Les paquets orange de Temu s'entassent à l'entrée des maisons suisses. Et ça ne plaît pas à tout le monde: hier jeudi, l'association européenne de protection des consommateurs a ainsi déposé une plainte contre le géant chinois de la vente en ligne Temu. Et pour cause, de plus en plus d'organisations critiquent la plateforme au prix ridiculement bas qui compte 75 millions d'utilisateurs rien qu'en Europe.
La protection des consommateurs de l'UE pointe d'une part le manque de transparence et d'information sur les vendeurs. Difficile donc de savoir si les produits répondent aux exigences de l'UE en matière de sécurité des produits. D'autre part, Temu utilise des pratiques commerciales controversées – appelées dark patterns – pour inciter les clients à acheter. Or ces deux pratiques sont contraires à la loi européenne sur les services numériques.
Au total, 17 groupes de consommateurs de 15 pays de l'UE se sont plaints et demandent maintenant une enquête des autorités. L'association allemande des consommateurs est déjà intervenue en mars.
La Suisse, elle, préfère «attendre de voir ce qu'il se passe dans l'UE avant d'agir»
En Suisse également, l'association Swiss Retail Federation s'est plainte en avril et a demandé aux pouvoirs publics d'agir: «Notre impression est que les autorités préfèrent d'abord attendre de voir ce qu'il se passe dans l'UE plutôt que d'agir de manière proactive», explique Dagmar Jenni, directrice de Swiss Retail Federation, à Blick.
Actuellement, seules deux actions ont été menées en Suisse contre Temu, dont le chiffre d'affaires suisse pour l'année 2023 était estimé à 350 millions de francs par la société de conseil Carpathia. Tiana Moser, conseillère aux États des Verts'libéraux, a réclamé «l'égalité des chances pour les plateformes en ligne». Ce à quoi Conseil fédéral a répondu que les autorités suisses de surveillance du marché ne pouvaient pas agir contre les boutiques en ligne étrangères livrant des produits directement aux consommateurs suisses. Ce dont les détaillants et les boutiques en ligne suisses se plaignent précisément, et depuis longtemps.
Lors d'une deuxième interpellation, le conseiller national du Centre Benjamin Roduit a sollicité le Conseil fédéral sur les mesures prises contre l'importation de jouets de mauvaise qualité. L'Association suisse des jouets a en effet prouvé par plusieurs tests que de nombreux jouets de Temu contenaient des substances nocives à des concentrations trop élevées. Lors du dernier test en 2023, 15 jouets sur 18 ont ainsi échoué. Les bijoux pour enfants contenaient par exemple beaucoup trop de métaux lourds toxiques.
Temu parvient à contourner la TVA
«Je trouve étonnant de voir à quel point la protection des consommateurs suisses est peu active», poursuit Dagmar Jenni. Actuellement, l'association du commerce de détail est en train de rassembler plusieurs éléments, notamment des plaintes pour pratiques commerciales déloyales, qu'elle compte déposer ensuite auprès du Secrétariat d'État à l'économie (Seco): «Nous soupçonnons une concurrence déloyale. Nous ne craignons pas la concurrence, mais nous exigeons que les mêmes règles s'appliquent à tous.»
Temu ne respecte pas non plus la loi suisse en matière de prix. En effet, si une réduction est annoncée, le prix d'origine doit rester visible afin de pouvoir évaluer la baisse, ce qui n'est souvent pas le cas chez Temu. De plus, le géant de la vente en ligne contourne la TVA en demandant aux fournisseurs de diviser les envois en petits paquets, ce qui lui permet de baisser les prix de manière encore plus artificielle. «Si la douane et la poste ne suivent pas avec les contrôles aléatoires, il faudra peut-être abaisser la franchise à 0 franc et payer une TVA sur tous les paquets», explique la directrice de Swiss Retail Federation.
Les clients suisses critiquent la qualité
Le Seco n'a encore reçu aucune plainte contre Temu. Selon Dagmar Jenni, il est dans de nombreux cas plus difficile d'agir contre une boutique en ligne étrangère.
En revanche, la protection suisse des consommateurs a déjà reçu des plaintes contre Temu, bien qu'elles soient peu nombreuses: «C'est surtout la qualité des produits qui est critiquée. Les vendeurs sont très peu transparents», explique Sara Stalder, directrice de la fondation pour la protection des consommateurs. Elle se félicite que la protection des consommateurs de l'UE soit désormais active: «L'UE a un poids nettement plus important face aux groupes mondiaux que nous seuls, de la petite Suisse».