C’est en pleine pandémie que Dieter Vranckx a pris les commandes de Swiss, début 2021. Depuis son entrée en fonction, la diminution du nombre de réservations, des avions retenus au sol et des vols annulés ont entraîné des chiffres dans le rouge et la colère des clients. Les crises se succèdent: suppressions massives d’emplois, conflit avec le personnel au sol et aérien… La grève des pilotes a pu être évitée de justesse cette semaine.
Monsieur Vranckx, êtes-vous masochiste?
Non, les crises ont toujours fait partie du secteur de l’aviation.
Votre poste de CEO de Swiss doit être une véritable torture en ce moment.
Je n’ai pas regretté un seul instant mon retour à Swiss au cours des deux dernières années. La compagnie a toujours été très importante pour moi. J’ai passé les deux tiers de ma carrière chez Swissair et Swiss. Remettre cette compagnie aérienne sur des bases financières stables et créer des perspectives pour nos collaborateurs et nos clients me tient particulièrement à cœur.
Jusqu’à présent, Swiss n’a enregistré que des pertes, a supprimé 1700 emplois à plein temps et a réduit sa flotte de 15%. Que faites-vous de bien?
Les pertes de 2020 et 2021 sont dues à la pandémie mondiale – toutes les autres compagnies aériennes du monde étaient dans la même situation que nous. Mais laissez-moi être clair: l’objectif n’a jamais été de supprimer des postes ou de réduire la flotte. L’objectif est de maintenir Swiss en vie et de la rendre compétitive pour l’avenir, à travers une restructuration.
Vous avez commis une erreur de management en licenciant trop de personnel de cabine à l’hiver 2021. Cela s’est retourné contre vous: des centaines de vols ont dû être annulés durant l’été.
A posteriori, avec les connaissances d’aujourd’hui, on peut dire que nous aurions pu prendre une autre décision. Mais à l’époque, nous avions aussi une autre vision de notre avenir. Il fallait partir du principe que le Covid-19 et ses restrictions allaient durer encore longtemps.
Lorsque vous vous êtes rendu compte de votre erreur et que vous avez voulu récupérer les 300 hôtes et hôtesses de l’air licenciés, beaucoup vous ont dit non. Vous avez dû, à la place, chercher et former du nouveau personnel, cela a coûté du temps et de l’argent.
Avec un peu plus de 200 collègues, c’est environ la moitié du personnel de cabine qui est revenue. Et nous n’avons pas été aussi mauvais cet été que vous le dites. Nous avons assuré 99% de nos vols en juillet et même 99,4% de nos vols en août. Ce sont de meilleurs chiffres qu’en 2019, c’est-à-dire comme avant la pandémie! En comparaison européenne avec nos concurrents, nous nous en sortons très bien, surtout en ce qui concerne les annulations de vols.
Vous êtes apprécié en interne par le personnel, notamment pour votre humanité, ce qui ne va pas de soi pour un CEO en temps de crise. Est-ce que cela vous touche quand vous devez supprimer des emplois?
Cela me fait mal quand une collaboratrice ou un collaborateur perd son emploi. J’aurais de loin préféré garder tout le monde à bord. Mais j’ai aussi une responsabilité envers tous les autres collaborateurs. Ma première tâche est de veiller à ce que l’entreprise ait un avenir stable. Mais c’est important pour moi de mentionner ceci: cette année encore, nous allons pouvoir verser un montant de plusieurs millions à l’ensemble du personnel de Swiss.
Votre compagnie aérienne est-elle à nouveau compétitive?
Oui. Le prêt Covid a été entièrement remboursé. Les neuf premiers mois de cette année ont été rentables. Nous nous attendons également à un bénéfice important pour l’ensemble de l’année. Vis-à-vis du personnel, les choses se présentent tout aussi bien. Nous aurons déjà embauché 800 nouveaux collaborateurs travaillant en cabine cette année. Et en 2023, nous prévoyons d’ajouter 1000 personnes en cabine et 80 pilotes.
Le personnel de cabine demande un salaire de base de 4000 francs au lieu de 3400 francs et des horaires de travail plus flexibles. Allez-vous vous mettre d’accord sur ces points cette année encore?
C’est mon grand objectif. Nous voulons atteindre une certaine stabilité en 2023, non seulement sur le plan opérationnel, mais aussi sur le plan interne. Nous avons déjà trouvé un accord avec le personnel au sol et les pilotes. Nous voulons maintenant trouver un compromis avec le personnel navigant d’ici la fin de l’année. Je suis conscient que de telles négociations sont difficiles à mener et peuvent durer longtemps – nous l’avons bien constaté récemment avec les pilotes. Mais l’objectif doit être de trouver un équilibre entre les besoins du personnel et ceux de l’entreprise.
Un pilote gagne largement plus qu’une hôtesse de l’air. Jusqu’à 211’000 francs par an, sans compter les primes. Menacer de faire grève était tout à fait déplacé, non?
Les différences de classes de salaires au sein de nos groupes de personnel ne sont pas nouvelles. Nous essayons toujours d’éviter la grève. Heureusement, en Suisse, tous sont prêts à faire des compromis.
