Une guerre en plein cœur de l’Europe. Jusqu’à la semaine dernière, personne ne l’aurait cru — et pourtant. À la fin de la Guerre froide, le monde semblait se tourner ad vitam æternam vers la paix. En 1989, le Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA) lançait une initiative pour supprimer l’armée suisse: 35% des votants y avaient répondu de manière favorable.
En 2009, alors que la paix régnait encore en Europe, le conseiller fédéral UDC Ueli Maurer, fraîchement élu ministre de la Défense, s’était vu devoir justifier l’existence de l’armée, et comment la maintenir à flot. Cela s'était révélé particulièrement frappant lors d’une assemblée de l’UDC, où il avait admis qu’aucun ennemi n’était présent, mais que des dangers menaçaient tout de même.
Des visions drastiquement différentes du danger
Comme on peut le lire dans le journal du GSsA 138 du 16 mai 2009, Ueli Maurer s’était lancé lors de cette assemblée «dans un véritable feu d’artifice de menaces». Il y avait fait référence au terrorisme islamiste, à la possibilité d’attaques contre les transversales alpines, aux attaques informatiques et aux bandes de jeunes dans les banlieues.
Mais Ueli Maurer avait également évoqué une autre menace: il a parlé d’un conflit sur les ressources, à l’exemple du différend gazier entre l’Ukraine et la Russie!
Le GSsA n’avait pas pris ces avertissements au sérieux. Le groupe avait vivement critiqué, à l’époque, les interventions du conseiller fédéral: «L’armée a besoin d’une menace contre laquelle elle puisse lutter pour répondre à une crise existentielle profonde. Ueli Maurer tente de résoudre ce dilemme en énumérant tout ce qui peut provoquer un sentiment de peur au sein de son auditoire.»
Le mouvement tirait ses conclusions sur un air moqueur: «Après les discours de Ueli Maurer, le plus grand ennemi de l’armée suisse est sans doute son absence d’ennemi.»
Un conflit qui «se dessinait depuis longtemps»
Plusieurs des pronostics du conseiller fédéral UDC se sont, contre toute attente, réalisés: montée de l’islamisme, attaques de hackers et maintenant une guerre ouverte entre la Russie et l’Ukraine, qui menace l’ordre mondial.
Ueli Maurer, qui est entre-temps passé du département de la Défense au ministère des Finances, déclare aujourd’hui à Blick à propos de ses prévisions d’alors et des moqueries du GSsA: «Je n’ai jamais partagé cette grande euphorie à propos de la paix. Ces potentiels d’escalade se dessinaient depuis longtemps, qu’il s’agisse d’islamisme radical ou de la situation explosive de l’Ukraine, en tant que tampon entre l’Occident et la Russie.»
En tant que chef du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS), il avait réussi à faire augmenter le budget de l’armée de 4 à 5 milliards, en réponse à ces développements menaçants. «Je salue les efforts actuels visant à augmenter encore une fois clairement ce budget», déclare-t-il.
L’armée profiterait de la peur
Le GSsA se justifie des moqueries proférées à l’époque. Interrogée par Blick, sa secrétaire, Anna Lindermeier, écrit qu’Ueli Maurer a établi un lien exagéré entre les dangers mentionnés et le rôle de l’armée suisse. «Ni l’islamisme ni le conflit ukrainien ne sont des défis dans lesquels l’armée suisse joue un rôle. Cela reste vrai», déclare-t-elle.
Selon elle, la peur et le désir de sécurité sont des réactions humaines naturelles face aux menaces. «L’armée profite de cette peur pour justifier son existence, mais ne nous protège pas. Un réarmement ne ferait qu’augmenter le risque d’une escalade de violence sur le continent.»
Vers une augmentation des dépenses militaires?
Pourtant, un rapide coup d’œil chez nos voisins les plus proches amène à relativiser. Par exemple, le récent gouvernement social-démocrate allemand d’Olaf Scholz mise depuis l’invasion de l’Ukraine sur un réarmement massif. Il veut investir 100 milliards d’euros dans la défense et faire passer le budget de la défense de 1,4% du produit intérieur brut (PIB) à 2%.
En Suisse aussi, l’UDC réclame une augmentation des dépenses militaires. On parle d’un ajustement à 1% du PIB, ce qui correspondrait à une augmentation de 5 à 7 milliards de francs.
(Adaptation par Quentin Durig)