Le dossier européen enfin débloqué?
Comment «PYM» met des bâtons dans les roues d'Ignazio Cassis

Dans l'entourage d'Ignazio Cassis et du DFAE, on se félicite de progrès récents dans les négociations avec Bruxelles. Mais l'avancée réelle du dossier européen est suspendu aux lèvres de Pierre-Yves Maillard, que le PLR soupçonne d'une manœuvre politique. Explications.
Publié: 29.11.2022 à 05:56 heures
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Dernière mise à jour: 29.11.2022 à 06:58 heures
Ignazio Cassis et sa secrétaire d'État, Livia Leu, auraient enregistré des succès récents à Bruxelles.
Photo: Blick
Reza Rafi

Quel crédit peut-on accorder à des rapports qui font état d'un dégel des relations entre la Suisse et l'Union européenne? Personne ne s'attendait à ce que la négociatrice en chef de Berne à Bruxelles, Livia Leu, puisse ramener autre chose que des promesses du bout des lèvres de ses entretiens européens.

Et pourtant! Au DFAE, on assure que le climat a changé. L'Union européenne aurait fait des offres substantielles dans plusieurs domaines où cela coinçait de longue date, comme la protection des salaires ou la directive sur la citoyenneté européenne. Ce dernier point fait très peur à la Suisse, qui craint un afflux de citoyens européens voulant profiter de notre aide sociale.

Enfin une victoire pour Cassis?

La directive est présentée comme la principale pierre d'achoppement entre Berne et Bruxelles. Or, voilà que l'Union européenne serait prête à des concessions en la matière. Pour le chef du DFAE et donc de la diplomatie helvétique, Ignazio Cassis, ce serait une formidable victoire.

Le problème, pour le président de la Confédération, ne se trouve pas à Bruxelles mais à Berne, et s'appelle Pierre-Yves Maillard. Le conseiller national vaudois et patron des syndicats, réélu samedi pour quatre ans, vient gâcher la bonne humeur du Tessinois.

La scène s'est déroulée le vendredi 18 novembre, lors d'une réunion des membres du Sounding Board. Cet organisme regroupe tous les dirigeants des partenaires sociaux (associations d'employeurs et d'employés). Ignazio Cassis voudrait capitaliser sur ce succès d'étape et en référer au Conseil fédéral. Mais l'instance lui a posé deux conditions: Bruxelles doit manifester clairement ses intentions, et les membres du Sounding Board doivent donner leur feu vert.

Les syndicats «trompent le public»

Selon les informations de Blick, le Tessinois aurait informé oralement les participants de cette réunion des progrès réalisés lors des entretiens exploratoires avec Bruxelles. C'est là que Pierre-Yves Maillard serait entré en jeu: tandis que l'Union patronale et l'Union des arts et métiers auraient alors donné leur aval pour aller plus loin, le président de l'Union syndicale suisse (USS) aurait dit «niet».

Interrogé à ce sujet, Pierre-Yves Maillard ne veut pas s'exprimer. Il rappelle que les discussions sont confidentielles et se contente de déclarer que Berne est encore «loin de la solution» dans le dossier européen. L'USS s'insurge du caractère dynamique du cadre légal, dont on ne sait pas dans quelle direction il va évoluer en ce qui concerne la protection des salaires.

Hans-Peter Portmann, conseiller national PLR et spécialiste de politique étrangère, contredit fortement la version de «PYM». Selon lui, les syndicats «trompent le public» alors qu'ils savent pertinemment que les deux parties ont accepté la dynamisation. L'USS, pour sa part, rappelle que 24 procédures sont pendantes entre l'Union européenne et ses États membres pour des mesures de protection salariale que Bruxelles juge trop strictes.

Une manœuvre de Pierre-Yves Maillard?

Ce freinage sur le plan intérieur est désastreux pour Ignazio Cassis, pour une fois que la situation semble se débloquer à l'échelle européenne. Pouvoir annoncer une avancée dans les négociations aurait été le signal que le chef du DFAE attend depuis si longtemps, lui que l'on dit englué dans le dossier européen.

Elle aurait été d'autant bienvenue qu'on prête à Ignazio Cassis et à certaines voix au PLR une volonté de changer de département. La patate aurait donc été un peu moins chaude au moment de transmettre le dossier européen à un successeur potentiel. Avec les élections fédérales qui se profilent à l'automne prochain, il y a fort à parier que les négociations avec Bruxelles soient politiquement gelées.

Dans le camp d'Ignazio Cassis, on se demande dans quelle mesure il ne pourrait pas s'agir d'une tactique politicienne de Pierre-Yves Maillard. Si le Vaudois veut accéder au Conseil fédéral, il a tout intérêt à ce qu'Alain Berset — dont il convoiterait alors le siège — n'y passe pas encore huit ans. Et donc il ne faut pas, pour «PYM», que le Fribourgeois aille au DFAE, dans quel cas il serait reparti pour un tour. Il saboterait alors à dessein cette victoire d'étape d'Ignazio Cassis pour «forcer» ce dernier à rester aux Affaires étrangères.

La recherche scientifique est aussi en jeu

Toute cette histoire a des conséquences en cascade. Selon Hans-Peter Portmann, il faudrait même... faire élire Elisabeth Baume-Schneider le 7 décembre prochain pour propulser trois Romands au Conseil fédéral et éviter que Pierre-Yves Maillard ne puisse briguer la succession d'Alain Berset en cas de démission du Fribourgeois. «Pierre-Yves Maillard ne peut pas être récompensé en accédant au gouvernement alors qu'il a bloqué le dossier européen!», s'emporte le conseiller national zurichois.

Quoi qu'il en soit, Ignazio Cassis est pris en otage par le «non» de Pierre-Yves Maillard. S'il veut avancer à Bruxelles, il a absolument besoin de l'aval du patron des syndicats. Car l'Union européenne s'impatiente: elle veut bien laisser passer encore «une ou deux séances de discussion» avant de négocier, dit-on.

La situation est compliquée par le fait que des élections européennes sont prévues en mars 2024. Une grande partie du personnel politique sera alors remplacée. Le vice-président de la Commission européenne, Maros Sefcovic, souhaite absolument que le litige avec la Suisse — qui relève de sa compétence — soit réglé d'ici là, à savoir qu'un accord doit être paraphé avant décembre 2023.

Ce qui nous ramène à la politique intérieure helvétique: Bruxelles fait dépendre de ces progrès la participation des scientifiques suisses et de leurs universités aux programmes de recherche européens comme Horizon. Une responsabilité de plus pour Pierre-Yves Maillard. À moins qu'il s'agisse d'un atout dans sa manche?

Affaire à suivre...

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