Vous vous montrez très diplomate. Les pilotes ont perdu la sympathie de la population, mais vous leur avez quand même donné 4,3% d’augmentation. Etait-ce mal négocié?
Parler d’une longue négociation serait plus juste! C’est une solution qui convenait aux deux parties. Vous savez, je n’oublie pas et je suis reconnaissant envers nos pilotes: ils ont joué – comme tous les autres collaborateurs – un rôle très important pendant la pandémie. Les vols vers la Chine en sont un bon exemple. Les pilotes, tout comme le personnel navigant, n’avaient pas le droit de quitter l’hôtel, devaient porter des combinaisons de protection, etc. Le métier de pilote a perdu de son glamour avec le Covid-19.
Combien vous a coûté l’accord avec les pilotes?
Le syndicat des pilotes Aeropers demandait 200 millions de francs. Nous avons refusé cette requête et offert 60 millions. Au final, nous avons conclu un accord qui se situe au milieu de ces deux montants. Je ne vais pas vous préciser lequel.
L’image de Swiss a également souffert au cours des deux dernières années. De toute façon, vous volez sous un faux drapeau: Swiss est une compagnie aérienne allemande appartenant au groupe Lufthansa, camouflée par une croix suisse sur son aileron arrière.
Swiss est chez elle à l’aéroport de Zurich-Kloten. Nous payons des impôts ici, et plus de 80% de nos collaborateurs ont la nationalité suisse. Notre mission est de relier la Suisse au monde. Nous jouons également un rôle important dans la chaîne logistique. Tout cela est lié à la Suisse, et non à la Lufthansa en Allemagne. Nous sommes fiers de faire partie d’un groupe aéronautique fort comme le Lufthansa Group. Cela apporte de grands avantages. Il n’y a presque plus de compagnies aériennes qui réussissent toutes seules.
Où se prennent les décisions pour Swiss: ici à Zurich ou au siège de Lufthansa à Francfort?
En principe, c’est nous qui décidons en Suisse. Nous avons un conseil d’administration ici à Zurich qui approuve ces décisions. Bien entendu, nous informons aussi le groupe Lufthansa. Et bien sûr, Francfort aurait le dernier mot si quelque chose ne leur convenait pas. Mais depuis que je suis à la tête de Swiss, cela n’est jamais arrivé.
Swiss veut être une compagnie aérienne haut de gamme. Elle n’a pas répondu à cette exigence au cours des deux dernières années et demie, n’est-ce pas?
Depuis la pandémie de Covid-19, nous ne sommes pas encore arrivés exactement là où nous souhaitions aller. Mais aujourd’hui, nous sommes plus «premium» qu’il y a un an. Nous avions alors des problèmes avec notre service clients, les temps d’attente étaient tout simplement trop longs. Aujourd’hui, nous avons fait d’énormes progrès. Le délai de réponse est désormais de 90 secondes en moyenne. Et pour l’année prochaine, nous prévoyons une grande offensive en matière de service et de qualité.
C’est-à-dire?
Nous allons continuer à investir des milliards dans notre flotte. Au cours des prochaines années, nous allons faire voler 17 nouveaux Airbus A320neo pour remplacer les anciennes générations – ce sont des avions ultramodernes. Ensuite, nous étendrons notre gamme Premium Economy, déjà disponible sur tous les Boeing 777, à nos autres avions long-courriers Airbus A340. En classe affaires, nous continuerons à proposer tous les trois mois de nouveaux menus élaborés par de grands chefs suisses. Et dans la cabine, le service sera encore amélioré grâce à 1800 hôtesses et stewards supplémentaires.
A propos de vols long-courriers, les affaires reprennent-elles?
En grande partie. La demande pour aller aux Etats-Unis est élevée. En ce qui concerne les vols outre-Atlantique, les affaires reprennent extraordinairement bien. Mais l’Asie s’ouvre lentement. La Chine m’inquiète. Il est difficile de dire quand les choses redémarreront vraiment. Nous estimons une reprise à l’été 2023, mais nous devons nous laisser surprendre.
Prendre l’avion est devenu légèrement plus cher en 2022. Les prix des billets d’avion vont-ils continuer d’augmenter?
Le marché est très dynamique. Mais je m’attends à ce que les billets d’avion deviennent plus chers à moyen et long terme. D’une part, parce que nous, Swiss, investissons beaucoup d’argent dans notre nouvelle flotte. D’autre part, parce que nous voulons voler de manière toujours plus durable. Nous investirons beaucoup d’argent à cet effet d’ici 2030 – par exemple pour nous fournir en carburant durable. Cela coûte très cher. Nous assumons une partie des coûts supplémentaires en tant qu’entreprise, et nous essaierons de répercuter l’autre partie sur les clients. Mais en fin de compte, les prix seront définis par le marché.
Vous êtes optimiste pour les années à venir. Vous avez l’air à l’aise en temps de crise. La situation semble s’améliorer, allez-vous donc bientôt prendre votre envol?
Ce n’est pas parce que j’ai vécu de nombreuses crises que je n’apprécie pas les périodes plus calmes (rires). Je ne veux pas seulement faire partie du redressement de la compagnie, je veux aussi faire partie de sa success story.