Le nouveau chef de la banque privée Julius Baer s'appelle Stefan Bollinger. Il est l'un des rares Suisses à être devenu partenaire de Goldman Sachs, probablement la banque la plus importante de Wall Street. Stefan Bollinger y est chef adjoint de la division Private Banking pour la région Europe, Moyen-Orient et Afrique. Un rôle à la fois étonnant... et pas si étonnant que ça.
Originaire de Winterthour, il a appris son métier sur le tas. Il a fait un apprentissage bancaire à la Banque cantonale de Zurich (ZKB) et est parti à 25 ans pour Londres, où il a d'abord travaillé chez JP Morgan, puis pendant de nombreuses années chez Goldman Sachs. Stefan Bollinger, qui a suivi une formation d'analyste financier après son école de commerce, est considéré comme un travailleur acharné. Chez Julius Baer, c'est notamment sa vaste expérience pratique qui a fait pencher la balance en sa faveur.
Un chef de banque avec un diplôme de commerce? C'est loin d'être une exception en Suisse. Cinq des six plus grandes banques sont aujourd'hui dirigées par d'anciens apprentis de commerce. Le directeur de l'UBS Sergio Ermotti a fait son apprentissage à la Cornèr Bank de Lugano (TI). Le directeur de Raiffeisen Heinz Huber, Beat Röthlisberger de Postfinance et Manuel Kunzelmann de la banque Migros ont également suivi un apprentissage bancaire. A la ZKB, c'est un économiste de la HSG, Urs Baumann, qui est à la tête depuis bientôt deux ans. Il a succédé à Martin Stoll, diplômé d'école de commerce, qui a dirigé la banque avec succès et sans faire de bruit pendant 15 ans.
Le sens de la clientèle
Pour Rudolf Strahm, ancien conseiller national et préposé à la surveillance des prix, l'apprentissage professionnel offre aujourd'hui encore une bonne base pour une carrière bancaire réussie. «Celui qui apprend à faire des affaires depuis le début développe très tôt un bon flair pour les clients et leurs préoccupations – c'est peut-être l'une des conditions les plus importantes pour réussir dans le secteur bancaire», explique Rudolf Strahm qui, en tant que publiciste, s'intéresse de près à la formation professionnelle et met en garde contre une académisation excessive.
Selon Rudolf Strahm, les professionnels titulaires d'un diplôme d'apprentissage ont un avantage décisif sur les universitaires: «Ils disposent d'un savoir pratique que les diplômés des hautes écoles n'ont pas». Pour lui, l'apprentissage permet aussi de s'exercer à la ponctualité, à la fiabilité et à la capacité de s'imposer. «Les jeunes apprennent à travailler en équipe et à assumer la responsabilité de projets – ce qu'on appelle aujourd'hui les soft skills.» La spécialiste en sciences de l'éducation Margrit Stamm parle dans ce contexte d'«intelligence pratique».
Les avantages d'un apprentissage professionnel sont malheureusement de moins en moins bien perçus, estime Rudolf Strahm. Selon lui, au sein des élites académiques, obtenir un diplôme professionnel est souvent considéré comme un obstacle social ou même une impasse: «A Zurich par exemple, de nombreux expatriés allemands insistent pour que leurs enfants suivent un parcours académique traditionnel via les gymnases, uniquement pour connaître des résultats moyens à l'université.» Au contraire, il explique que l'apprentissage offre de nombreuses opportunités, affirme Rudolf Strahm, comme la formation professionnelle supérieure, la maturité professionnelle ou la passerelle. Ces options permettent aux diplômés de l'apprentissage d'accéder sans examen aux hautes écoles spécialisées ou aux universités
«Une entrée idéale dans la vie professionnelle»
Selon l'Office fédéral de la statistique, les diplômes professionnels dans l'apprentissage bancaire sont en recul. Entre 2019 et 2023, ils sont passés de 1069 à 939. Cette baisse pourrait être liée à la diminution du nombre de banques. De nombreux regards sont donc tournés vers l'UBS. Une porte-parole affirme que le nombre d'apprentis recrutés pour 2024 a été «maintenu à un niveau stable». À l'UBS, 380 apprentis de commerce et d'informatique devraient commencer cette année.
Chez Raiffeisen, 241 apprentis de commerce commencent cette année – le nombre le plus élevé depuis dix ans, dit un porte-parole de la banque coopérative. Avec actuellement 650 apprentis bancaires de commerce, le groupe Raiffeisen est l'un des plus grands formateurs de la relève bancaire. Environ la moitié des apprentis obtiennent une maturité professionnelle parallèlement à leur apprentissage.
Le patron de Raiffeisen, Heinz Huber, ne regrette pas non plus ses années d'apprentissage. «Un apprentissage de commerce dans une banque est une entrée idéale dans la vie professionnelle et permet d'acquérir très tôt une expérience marquante», dit-il à Blick. Aujourd'hui, les domaines d'activité des apprentis sont plus vastes, «plus créatifs et moins répétitifs – mais aussi plus exigeants».
Certes, les diplômés en commerce comme Stefan Bollinger ou Heinz Huber ne garantissent pas une gestion bancaire irréprochable. Ils peuvent, eux aussi, commettre des erreurs d'appréciation. Sous Marcel Ospel, également diplômé d'une école de commerce, l'UBS a subi des pertes de plusieurs milliards. Mais si l'on observe les biographies des cadres supérieurs de Credit Suisse, on constate que pour les dernières années, ce sont presque tous des universitaires qui ont été aux manettes.
Dernièrement, les économistes Ueli Körner et Axel Lehmann, tous deux titulaires d'un doctorat de l'Université de Saint-Gall, ont conduit la banque vers l'abîme. Auparavant, le juriste d'entreprise Urs Rohner avait marqué Credit Suisse de son empreinte et avait nommé à sa tête Tidjane Thiam, un diplômé d'une grande école française.
Tous des universitaires très intelligents – mais peut-être dotés d'une «intelligence pratique» médiocre.