiers, nous n'atteindrons probablement plus ce niveau en 2025. Les rendements aussi élevés ne sont plus envisageables, mais ils seront tout de même positifs.

Ceux qui veulent encore se lancer sur le marché des actions arrivent trop tard?
Les cours des actions ont deux grands moteurs: la valorisation et la rentabilité des entreprises. Si les taux d'intérêt baissent plus vite que prévu, comme ce sera le cas en 2024, les valorisations augmenteront. Mais cela dépend aussi de l'ampleur de la croissance des bénéfices des entreprises. Si la baisse des taux d'intérêt stimule le moteur de la croissance et qu'à cela s'ajoutent d'autres mesures comme les réductions d'impôts, c'est bon pour la rentabilité des entreprises et le cours de leurs actions. 2025 a de bonnes chances d'être une année boursière décente.

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L'Europe est un enfant à problèmes, tant sur le plan économique que politique
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Comment l'économie suisse va-t-elle évoluer l'année prochaine?
Nous tablons sur une croissance de 1,2%, ce qui est proche du potentiel de croissance de l'économie suisse…

... mais plus bas que la valeur d'autres prévisionnistes qui tablent sur une croissance économique allant jusqu'à 1,5%.
Les exportations posent de nombreuses incertitudes. Le franc suisse fort est moins un problème qu’un stimulant pour maintenir la compétitivité de nos industries, notamment dans les niches. Ce qui importe davantage, c’est la demande sur nos principaux marchés d’exportation.

En Europe, la situation semble peu favorable.
L'Europe est effectivement un enfant à problèmes, tant sur le plan économique que politique. Le continent souffre de problèmes structurels. Il ne s'agit pas seulement de démographie, c'est-à-dire du vieillissement de la population, mais aussi de la mise en place des bonnes conditions-cadres pour la croissance. La question de savoir si et comment l'innovation est encouragée est cruciale. Sur ce point, l'Europe est nettement à la traîne par rapport aux États-Unis. Il est important que l'Europe regarde exactement où se situent les problèmes, sinon elle ne trouvera pas non plus les recettes qui lui permettront de retrouver sa force d'antan.

La force d'antan, c'est d'ailleurs le projet de Donald Trump. Bon ou mauvais pour l'économie mondiale?
Aux Etats-Unis, les signes sont à la croissance. Il ne devrait pas y avoir de mauvaises surprises, il a déjà annoncé ce qu'il comptait faire: une politique commerciale active mais aussi pragmatique avec l'augmentation des droits de douane. Cela signifie que l'on verra d'abord quelle sera la réaction des partenaires commerciaux avant d'augmenter encore les droits de douane.

Qu'est-ce que cela signifie pour la Suisse? Après tout, les États-Unis sont notre deuxième partenaire commercial.
Ces derniers jours, Trump a rencontré de nombreux hommes d'affaires. Il est toujours à la recherche du prochain accord. Si une entreprise suisse investit dans la réindustrialisation américaine, cela pourrait atténuer les risques de sanctions commerciales.

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Les signes de la croissance sont au rendez-vous aux Etats-Unis
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La plupart des investissements directs de la Suisse vont aux Etats-Unis. Y a-t-il une menace de délocalisation des emplois?
Ce n'est pas forcément le cas. Ceux qui investissent aux Etats-Unis viennent souvent d'un marché domestique fort. Les emplois qui sont créés aux Etats-Unis peuvent compléter l'activité en Suisse.

Qu'est-ce que cela signifie globalement pour le marché du travail suisse?
Il restera robuste. C'est aussi lié au changement de génération. Comme de nombreuses personnes partent à la retraite, il faut sans cesse pourvoir de nouveaux postes. A cela s'ajoute le fait que la main-d'œuvre en Suisse est très bien formée. C'est l'une des recettes du succès de la Suisse: les travailleurs disposent des compétences dont l'économie a besoin.

Y a-t-il encore un besoin de rattrapage en matière de salaires après le renchérissement de ces dernières années?
En Suisse, l'inflation s'est résorbée plus rapidement que prévu. Ainsi, le pouvoir d'achat gagne à nouveau du terrain. Les sondages indiquent une hausse des salaires d'environ 1,4% en 2025. Nous prévoyons que l'inflation en Suisse se situera autour de 0,7% en 2025.

Un marché du travail robuste est également bon pour le moral des consommateurs dans le pays?
C'est vrai. Mais il ne faut pas non plus surestimer ces indicateurs de moral. Ce qui sera décisif, c'est ce qui se passera après l'investiture de Trump le 20 janvier. Qu'est-ce qui sera réellement mis en œuvre et comment cela sera-t-il mis en œuvre? S'il y a de la clarté à ce sujet, cela crée de la sécurité et de la confiance, ce qui est positif pour l'économie et aussi pour la consommation.

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