Les pacifistes ont de quoi être de mauvaise humeur. Face à la déstabilisation du système international, les armées grossissent leurs rangs, les carnets de commande des marchands d'armes se remplissent. Les Allemands vont s'équiper pour pas moins de 100 milliards d'euros. En outre, ils vont livrer du matériel de guerre lourd à l'Ukraine. Et des pays neutres comme la Suède veulent se réfugier sous le parapluie nucléaire de l'OTAN.
Dans le même temps, la Suisse prévoit de racheter de nouveaux avions de combat et le Conseil fédéral veut augmenter les dépenses de l'armée... un changement d'époque qui aurait de quoi déstabiliser les opposants à l'armée. Parmi les Verts, le pacifisme ancestral n'est plus guère perceptible. En Allemagne, où le parti écologiste participe au gouvernement, certains de ses membres semblent trépigner à l'idée de livrer des chars à un pays en guerre.
Par ailleurs, le réarmement a le vent en poupe parmi l'électorat. Un sondage de Blick confirme que les Suisses veulent se rapprocher de l'OTAN et investir plus d'argent pour la défense. L'initiative contre le F-35 n'a guère de chance d'aboutir.
Le premier pacifiste de Suisse devrait donc être de très mauvaise humeur. Mais apparemment, ce n'est pas le cas. Face à nous, Jo Lang sourit.
Aucune raison d'être découragé
Jo Lang? C'est le pacifiste le plus célèbre de Suisse. Outre-Sarine, ce Zougois est pratiquement une star. Cofondateur du groupe pour une Suisse sans armée (GSsA), il est un écologiste de la première heure qui fustige depuis plus de 40 ans les affaires de la place financière suisse. Député local, puis conseiller national, il participe activement à la vie politique suisse depuis des décennies.
Nous l'avons rencontré lors du week-end pascal près de Berne, dans un camping-bar sis au bord de l'Aar. C'est ici que débute la traditionnelle marche de Pâques annuelle des pacifistes. Jo Lang, avec sa coiffure habituelle inénarrable et son nœud aux couleurs de l'Ukraine au revers de la veste, sont encore seuls.
Nour profitons du calme avant la tempête pour lui demander si les pacifistes sont découragés par les récents événements. Jo Lang fait signe que non. Le pacifisme a déjà subi bien plus de pressions, par exemple pendant les guerres des Balkans dans les années 90, explique-t-il: «C'étaient des questions difficiles à l'époque, et il n'y avait pas de manifestants dans la rue. Tout le monde était comme paralysé».
Rien avoir avec la situation actuel, estime-t-il: rien qu'à Zurich, plus de 40'000 personnes sont descendues dans la rue contre la guerre en Ukraine à la deuxième semaine du conflit. Bien sûr, il constate aussi que la pensée militaire s'est renforcée. Mais personne ne sait si c'est «conjoncturel ou structurel». Si tout n'est qu'une phase.
On sent donc de la sérénité chez cet homme aimable. Est-ce de l'optimisme, ou un déni de réalité?
Doux, mais impitoyable
En guise de réponse, il fait glisser un article sur la table. L'auteur? Lui-même. On voit sur sa feuille des jeunes gens portant des masques et des banderoles. «Devant Nord Stream à Zoug, nous, les Verts alternatifs, avons mené une quarantaine d'actions depuis 2016», précise-t-il. Il appelle cela de «l'antipoutinisme politique».
A quoi cela a-t-il servi, toutes ces années? Joseph Lang répond, tout sourire: «On ne peut rien reprocher aux gens quand ils ont essayé. Ce n'est que lorsqu'on n'essaie pas que c'est un échec».
L'échec, il le voit chez l'adversaire. Ses ennemis préférés sont les vieilles connaissances qu'il avait à l'époque où il se trouvait à Zoug, les partisans des paradis fiscaux et des avantages aux riches. Il déplore «le sarcasme» du président du Centre Gerhard Pfister (qui avait déclaré que «nous (la Suisse) recevrons toujours une raclée si un pétrolier coule dans le monde et que son entreprise a son siège à Zoug»), il reproche «le refus de travailler» du directeur des finances de l'UDC zougoise Heinz Tännler lors de l'application des sanctions (Heinz Tännler avait rétorqué: «Ce n'est quand même pas à nous de jouer à la police et de faire le tour de chaque entreprise»). Et Jo Lang poursuit. «Pourquoi Poutine a-t-il été si longtemps ménagé par les politiciens et les médias de notre pays?», tonne l'ex-enseignant.
Jo Lang s'énerve aussi de temps en temps
Il est temps de partir pour la marche de Pâques. Avant celle-ci, Jo Lang se joint brièvement aux vendeurs de drapeaux arc-en-ciel, dont les recettes renflouent le trésor de guerre du groupe pacifiste. Son charisme aide manifestement à la vente.
Les médias se pressent autour de lui. Il est toujours le visage le plus connu du mouvement, à la bonne humeur garantie: devant la caméra, il s'anime. Il tape du poing sur la table, agite les bras, prend à partie. Jo Lang est un professionnel et sait se mettre en scène.
