Femmes enceintes ou mères de famille
Enceintes, elles vivent l'enfer à cause de leur employeur

Pour que davantage de mères travaillent, le Conseil national veut créer des places de crèche moins chères. Mais en même temps, les femmes restent désavantagées sur le marché du travail lorsqu'elles tombent enceinte ou même se marient.
Publié: 06.03.2023 à 06:01 heures
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Dernière mise à jour: 06.03.2023 à 09:10 heures
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Peu après avoir pris son poste dans une maison de retraite, une spécialiste en restauration enceinte (sur la photo) a été licenciée.
Photo: Siggi Bucher
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Camille Kündig

Jennifer*, alors âgée de 22 ans, se réjouissait déjà de son nouveau poste de manager chez McDonald's à Marin-Epagnier (NE). Mais la promotion, qui lui était promise, lui a été soudainement retirée: «Le chef avait peur que je tombe enceinte après mon mariage déjà planifié.»

La justice suisse a pour mission de protéger particulièrement les femmes enceintes et les mères contre les cas de discrimination. La loi sur l'égalité stipule que «les travailleuses ne doivent en aucun cas être désavantagées en raison de leur grossesse, y compris en ce qui concerne leur rémunération et le maintien de leur place de travail».

Travail payé à l'heure au lieu d'un emploi fixe

En réalité, la grossesse d'une femme, ainsi que souvent un désir supposé d'enfant, entraîne régulièrement des désavantages au cours d'un contrat de travail. Des embuches qui peuvent mener au pire au licenciement.

En automne 2022, dans l'une des plus grandes maisons de retraite du canton de Thurgovie, une jeune femme de 26 ans enceinte est licenciée pendant sa période d'essai, après avoir refusé une modification de son contrat. Lorsqu'elle a informé l'entreprise de sa grossesse, on lui a soudainement proposé un travail rémunéré à l'heure au lieu de l'emploi fixe convenu par contrat. Du côté de Travail.Suisse, l'organisation faîtière des travailleurs, on déclare que «cette proposition est motivée par la volonté de l'employeur de ne pas vouloir assumer son devoir de protection de sa travailleuse enceinte».

Pas de prime annuelle pour cause de congé de maternité

Les cas de ce genre sont nombreux. Déjà en 2019, une recherche du Bureau d'études de politique du travail et de politique sociale montrait que pour plus de 10% des femmes, l'employeur parlait de rompre le contrat de travail «d'un commun accord» pendant la grossesse.

Dans 7% des cas, il a annoncé qu'il mettrait fin au contrat de travail après le congé de maternité. Près de 11% des femmes ont indiqué que des patrons avaient réagi avec colère ou irritation à l'annonce d'une grossesse. «Il y a toujours des collisions d'intérêts entre le congé de maternité et les besoins de l'entreprise qui ne concernent que les femmes», explique Helena Trachsel, du bureau de l'égalité du canton de Zurich.

Augmentation des licenciements pour cause de grossesse

Il n'est donc pas étonnant que, selon l'Office fédéral de la statistique, 70% des femmes âgées de 25 à 39 ans craignent que le fait de fonder une famille leur porte préjudice sur le plan professionnel. Travail.Suisse estime qu'entre 3300 et 6600 femmes sont discriminées chaque année dans leur travail en raison de leur maternité. Les autorités de l'égalité s'occupent régulièrement de tels cas, comme le confirment à Blick de nombreux services spécialisés.

L'autorité de conciliation zurichoise a même observé une augmentation des licenciements pour cause de grossesse ou de maternité, tout comme la banque de données gleichstellungsgesetz.ch. «Depuis MeToo, beaucoup plus de femmes nous contactent qu'avant», explique Virginie Ribaux, juriste au syndicat Unia. Impossible pour l'instant de savoir si le problème s'est aggravé ou si la sensibilisation croissante de la société l'a rendu visible.

Les patrons se cachent souvent derrière des prétextes

Une chose est sûre: Le nombre de cas non déclarés est élevé. S'il est difficile de savoir si les femmes qui quittent un emploi à ce stade de leur vie le font de leur propre initiative - ou si elles abandonnent en raison de difficultés à concilier vie professionnelle et vie privée ou de pressions sur le lieu de travail, toutes ne se défendent pas. En partie par honte. «Lorsque les femmes s'adressent à nous, elles sont souvent rongées par la culpabilité parce qu'elles doivent se rendre à l'ORP ou que leur partenaire doit subvenir à leurs besoins depuis leur licenciement», explique Virginie Ribaux.

Se défendre contre la discrimination dans le quotidien professionnel conduit en outre souvent à des déceptions. Véronique Rebetez, responsable de l'égalité au syndicat Syna, le relève: «La plupart du temps, en cas de licenciement pendant la période d'essai, on invoque un autre motif. Il est très difficile de prouver que la grossesse était effectivement le motif de licenciement et cela demande beaucoup d'énergie aux personnes concernées. Beaucoup ne veulent pas faire cet effort.»

Licenciements fréquents pendant la grossesse

En plus, les désavantages professionnels dus à la maternité ne sont pas toujours juridiquement contestables. Les femmes enceintes sont encore trop souvent licenciées pendant la période d'essai, explique Helena Trachsel, du bureau de l'égalité du canton de Zurich. Cet acte reste légal, dans la mesure où il n'est pas prouvé que cela est dû à la maternité, tout comme les licenciements peu après la fin du congé maternité qui arrivent très souvent selon les expertes.

