Il revient d'un pays à risque
Le président de Credit Suisse a brisé une quarantaine obligatoire

La loi s'applique à tous — mais par pour le président du Conseil d'Administration de Credit Suisse António Horta-Osório, comme a appris Blick. À son retour d'un pays à risque, il n'a pas respecté l'obligation de quarantaine. Il le reconnaît, mais plaide l'ignorance.
Publié: 08.12.2021 à 18:58 heures
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Dernière mise à jour: 09.12.2021 à 08:24 heures
António Horta-Osório, président du Conseil d'administration de Crédit Suisse, lors d'une interview accordée à Bloomberg début novembre.
Photo: Bloomberg via Getty Images
Christian Dorer et Guido Schätti

Le président du Conseil d’administration de Credit Suisse n’a pas daigné respecter les normes de quarantaine qui s’appliquaient pourtant à son retour d’un voyage à Londres, alors que le variant Omicron venait de forcer la Suisse à mettre en place des listes de pays à risque. Blick vous révèle cette histoire qui créée le malaise au sein de Crédit Suisse et qui aura peut-être des retombées pour la banque. Mais que s’est-il passé?

Tout commence le dimanche 28 novembre, à Londres: António Horta-Osório, le président fraîchement élu du Conseil d’administration de Credit Suisse, monte à bord d’un jet privé pour se rendre en Suisse.

Au même moment, le reste du monde est en ébullition. En Afrique du Sud, on vient de découvrir un variant du coronavirus potentiellement très dangereux: Omicron, soupçonné d’affaiblir la protection immunitaire des vaccins. La Suisse, à l’instar d’autres pays, décrète des interdictions de vol et des règles de quarantaine pour les pays présentant des cas d’Omicron.

La veille du vol de António Horta-Osório, la Grande-Bretagne est ajoutée à la liste des pays à risque. Toute personne arrivant en Suisse en provenance de ce pays doit se soumettre à une quarantaine de dix jours.

Le président du Conseil d’Administration le sait: des proches le lui font remarquer à plusieurs reprises. Il arrive à Zurich le dimanche après-midi et se rend immédiatement à son domicile suisse de Wollerau (SZ), où il possède une maison mitoyenne avec vue sur le lac de Zurich. Mais il n’entend pas rester cloîtré ici, en dépit de la vue: le Portugais commence à se renseigner pour savoir s’il peut être libéré de la quarantaine ou si celle-ci peut au moins être raccourcie.

Il essuie refus sur refus

Il charge Felix Gutzwiller de mener enquête. L’ancien conseiller national PLR a siégé dans un conseil consultatif du Crédit Suisse et est bien connecté. Il tente d’abord d’obtenir du canton, puis de la Confédération, une autorisation exceptionnelle pour le président du Crédit Suisse.

L'ancien conseiller national PLR Felix Gutzwiller.

Les deux instances sont catégoriques: aucune exception n’est possible. Le refus est véhément et appuyé: elles précisent qu’aucune instance politique n’accorderait de dérogation spéciale à un manager à ce stade de la pandémie. Felix Gutzwiller n’était pas joignable lorsque nous avons cherché à le contacter.

L’espoir d’une banque en difficulté

António Horta-Osório n’est pas un administrateur comme les autres. Depuis son élection, il représente l’espoir du Crédit Suisse de regagner la confiance des actionnaires et du public. La réputation de la grande banque suisse est entachée par de nombreux scandales financiers, elle fait face à de lourdes amendes et essuie des pertes de plusieurs milliards de dollars.

Il s’agit ni plus ni moins de redorer le blason du Crédit Suisse et de changer de culture d’entreprise. Récemment, António Horta Osório confiait dans une interview au Sonntagsblick qu’il entendait remettre l’intégrité au goût du jour au sein de la direction.

Il repart pour l’Espagne

C’est dire si le devoir d’exemplarité du manager est décuplé. António Horta-Osório commet alors un faux pas de taille: il viole l’obligation de quarantaine. En dépit des multiples avertissements et des fins de non-recevoir des instances cantonales et fédérales, l’homme d’affaires quitte son domicile et reprend l’avion pour se rendre sur la péninsule ibérique.

L’affaire est trop grave pour être laissée en suspens. Un petit cercle de managers est au courant, notamment des membres du Corporate Center. Il devient vite clair qu’un président qui enfreint la loi, sur un sujet aussi sensible de surcroît, représente une menace pour la banque.

Ils saisissent alors l’autorité de surveillance des marchés financiers (Finma). La Finma a été informée en début de semaine, mais ne souhaite pas commenter l’affaire.

CS et Horta-Osório confirment la violation

Entre-temps, António Horta-Osório a repris l’avion: il est à New York, où une réunion du Conseil d’administration aura lieu jeudi. Les comités se réunissent déjà ce mercredi. Il est d’ores et déjà clair que la rupture de la quarantaine du président sera le sujet le plus important. Le vice-président Severin Schwan, qui occupe également le poste de CEO du géant pharmaceutique Roche, a déjà été informé des agissements du président.

Le directeur général de Roche, Severin Schwan, est l'un des hommes forts du Conseil d'administration de Crédit Suisse.

Interrogés par Blick, Crédit Suisse et le président du Conseil d’administration reconnaissent l’infraction de la loi. La banque regrette «qu’une infraction aux normes de quarantaine ait été commise dans le cadre des déplacements de son président.» Le respect des lois et directives en vigueur serait une priorité absolue pour le Credit Suisse et pour le président personnellement.

António Horta-Osório a également publié un communiqué: «Il est important pour moi de respecter les prescriptions suisses en matière de quarantaine, et je l’ai fait avec soin depuis mon arrivée en Suisse le 28 novembre 2021 jusqu’à mon départ. Toutes les réunions que j’ai tenues en Suisse l’ont été de manière virtuelle, tout comme le discours public que j’ai prononcé la semaine dernière à Zurich. J’ai involontairement enfreint les règles suisses de quarantaine en quittant le pays prématurément le 1er décembre. Je regrette sincèrement cette erreur. Je m’excuse et je veillerai à ce que cela ne se reproduise plus».

Le conseil d’administration confronté à une décision difficile

Ces déclarations sont pourtant en contradiction avec les démarches, dont nous avons eu connaissance, menées par le président du Conseil d’administration pour raccourcir sa quarantaine. Un porte-parole de la banque nous déclare que les clarifications entreprises par Felix Gutzwiller ne portaient que sur la question de savoir si le président pouvait se rendre au bureau et non sur le départ vers un pays tiers. António Horta-Osório serait parti du principe que ce départ était légal.

Quelle est la crédibilité de cette déclaration? Pourquoi le voyage vers un pays tiers serait-il moins problématique que le passage au bureau? En tapant «quarantaine» sur Google, n’importe qui obtient pourtant une réponse claire comme de l’eau de roche: la loi interdit de quitter sa maison. Il paraît mystérieux qu’une telle information n’est pas parvenue à un président d’une banque aussi puissante, entouré d’une armée de conseillers.

Le conseil d’administration de Crédit Suisse est désormais confronté à une décision difficile. La grande banque peut-elle se permettre que son plus haut représentant ait enfreint la loi sur les épidémies? C’est la question à laquelle Severin Schwan et le reste du conseil d’administration devront répondre demain à New York.

Adaptation par Jocelyn Daloz

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