Le plus haut cyberpolicier de Suisse tire la sonnette d'alarme
«La pornographie infantile doit faire l'objet d'une déclaration obligatoire.»

La pornographie enfantine circule de plus en plus sur le net, affirme le plus haut cyberpolicier de Suisse, où la loi en la matière se veut lacunaire. La politique veut également s'attaquer au problème, mais le Conseil fédéral y va doucement.
Publié: 10.10.2024 à 11:31 heures
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Serdar Günal Rütsche est le plus haut cyberpolicier de Suisse.
Photo: Benjamin Fisch
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Céline Zahno

Les enquêteurs dirigés par Serdar Günal Rütsche, le plus haut responsable de la cyberpolice en Suisse, traquent les délinquants sexuels en ligne en se faisant passer pour de jeunes filles. Serdar Günal Rütsche dirige le réseau national de lutte contre la cybercriminalité (Nedik) ainsi que la division de cybercriminalité de la police cantonale zurichoise.

Jour après jour, les enquêteurs explorent les recoins les plus sombres d'Internet. Ils cherchent des criminels qui se regroupent, échangent des contenus pédopornographiques ou tentent d’entrer en contact avec des mineurs via des forums de discussion. La coopération internationale est essentielle: la police reçoit régulièrement des informations d'autres forces de l'ordre en Suisse ou à l’étranger.

Tout le matériel suspect que les enquêteurs trouvent sur Internet doit également être évalué par l'équipe elle-même, explique Serdar Günal Rütsche. «Une grande partie de ce matériel est de la pornographie légale. Une petite partie des images et des films montre des scènes horribles, voire abominables.»

Aucun pêcheur ne peut attraper tous les poissons

«Mais aucun pêcheur ne peut sortir tous les poissons de l'océan», affirme Serdar Günal Rütsche. Il en va de même pour la pornographie illégale. Et le nombre de cas signalés de pornographie interdite a fortement augmenté ces dernières années. C'est ce que montrent les chiffres de l'Office fédéral de la police (Fedpol): En 2023, 14'420 annonces ont été faites, soit deux fois plus qu'en 2021.

Ces signalements proviennent du centre NCMEC (Centre national pour les enfants disparus et exploités) aux États-Unis. Là-bas, les fournisseurs d'accès à Internet sont légalement tenus de signaler le matériel interdit. Le centre envoie ensuite les déclarations de soupçon en Suisse lorsqu'elles ont un lien avec ce sujet.

Les condamnations n'augmentent guère

À Zurich, des mesures ont été prises pour répondre à cette hausse, et la coopération avec d'autres cantons s’est améliorée. Toutefois, les enquêteurs doivent faire preuve de patience et d’une grande attention. Ils doivent scruter minutieusement les images et évaluer si elles sont interdites, notamment pour déterminer si les personnes filmées ont moins de 16 ans.

Les efforts de la police suffisent toutefois à peine à suivre la croissance fulgurante de la pornographie infantile. Alors qu'on dénombre 7000 signalements de plus l'année dernière par rapport à 2021, le nombre de condamnations n'a presque pas augmenté.

Sur le net comme dans la cour de récréation

«Fondamentalement, nous savons que la police n'a pas assez de ressources pour faire face à l'augmentation», explique Regula Bernhard Hug de l'Association Suisse pour la Protection de l'Enfance. Certains cantons s'en sortent toutefois mieux que d'autres.

La responsable du bureau de la Protection de l'Enfance note une lacune dans la législation suisse. «Les enquêtes seraient plus simples si l'on disposait de plus d'indices. On pourrait ainsi agir de manière plus ciblée.» Tant dans l'UE qu'aux États-Unis, les hébergeurs qui proposent un espace de stockage pour les sites web sur Internet sont tenus d'informer les autorités s'ils tombent sur des contenus problématiques. En Suisse, il n'existe pas de telle règle. Légalement, les fournisseurs d'hébergement sont aujourd'hui libres de signaler et de bloquer de tels contenus.

Serdar Günal Rütsche déclare également: «Si l'on constate des contenus suspects sur le net, il devrait y avoir une obligation de les signaler. Comme le ferait n'importe qui dans une cour de récréation s'il observait une maltraitance d'enfant.» Mais ce contrôle social fait actuellement défaut sur Internet.

Les grands acteurs de la technologie aux États-Unis ont déjà cette obligation de déclaration, c'est pourquoi le cyberpolicier ne s'attend pas à une augmentation massive des déclarations avec la même mesure en Suisse. Cela serait toutefois une source d'aide supplémentaire sur laquelle compter.

Le Conseil fédéral aborde le problème en douceur

La politique veut désormais s'attaquer au problème. «La Suisse traite ce sujet avec trop de négligence. Nous ne sommes pas encore là où nous devrions être», déclare la conseillère nationale du Centre Christine Bulliard-Marbach. Lors de la dernière session, elle a déposé une intervention demandant que de tels services d'hébergement soient obligés de signaler et de bloquer les contenus pédocriminels.

Le Conseil fédéral estime lui aussi qu'il est nécessaire d'agir, mais il aborde le problème de manière plus modérée. Alors que l'obligation de notification des services d'hébergement est déjà entrée en vigueur dans l'UE au début de cette année, le Conseil fédéral voulait élaborer un projet de loi d'ici au printemps.

Ce processus a toutefois pris du retard. Comme l'a écrit le journal «Le Temps», le projet ne serait pas terminé avant cet automne, les questions juridiques étant plus complexes que prévu initialement. À la demande de Blick, l'Office fédéral de la communication annonce de son côté qu'il sera probablement prêt avant la fin de l'année.

Ce délai semble donc à nouveau repoussé et des années devraient encore s'écouler avant que la loi ne soit mise en consultation et adoptée par le Parlement. Et d'ici là, la pornographie enfantine continuera de se répandre sur la toile.

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