Le plaisir avant la carrière
La génération Z chamboule l'économie suisse

Moins de stress, moins de hiérarchie, plus de temps pour la vie privée: Comment les jeunes de vingt ans vont transformer l'économie?
Publié: 12.07.2022 à 06:08 heures
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Des projets d'aide plutôt qu'une carrière: Sabrina Trebucchi voyage en train à travers la Suisse ou le monde entier et investit du temps dans le bénévolat.
Photo: Philippe Rossier
Camille Kündig

Environ 1,4 million de Suisses appartiennent à la génération Z, celle qui est née après 1995. Ils sont souvent très bien formés et auraient la possibilité de faire une carrière de rêve. Mais au lieu de saisir l’occasion, ils la refusent avec gratitude. La devise olympique «Citius, Altius, Fortius» («plus vite, plus haut, plus fort» en français) n’est pas leur objectif. Et surtout pas à n’importe quel prix.

«La génération Z est la première à s’opposer à l’intrusion de la vie professionnelle dans la vie privée», écrit l’économiste Christian Scholz dans son livre «Generation Z: How it ticks, what it changes and why it contains us all». Alors que la génération précédente, dite des Millennials, rêvait d'une brillante carrière. Pour y arriver, elle n’hésitait pas à mêler vie professionnelle et vie privée. Hors de questions pour les nouveaux venus sur le marché du travail: ils souhaitent revenir à une séparation stricte.

Bien-être et temps pour soi

Mettre le yoga de côté pour faire des heures supplémentaires? Au grand jamais pour la génération Z! Les postes de direction ne sont pas une cible à atteindre pour ces jeunes. Seulement 13% d’entre eux aspirent encore à une carrière classique: telle est la conclusion d’une étude du prestataire des ressources humaines Manpower. «Les postes de direction ne sont plus aussi recherchés qu’il y a quelques années», explique Patrick Stöpper, porte-parole de la Fédération des coopératives Migros. Selon lui, les postes dits passionnants suscitent davantage leur intérêt.

Le désir de s’épanouir et de passer du temps avec ses proches est devenu la priorité. Un salaire convenable est certes important, mais c’est surtout avoir du plaisir qui compte. Selon une étude de l’agence de marketing Jim & Jim, le bien-être est le facteur le plus motivant pour cette génération. «Ce qui est central pour les jeunes qui entrent dans la vie active aujourd’hui, c’est un emploi qu’ils aiment exercer et qu’ils trouvent utile», explique Jan Burckhardt, président du Conseil suisse des activités de jeunesse.

Ainsi, 40% préfèrent être au chômage plutôt que d’être malheureux au travail. Garder leurs enfants est plus important pour les jeunes hommes que l’accomplissement professionnel. «Pourquoi travailler à 100% et aspirer à une grande carrière alors que je peux m’en sortir avec moins d’argent et utiliser ce temps pour mon développement personnel?», se demande Sabrina Trebucchi, une jeune technicienne vidéo de 22 ans. Posséder plus d’argent constitue, selon elle, une pression supplémentaire: il faut maintenir un certain style de vie.

Un avenir semé d’embûches

La génération Z a conscience que les maladies psychiques touchent une grande partie de la société. «Elle sait que la numérisation nous impacte toutes et tous», explique Adrian Wüthrich, président du syndicat Travail.Suisse. Les jeunes de cette génération ont constaté comment leurs parents se sont sacrifiés, souvent jusqu’à l’épuisement. Un objectif de vie qui ne séduit pas les jeunes.

Crise climatique, pandémie, guerre en Ukraine: la génération Z traverse une époque fortement marquée par des bouleversements. «Si l’on considère que, selon une étude de l’université de Bâle, un tiers des jeunes de 14 à 24 ans en Suisse souffrent de symptômes dépressifs graves, il n’est pas étonnant que notre génération ne soit plus prête à tout abandonner pour faire carrière», explique Jan Burckhardt, du Groupement des associations de jeunesse.

Osciller entre pragmatisme et combativité

Andreas Hausherr est un jeune cuisinier de 25 ans. Poussé à bout, il a fini par faire un burn-out. Il travaille désormais à temps partiel. Il avoue: «Les loisirs et la liberté sont plus importants pour moi qu’un poste.»

Des cas comme le sien sont certes nombreux, mais cela ne signifie pas que tous les jeunes fuient les responsabilités ou ne souhaitent pas se réaliser dans leur domaine. Ils ont trouvé un compromis: osciller entre pragmatisme et combativité. La génération Z veut faire de ce monde un endroit meilleur, et donc viser très haut. Pour atteindre cet objectif, elle emprunte toutefois de nouvelles voies.

Décentralisation du pouvoir

Lorsque Nicolas Huber ne décolle pas en tant que pilote de parapente, il siège au comité directeur de l’organisation des élèves de l’école cantonale de l’Oberland zurichois. Il souhaite de nouvelles structures de travail, notamment axées sur la collaboration et sans obstacles hiérarchiques: «Aujourd’hui, il faut gravir les échelons pendant des années pour espérer avoir un impact. Cela ne correspond pas aux défis urgents qui s’imposent à ma génération.» Au lieu de viser une carrière ambitieuse, il veut se rendre utile: «Qu’est-ce que je veux faire bouger durablement dans mon environnement?»

Un nouvel état d’esprit qui a un nom: la décentralisation du pouvoir, concept popularisé via les réseaux sociaux. Les jeunes de la génération Z souhaitent communiquer d’égal à égal avec leurs supérieurs tout en pouvant planifier individuellement leur emploi du temps. «Les thèmes tel que le 'shared leadership', c’est-à-dire le partage des responsabilités, sont de plus en plus mis en avant – et ont encore gagné en importance avec la pandémie», comme le rapporte Andy Müller, porte-parole de l’Union patronale suisse.

Un manque de volonté?

Selon une étude, un quart de ces jeunes souhaite une retraite anticipée, contrairement à ce que pensent les politiques. La porte-parole de Manor, Claire Freudenberger, affirme: «La génération Z sait ce qu’elle veut et où elle veut aller et elle n’a pas peur d’exprimer ses volontés.»

Le magazine américain «Time» n’a pourtant pas le même avis. Il parle de la «Me Me Me Generation», la génération du «moi, moi, moi». En Allemagne, les employeurs ont indiqué dans un sondage que les jeunes manqueraient de volonté, de performance et de résistance au stress. En bref, la génération Z serait paresseuse, voire insolente.

Il est vrai qu'elle se présente avec plus d’assurance que les générations précédentes. Elle peut se le permettre, car elle semble être plus ouverte au monde, ayant grandi avec la technologie numérique.

Un avantage pour l’économie

Les chiffres parlent d’eux-mêmes: les jeunes de la génération Z sont un avantage pour l’économie. Chaque augmentation d’un pourcent de la proportion des «digital natives» dans un pays fait augmenter sa rentabilité de 0,9%. D’innombrables experts sont désormais spécialisés dans le conseil aux entreprises sur la manière de gérer leurs affaires. Verdict: l’économie ferait bien de s’orienter vers la génération Z, car cette dernière va bientôt marquer notre société de son empreinte.

Une chose est sûre: cette génération ne veut plus de l’ancien monde. Elle veut moins de stress pour vivre mieux. Et ce n’est peut-être pas une si mauvaise idée.

(Adaptation par Mathilde Jaccard)

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