Au début de l’année, Yvonne Gilli, présidente de la Fédération des médecins suisses (FMH), avait fait couler beaucoup d’encre. Elle avait refusé de dire si elle allait se faire vacciner contre le Covid-19.
Dans une interview à Blick, Yvonne Gilli prend position sur la question de la vaccination – et sur la manière dont notre société traite les personnes non vaccinées.
Il y a un an, vous ne vouliez pas révéler si vous alliez vous faire vacciner contre le Covid-19. Permettez-moi néanmoins de vous reposer la question: êtes-vous vaccinée?
Yvonne Gilli: Oui, j’ai été vaccinée deux fois.
Je ne suis pas emballée par votre question. J’ai longtemps siégé au conseil de fondation de l’Organisation suisse des patients et j’y ai défendu les droits des patients. La protection des données de l’historique médical en fait partie. En posant la question du statut vaccinal, vous en faites fi.
Vous n’êtes pas n’importe quel médecin, mais la présidente de la Fédération des médecins suisses.
Dans une telle position, il est d’autant plus important de défendre les droits des patients. En revanche, il est légitime de se demander ce que le corps médical pense de la vaccination. Notre message est clair: nous recommandons la vaccination comme principale solution pour sortir de cette pandémie.
Vous dites que la vaccination relève du privé. Le fait est que les personnes non vaccinées contribuent à prolonger la pandémie.
La vaccination permet d’éviter les évolutions graves de la maladie et donc de surcharger le système de santé. C’est le but recherché. Mais les personnes non vaccinées peuvent également aider à surmonter la pandémie en adoptant un comportement responsable. La question est en effet de savoir qui sont les non-vaccinés. La proportion d’opposants à la vaccination que nous ne pouvons pas convaincre de se faire vacciner est infime. Il n’est pas stratégique de se focaliser sur eux.
Un quart de tous ceux qui peuvent se faire vacciner ne le sont pas. On ne peut donc pas parler d’une petite minorité.
Parmi les personnes non vaccinées, les opposants à la vaccination ne représentent qu’une minorité. La grande majorité de ces individus a des craintes ou des questions concernant la vaccination; on peut donc aller les chercher en leur proposant des conseils individualisés. Une autre partie des non-vaccinés est constituée de ceux qui sont passés par la maladie. On ne peut pas dire d’eux qu’ils prolongent la pandémie. Et puis il y a ceux qui ne veulent pas se faire vacciner pour différentes raisons. Que ce soit parce qu’ils sont critiques vis-à-vis des vaccins actuellement disponibles, ou parce qu’il s’agit d’une personne très âgée qui accepte de mourir de la maladie.
Il est donc acceptable de risquer volontairement une hospitalisation en pleine pandémie?
D’un point de vue épidémiologique, nous n’aurions pas de surcharge des hôpitaux si toutes les personnes à risque et une grande majorité des adultes se faisaient vacciner. Mais dire que les personnes non vaccinées occupent les places de soins intensifs et que d’autres traitements doivent donc être reportés, c’est polémiquer. Personne ne prend volontairement le risque de se retrouver à l’hôpital.
Vous parlez de polémique. Les médecins dans les hôpitaux y voient une réalité.
Tout dépend de la phase de la pandémie dans laquelle nous nous trouvons. Si beaucoup de gens ne sont pas vaccinés, il y a proportionnellement beaucoup de personnes non vaccinées dans les unités de soins intensifs. En Israël, lorsque la majorité de la population était vaccinée, mais avant l’administration de la troisième dose, il y avait soudain beaucoup de personnes vaccinées aux soins intensifs.
D’après votre expérience de médecin généraliste, quelles sont les raisons qui poussent les gens à ne pas se faire vacciner?
Chaque personne a une histoire de vie différente. Il se peut que celle-ci soit marquée par des peurs. Ou qu’elle ait eu des effets secondaires graves à la suite de la prise d’un médicament et qu’elle ait maintenant peur des nouvelles substances. D’autres personnes vivent peut-être dans une bulle et pensent ainsi ne pas être menacées par la maladie. Il existe de nombreuses raisons pour lesquelles les gens refusent de se faire vacciner. Lors d’un entretien dans le cabinet du médecin de famille, il est possible de convaincre ces personnes. L’expérience montre qu’après une consultation individuelle, presque tous se décident à se faire vacciner.
Pouvez-vous donner un exemple?
Lors de sa visite, une personne originaire des Balkans s’est inquiétée du fait que la vaccination pourrait rendre stérile. Il s’agit d’une théorie du complot sans aucune base scientifique. J’ai pu la convaincre en lui expliquant que mes trois fils sont en âge d’avoir des enfants, et ils sont tous les trois vaccinés. Si j’avais le moindre doute sur la vaccination, je ne l’aurais certainement pas recommandée à mes fils.
Comment la personne concernée a-t-elle réagi?
Une semaine plus tard, toute sa famille était vaccinée.
Il y a un an, vous avez critiqué le fait que l’OFSP n’impliquait pas suffisamment les médecins dans la lutte contre la pandémie. La situation s’est-elle améliorée depuis?
Malheureusement, non. Le dernier exemple est celui de la troisième dose. Nous, les médecins, avons appris par les journaux qu’elle allait arriver. Aussitôt, les patients nous ont bombardés de demandes – alors qu’à ce moment-là, il n’y avait même pas de recommandation officielle quant à savoir pour qui le Booster serait disponible ou à partir de quand il serait livré.
Cela doit être frustrant.
C’est moins frustrant qu’inquiétant. Nous ne faisons pas le maximum dans la lutte contre le coronavirus. Et ce, bien que le nombre de cas augmente et que des mesures supplémentaires sont nécessaires de toute urgence. Les politiques risquent d’aggraver la situation en voulant imposer un budget global au secteur de la santé.
Vous évoquez le projet de maîtrise des coûts de la santé dont le Parlement débattra lors de la session d’hiver.
L’exemple tragique d’un pays qui opère avec un budget global est l’Angleterre. Là-bas, la pression sur les coûts a mené les hôpitaux à avoir beaucoup trop peu d’infirmiers en soins intensifs. Au plus fort de la pandémie, la moitié des patients de ces unités sont décédés par manque de personnel. Avec un budget global, la Suisse prendrait une direction similaire: au lieu de réduire les charges administratives, on économiserait sur les soins aux patients. Le Conseil des Etats a désormais la possibilité d’éviter une dangereuse décision.