Il possédait des données ultra-sensibles
Voici comment un tenancier zurichois a tenté de faire chanter la justice

La fuite de données de la direction de la justice zurichoise a eu de graves conséquences. Blick dispose de documents, d'images et d'historiques de conversations qui montrent comment Roland Gisler a tenté d'influencer la justice zurichoise.
Publié: 06.12.2022 à 10:53 heures
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Les données de la direction de la justice zurichoise ont atterri chez Roland Gisler, un homme multirécidiviste issu du milieu zurichois.
Photo: Siggi Bucher

La direction de la Justice zurichoise a été négligente dans le traitement de données hautement sensibles. Blick révélait la semaine dernière une énorme fuite de données ultra-sensibles du Ministère du canton. Fuite que la conseillère d’Etat Jacqueline Fehr a tenté tant bien que mal de masquer.

La conseillère d'Etat socialiste Jacqueline Fehr est depuis 2015 à la tête de la direction de la justice zurichoise concernée.
Photo: Keystone

Et le mal est déjà fait. Des conséquences concrètes de cette négligence grave émergent: les données ont atterri entre des mains mal intentionnées. Celles de Roland Gisler, un homme multirécidiviste issu de milieux obscurs zurichois. Ce cinquantenaire est propriétaire du bar Neugasshof, situé dans le quartier industriel chic de Zurich et qui est dans le collimateur de la police depuis des décennies.

L'homme fait désormais l'objet d'une enquête du Ministère public. La raison? Il a tenté d’utiliser les données pour faire du chantage et influencer la justice zurichoise. Roland Gisler vient aussi d’être condamné à plusieurs années de prison pour trafic de drogue et possession illégale d’armes. Mais il considère qu’il s’agit d’une vengeance des autorités zurichoises après le scandale des données personnelles. Il a donc fait appel de ce jugement au Tribunal fédéral.

Or, Blick dispose de nombreux documents, images et historiques de chat qui montrent comment ce Zurichois a tenté d’influencer la justice. Il n’a pas hésité à utiliser les adresses de domicile et numéros de téléphone de procureurs, de juges et de leurs familles, qu’il avait probablement trouvés sur les disques durs de la direction de la justice zurichoise.

Il est propriétaire du bar Neugasshof, qui est dans le collimateur de la police depuis des décennies.
Photo: Zvg

Image de moutons tués envoyée à l’épouse du procureur

Roland Gisler avait particulièrement le procureur Felix K.* dans le collimateur. Celui-ci a mené en 2017 une enquête pénale contre le tenancier dans une autre affaire. De mai à novembre 2020, Felix K. et son épouse ont été contactés à plusieurs reprises par téléphone ou par WhatsApp. Dans un historique de chat que Blick a pu consulter, Roland Gisler envoie une photo de la boîte aux lettres de la famille – probablement prise par ses soins – accompagnée d’un petit message assurant qu’il compte louer un appartement d'à côté.

Mais ce n’est pas tout. Roland Gisler a fait suivre à la femme du procureur des documents qui, selon lui, prouvaient que son mari était une mauvaise personne. Le 28 novembre 2020, il y joint une image. On y voit des moutons et le texte suivant: «Nous faisons simplement ce qu’ils disent. Alors ça passera vite.» Suivi des mots «60 minutes plus tard» et d’une photo de moutons abattus.

Il a notamment envoyé cette photo par Whatsapp à la femme d'un procureur.

Felix K. a témoigné le 6 juillet 2021, déclarant qu’il n’était pas surpris d’avoir été ciblé par Roland Gisler. «De la procédure que j’ai menée contre lui, je savais que Roland Gisler s’en était déjà souvent pris en privé à des membres des autorités, y compris à leurs enfants», a-t-il commenté. Ces incidents font l’objet d’une procédure pénale en cours pour violences, menaces et extorsion.

Affiches placardées et menaces de manifestations

Roland Gisler a également visé le procureur zurichois Rudolf H.*. Depuis le mois de mai 2020, il s’est rendu à plusieurs reprises à son domicile privé. Selon le Ministère public zurichois, il s’est aussi renseigné sur ce procureur auprès de son entourage. En août, le tenancier aurait annoncé une manifestation dans la commune de résidence de Rudolf H. et aurait placardé des affiches montrant des dessins et des déclarations plutôt fumeuses près de la résidence et sur le lieu de travail du procureur.

Outre les procureurs, Roland Gisler a jeté son dévolu sur plusieurs juges. Dans un cas, il aurait envoyé des pamphlets à l’adresse privée du domicile et menacé d’organiser des manifestations. En outre, il aurait joint par téléphone la mère du juge.

Mais dans quel but?

Selon le Ministère public zurichois, l’objectif de Roland Gisler aurait toujours été le même: influencer favorablement la procédure pénale en cours contre lui. Pour ce faire, tous les moyens ont été bons: il a mis en avant le vaste matériel de données provenant de disques durs éliminés de la direction de la justice. Cela faisait longtemps qu'il menaçait de l'utiliser. Mais personne n’avait apparemment pris cette menace au sérieux.

Le Ministère public qualifie ce procédé de «mafieux». Il s’agit selon lui d’un «cas grave d’influence sur la justice».

*Nom connu de la rédaction

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