«Je pleurais presque tous les soirs»
Une employée a vécu l'enfer dans des salons de manucure suisses à bas prix

La Grecque Rhea K., âgée de 22 ans, sait ce que cela signifie de traverser des épreuves. A 19 ans, elle a été victime des pratiques douteuses de deux salons de manucure à Zurich. Pendant deux ans, elle a vécu l'enfer. Elle raconte aujourd'hui son histoire.
Publié: 07.01.2025 à 15:56 heures
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Dernière mise à jour: 07.01.2025 à 16:45 heures
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Rhea K. est arrivée en Suisse en 2021 avec son compagnon de Grèce.
Photo: Kim Niederhauser
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Nathalie Benn et Kim Niederhauser

T-shirt noir, jeans bleu foncé et baskets grises. Lorsque Rhea K.* (22 ans) reçoit Blick pour un entretien peu avant la fin de sa journée, elle porte encore sa tenue de travail. Les vêtements sombres laissent apparaître la poussière fine blanche. «C'est à cause du limage des ongles», s'excuse la jeune Grecque en regardant vers le bas.

Elle gagne sa vie en tant que «nail artist», comme on appelle son métier dans le jargon. Aujourd'hui, en tant qu'indépendante dans le canton de Zurich, elle peut affirmer avec conviction qu'elle aime chaque heure de son travail. Mais cela n'a pas toujours été le cas.

C'est avec l'espoir de meilleures perspectives professionnelles que Rhea a quitté la Grèce avec son compagnon pour venir en Suisse en 2021. Son objectif: ouvrir son propre salon de manucure. Mais avant cela, elle voulait suivre une formation en bonne et due forme. «Une amie m'a conseillé de postuler dans l'un des nombreux salons de manucure de Zurich. On peut y gagner de l'argent facilement», raconte-t-elle.

La jeune femme tombe aussitôt dans un réseau complexe des salons de manucure douteux. Le rêve d'un avenir brillant en Suisse se transforme alors rapidement en cauchemar.

De fausses promesses

«Chez mon employeur de l'époque, je vivais chaque jour une forme d'exploitation», se souvient la nail artiste. Comme elle n'avait pas d'expérience professionnelle, elle devait se faire engager comme «apprentie». Si elle payait 3000 francs, le studio se chargerait de sa formation. «Ma patronne m'a assuré que je serai prête à servir des clientes dans les trois mois», explique Rhea.

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Ces 'leçons' consistaient à regarder travailler une collègue complètement surmenée. Je n'avais pas le droit de m'exercer sur des clientes ou sur un modèle
Rhea K.*, nail artiste
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Elle a puisé dans ses économies pour verser la somme en liquide à la gérante. Mais peu après, la patronne lui a annoncé qu'elle ne toucherait pas de salaire pendant ces trois mois. Il n'y a toutefois pas eu de véritable formation. «Ces 'leçons' consistaient à regarder travailler une collègue complètement surmenée. Je n'avais pas le droit de m'exercer sur des clientes ou sur un modèle.»

Plusieurs infractions à la loi sur le travail

Un contrat de travail? Pas de réponse. La jeune femme s'est renseignée plusieurs fois. A chaque fois, il y avait des excuses: «J'ai oublié. Demain, je l'apporterai». Pendant un an, la Grecque a tenu bon. Mais même à la fin, elle n'avait toujours pas de contrat. Durant cette période, Rhea a constaté de nombreuses infractions à la loi sur le travail.

«Normalement, quand tu travailles, tu portes un masque et des gants, explique-t-elle. Tu es en contact avec différents solvants. Les microparticules émises dans l'air par le limage et l'inhalation constante de solutions d'acétone et d'acrylique peuvent être très nocives pour l'organisme. On ne s'est pas assuré que nous portions une protection adéquate au travail». Les autres employés semblaient être malades. «Ils avaient les ongles jaunis, la voix chargée et des quintes de toux constantes», se souvient-elle.

Loin d'être un cas isolé

D'après Alexander Ott, chef de la police des étrangers du canton de Berne, les conditions de travail et de salaire précaires ne sont pas rares dans ces salons de manucure à bas prix.

Depuis des années, il s'occupe des conditions de travail dans ces salons et effectue des contrôles réguliers. «Un studio sur deux que nous contrôlons ne travaille pas proprement», dit-il à Blick. Certains employés auraient en leur possession des contrats falsifiés et d'autres ont dû remettre leurs papiers d'identité en signe de bonne foi. 

Alexander Ott a même été confronté à des cas de traite d'êtres humains. Les jeunes et les personnes migrantes, souvent originaires du Vietnam, sont particulièrement touchés, selon lui.

1000 francs par mois

Au bout de trois mois, Rhea a enfin été autorisée se s'occuper des clientes. Comme elle manquait de formation et de pratique, il lui fallait au début presque trois fois plus de temps que prévu pour faire les ongles de ses clientes. «Je n'avais pas le temps de manger pendant le travail». Tard dans la soirée, après une rude journée de travail pouvant aller jusqu'à 12h, elle se jetait sur son lit, complètement épuisée. «Je pleurais presque tous les jours», raconte-t-elle d'une voix cassante.

Rhea a finalement reçu son premier salaire en espèces: 3000 francs pour les trois premiers mois après la fausse formation – sans déduction de l'AVS. Un cas classique de dumping salarial, confirme Alexander Ott. Par la suite, 1000 francs par mois ont été versés en liquide. «Personne ne peut vivre en Suisse avec un tel salaire. 1000 francs par mois, ce n'est pas conforme aux usages locaux ni à ceux de la branche.»

Au bout d'un an dans le studio, Rhea en a eu assez. Elle ne pouvait plus supporter la situation. La pression, les soucis financiers, les migraines... Deux mois sans travail ont suivi. Puis, elle a espéré trouver de meilleures conditions dans un autre studio.

Et l'histoire se répète

Mais là aussi, elle n'y restera qu'un an à peine – six jours par semaine et jusqu'à douze heures par jour étaient la norme. Elle devait à nouveau être «formée» pendant trois mois et ne recevait que 1090 francs par mois. Elle n'a pas non plus signé le contrat de travail limité à un an qui lui a été présenté. «Il y était écrit que je devrais payer une amende de 10'000 francs si je quittais mon emploi avant la fin», explique-t-elle

Lors de sa troisième tentative, Rhea tombe enfin sur un salon de manucure sérieux. «Pour la première fois, j'ai été traitée de manière équitable», dit-elle. Une année complète de revenus réguliers l'a finalement aidée à se mettre à son compte. Et apparemment avec succès. En décembre, tous les rendez-vous étaient complets, dit-elle fièrement.

Les salons de manucure douteux l'auraient exploitée «sans vergogne», sachant pertinemment qu'elle n'était pas au fait des réalités et de la législation suisse. Mais après cette expérience traumatisante, Rhea ne se fera plus avoir. «Je me suis laissée massivement exploiter, et cela ne m'arrivera plus jamais!»

* Nom modifié


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