«J'avais l'impression d'être une grande criminelle»
Elle fait sécher ses enfants une journée et écope de 2000 francs d'amende

Dans les Grisons, une mère de famille a reçu une amende de 2000 francs pour être partie en vacances d'été avec ses enfants le dernier jour d'école. Elle a contesté la décision et a obtenu gain de cause.
Publié: 15.04.2025 à 18:54 heures
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Dernière mise à jour: 01:10 heures
Amina Ghulam et ses quatre enfants devant l'école primaire de Maienfeld (GR).
Photo: Christian Schnur
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Birthe Homann

Les parents d'enfants scolarisés en rêvent: pouvoir partir en vacances un jour plus tôt. Les avantages sont nombreux. Trains moins bondés, avions moins chers, et des bateaux qui ne sont pas pleins à craquer. Mais ce n'est pas si simple, car la plupart des écoles en Suisse interdisent de prendre congé le dernier jour de l'année scolaire.

Ceux qui décident quand même de le faire enfreignent les lois ou les ordonnances cantonales sur l'école obligatoire, et sont passibles d'une amende. Amina Ghulam, une habitante de Maienfeld, petit village des Grisons, en a fait l'expérience.

Cette médecin de 46 ans a quatre enfants qui sont à l'école primaire. Après son divorce, elle a obtenu la garde de ses deux fils et ses deux filles, tandis que le père les garde un week-end sur deux. «Nous avons traversé une période très difficile», raconte Amina Ghulam. Le couple vit séparé depuis 2021 et le divorce a été prononcé en 2023.

Pause familiale après le stress de la séparation

Amina Ghulam a voulu faire un grand voyage l'été dernier. «Mes enfants n'ont jamais pris l'avion, nous avions besoin de faire une pause après tout le stress engendré par la séparation», explique Amina Ghulam. Le choix s'est porté sur le Canada. Ils ont planifié un circuit en train et en camping-car.

Etant donné que ses enfants n'avaient jamais manqué les cours et que tout se passait bien sur le plan scolaire, la maman de famille ne s'est pas trop posé de questions lorsqu'elle a réservé son vol le dernier jour d'école avant les vacances d'été. «Je n'ai que quatre semaines de vacances par année et je voulais en profiter au maximum», confie-t-elle. Amina Ghulam travaille comme anesthésiste à 80% dans un hôpital de la région de Saint-Gall. «Je n'aurais jamais pensé qu'on ne nous donnerait pas ce jour», s'étonne-t-elle. 

Une amende salée

Toutefois, en prenant ce jour de congé, elle a enfreint le règlement sur les absences de l'association scolaire de la région grisonne. Celui-ci stipule que les «jours jokers» ne sont pas autorisés juste avant les vacances d'été.

Les jours jokers sont des jours de congé «à la carte» que les parents peuvent utiliser durant l'année scolaire sans donner de justification. Répandus outre-Sarine, ils sont plus rares en Suisse romande. Pionnier, le Jura a introduit ce système en 2010 déjà, suivi de Fribourg en 2022 et du canton de Vaud, qui l'a instauré en 2024. Genève et le Valais sont en train d'en débattre. 

Quelques semaines plus tard, une lettre est arrivée chez Amina Ghulam. Le conseil scolaire lui a infligé une amende de 500 francs par enfant. Total: 2000 francs! Motif invoqué: «Manquements aux cours le dernier jour d'école de l'année scolaire 2023/24.» Le conseil scolaire a justifié l'amende par le fait qu'elle «ne devrait pas être inférieure à une éventuelle économie réalisée grâce à un vol moins cher». Une somme qui correspond à la pratique courante, selon le conseil.

«C'est complètement exagéré», déplore Amina Ghulam. «Je ne peux quand même pas me laisser faire. Je me suis sentie comme une grande criminelle.» En se référant à d'autres communes voisines comme St-Moritz ou Davos, où les amendes sont nettement moins élevées, elle a déposé un recours.

Comme l'école a décidé de maintenir son amende, l'affaire est remontée jusqu'au canton. Résultat: Amina Ghulam a à peu près obtenu gain de cause, l'amende ayant été réduite à 100 francs par enfant «en tenant compte de toutes les circonstances». «Nous avons accepté le jugement et n'avons pas fait appel», déclare de son côté le président du conseil scolaire de l'association scolaire Bündner Herrschaft, Christof Kuoni. La procédure des amendes va désormais être examinée. 

Des amendes arbitraires

Cette histoire montre à quel point les dispositions pénales sont appliquées de manière arbitraire dans les écoles suisses. Le tribunal administratif du canton des Grisons a récemment traité un cas dans lequel une amende de 1500 francs avait été contestée. Une amende plus élevée que celle qu'a reçue Amina Ghulam, alors qu'elle concernait trois enfants qui avaient séché les cours pendant trois mois sans s'excuser. Le jugement mentionne par ailleurs une augmentation incontrôlée du montant des amendes.

Deux jugements plus récents, aussi rendus dans les Grisons, en sont un autre exemple: une amende de 250 francs a été infligée pour une seule journée d'absence non justifiée dans un cas, tandis qu’une autre école a sanctionné deux semaines d’absence par une amende de 500 francs. Dans le deuxième cas, un certificat médical a été remis tardivement. Une «réduction substantielle de l'amende» a été ordonnée à cause de la situation financière de la mère. 

Acquittés par manque de preuves

Autre exemple un peu plus extrême: dans le canton de Zurich, des parents ont voulu prolonger les vacances de leurs enfants de trois semaines. Mais l'administration scolaire a refusé leur demande. Les parents ont donc décidé de retirer leurs enfants de l’école. Dans le canton de Zurich, la loi le permet à partir de douze semaines d’absence.

Après dix semaines, la famille était déjà de retour et a réinscrit les enfants à l'école. Elle a justifié ce retour anticipé par des raisons de santé. Toutefois, les autorités ne l'ont pas crue et leur ont infligé une amende. Les parents l'ont contestée avec succès. Le tribunal de district a annulé l'amende et les a acquittés. Aucune preuve ne permettait d’affirmer qu’ils avaient cherché à contourner l’administration scolaire. 

Une harmonisation des pratiques attendue

L'Association faîtière des enseignantes et enseignants suisses (LCH) estime, elle aussi, qu'il faut agir. «En Suisse, il existe de grandes différences dans la manière de procéder. Ce manque d'uniformité peut provoquer des irritations chez les parents et peser sur la relation de confiance entre l'école et la maison», explique Beat A. Schwendimann, un responsable de l'association. 

Bien que la souveraineté en matière d'éducation relève de la responsabilité des cantons, LCH recommande «une plus grande harmonisation de la pratique des amendes au niveau national». «Les amendes ne devraient pas être utilisées comme première mesure, mais comme dernier recours», ajoute Beat A. Schwendimann. La LCH mise plutôt sur le dialogue.

Amina Ghulam et ses enfants ont déjà planifié leurs prochaines vacances d'été. Ils prendront le train de nuit pour Hambourg. Les places sont réservées, cette fois après le début de l'été. 

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