Question des journalistes: comment peut-il, en tant que pacifiste, être favorable aux livraisons d'armes? Il s'est en effet exprimé en faveur du soutien européen militaire à l'Ukraine.
Tout d'abord, il estime qu'il s'agit d'une discussion artificielle, «parce que nous, les Suisses, n'avons pas le droit de livrer». Jo Lang s'emporte alors presque un peu, il trouve que le débat est une claire diversion par rapport aux sanctions et aux livraisons d'argent à Poutine.
Mais il finit tout de même par exprimer le paradoxe : «Il est logique que l'Ukraine se défende avec des armes. En tant que pacifistes, nous ne voulons pas qu'un chef de guerre comme Poutine gagne. C'est pourquoi il est admissible de livrer certaines armes».
Plutôt une maison de retraite qu'un lieu de rencontre pour les jeunes
Des livraisons d'armes avec la bénédiction des pacifistes: les jeunes du GSsA ont également de la peine à trancher dans le cas de l'Ukraine (voir encadré). «Il n'y a pas de vie sans contradictions. Et de politique encore moins», explique Jo Lang.
Le comité du Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA) s'est réuni samedi à Berne pour décider de la question des livraisons d'armes. Conformément à sa politique de sécurité antimilitariste, le GSsA est clairement opposé à ce que la Suisse livre des armes à d'autres pays, a déclaré la secrétaire du GSsA Anja Gada.
La question de savoir si le groupe s'oppose de manière générale aux livraisons d'armes, par exemple dans le cas de l'Allemagne qui veut désormais armer l'Ukraine, est plus délicate. «Nous n'avons pas pris de position à ce sujet samedi», explique Anja Gada. Ce n'est pas la tâche d'une organisation pacifiste en Suisse de juger de la situation à l'étranger. Il est plutôt important de stopper immédiatement le financement de la guerre par le commerce de pétrole et de gaz russes via la Suisse.
Le GSsA reconnaît le droit à l'autodéfense de la population ukrainienne et soutient la résistance civile en Ukraine ainsi que les opposants à la guerre de la Russie. Ce dimanche, lors de son assemblée générale à Soleure, le GSsA veut adopter une résolution sur l'asile dans les ambassades. Celui-ci doit être réintroduit pour les objecteurs de conscience et les déserteurs russes afin qu'ils obtiennent l'asile en Suisse.
Le comité du Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA) s'est réuni samedi à Berne pour décider de la question des livraisons d'armes. Conformément à sa politique de sécurité antimilitariste, le GSsA est clairement opposé à ce que la Suisse livre des armes à d'autres pays, a déclaré la secrétaire du GSsA Anja Gada.
La question de savoir si le groupe s'oppose de manière générale aux livraisons d'armes, par exemple dans le cas de l'Allemagne qui veut désormais armer l'Ukraine, est plus délicate. «Nous n'avons pas pris de position à ce sujet samedi», explique Anja Gada. Ce n'est pas la tâche d'une organisation pacifiste en Suisse de juger de la situation à l'étranger. Il est plutôt important de stopper immédiatement le financement de la guerre par le commerce de pétrole et de gaz russes via la Suisse.
Le GSsA reconnaît le droit à l'autodéfense de la population ukrainienne et soutient la résistance civile en Ukraine ainsi que les opposants à la guerre de la Russie. Ce dimanche, lors de son assemblée générale à Soleure, le GSsA veut adopter une résolution sur l'asile dans les ambassades. Celui-ci doit être réintroduit pour les objecteurs de conscience et les déserteurs russes afin qu'ils obtiennent l'asile en Suisse.
La marche se met en mouvement. Jo Lang enfile un gilet orange de la protection des manifestations, contrôle encore une fois les slogans de quelques banderoles par mesure de sécurité. En dépit de la situation mondiale actuelle, la marche n'attire pas vraiment les foules. Ce serait presque une raison de plus pour être de mauvaise humeur en tant que pacifiste. C'est les vacances et le beau temps, estime Jo Lang, qui espère à long terme que la jeunesse climatique sera gagnée au mouvement pour la paix. Mais ce jour-là, le gros des militants vient plutôt de la maison de retraite que du centre de jeunesse. Un peu moins de 1000 personnes sont là.
Il sait comment prêcher
Et Jo Lang est au milieu de tout cela. «Je pourrais sans problème me passer de ce brouhaha», assène-t-il. Pendant la pandémie, il a vécu ses premières années de calme. Il part chaque semaine en randonnée avec sa compagne et dort au moins sept heures. Mais il s'est mis à faire des cauchemars après l'arrivée des réfugiés, car il a «soudain ressenti une responsabilité».
La marche de Pâques atteint son but, la place de la cathédrale de Berne. Les pacifistes de longue date semblent parfois un peu désemparés en ces temps de folie. Peut-être qu'aux heures creuses, Jo Lang, qui maintient la façade de bonne humeur, s'avouera lui aussi fâché de constater que l'opinion publique semble s'être ralliée aux militaristes et aux transatlantiques. Mais aujourd'hui, il n'a pas d'heure creuse. «Je peux me regarder dans le miroir», affirme-t-il. En souriant.
(Adaptation par Jocelyn Daloz)