Pour Virginie Ribaux du service juridique d'Unia, «nous vivons dans un système juridique archaïque, en comparaison avec d'autres pays». Il faudrait une meilleure protection contre le licenciement pour les femmes enceintes et les mères ainsi que des indemnités plus élevées en cas de licenciement abusif, affirme Helena Trachsel: «Actuellement, les conséquences en cas de licenciement ainsi que de licenciement abusif sont trop peu efficaces pour mieux protéger les femmes au travail.»

Des politiciennes comme la conseillère nationale socialiste Nadine Masshardt s'inquiètent de tels abus. En 2019, elle a donc déposé deux motions qui demandaient que la valeur maximale pour une indemnisation en cas de licenciement abusif soit augmentée et que la protection contre le licenciement pendant la grossesse soit étendue à la période d'essai. Les deux demandes sont restées sans résultat.

Protection déjà élevée pour les travailleuses

Le Conseil fédéral, quant à lui, s'est montré critique à l'égard de telles interventions. Il a expliqué que sa propre proposition de 2010 d'augmenter la sanction maximale en cas de licenciement abusif de six à douze mois de salaire s'était heurtée à une forte résistance lors de la consultation. Étendre la protection à la période d'essai viderait de son sens l'objectif de cette dernière.

L'Union patronale suisse s'oppose également à l'extension de l'interdiction légale de licenciement à la période d'essai. Cela «exclurait la phase de prise de contact pour les employeurs». Selon lui, la protection des travailleuses est déjà très élevée. En outre, toute forme de discrimination au travail est condamnée. «Face à la pénurie de main-d'œuvre qualifiée, les employeurs misent aussi particulièrement sur le recrutement et la réinsertion des mères.»

La situation actuelle est «absolument dérangeante»

Le fait est que les mères et les femmes d'un certain âge sont souvent perçues par les employeurs comme un risque financier. Et pour l'organisation patronale, les femmes elles-mêmes ont une responsabilité à cet égard: «Ce que nous entendons régulièrement et qui est également prouvé par les statistiques, c'est que les employées souhaitent réduire leur taux d'occupation après la naissance de leur enfant. Avec la pénurie de main-d'œuvre qui continue de s'aggraver, la question qui se pose aux employeurs est donc plutôt de savoir comment motiver les mères à ne pas rester à long terme dans des petits emplois.»

HR Swiss, l'association professionnelle pour la gestion des ressources humaines, estime que les cas de discrimination pour cause de maternité «sont plutôt une exception». «Selon notre expérience, de nombreuses entreprises reconnaissent ce que les mères apportent au monde du travail, entre autres en termes de résilience, d'engagement et de capacité d'adaptation.»

La conseillère nationale socialiste Nadine Masshardt considère toutefois la situation actuelle comme «absolument dérangeante. Je continuerai à m'engager pour que les choses changent».

*Noms d'emprunt

Témoignages

Spécialiste en restauration, 26 ans: «Cela n'arriverait pas à un homme»

La spécialiste en restauration se réjouissait de son nouveau travail - et elle est tombée enceinte sans l'avoir prévu.
Photo: SIGGI BUCHER

«J'avais trouvé un super poste de spécialiste en restauration dans une maison de retraite: Emploi fixe, 80%. Peu après la signature du contrat, je me suis aperçue que j'étais enceinte - sans l'avoir prévu. J'en ai informé le chef. Il m'a assuré qu'ils ne me laisseraient pas tomber. Mais on m'a ensuite proposé un emploi rémunéré à l'heure. Sur les conseils d'un conseiller juridique, j'ai informé l'entreprise que je reprenais le contrat initial. Je n'ai plus eu de nouvelles et j'ai dû commencer à travailler dans l'incertitude. Le troisième jour de travail, j'ai eu une hémorragie et j'ai été mise en congé maladie. Peu de temps après, j'ai reçu mon licenciement dans ma boîte aux lettres. Sans indication de motif.

Mon supérieur direct m'avait pourtant déjà prévenue oralement qu'ils allaient probablement me licencier en raison de ma grossesse. Il m'a dit que c'était mieux pour moi, que j'aurais moins de stress. Cela n'arriverait pas à un homme. Ca me met en colère. Que le licenciement soit lié à ma façon de travailler est impossible. Je n'y suis pas restée assez longtemps et j'ai reçu un bon feedback. J'aimerais bien travailler. Je sais: j'aurais pu faire appel à la justice. Mais sur le moment, c'était trop pour moi. Avec le recul, je regrette de ne pas avoir résisté.»

Logisticienne, 26 ans: «Les RH voulaient savoir comment je comptais travailler à 100 % en tant que mère célibataire»

«La responsable RH m'a posé de nombreuses questions déplacées sur ma grossesse. Elle voulait par exemple savoir comment j'envisageais de reprendre le travail à 100% en tant que mère célibataire. Ensuite, l'année de mon congé maternité, j'ai été la seule dans toute l'entreprise à ne pas recevoir de prime en raison de 'trop d'absences'. En revanche, les hommes qui partaient au service militaire recevaient leur prime.»

Ancienne employée de McDonald's, 25 ans: «Le chef m'a refusé une promotion parce qu'il craignait une grossesse»

Aller au tribunal peut s'avérer payant : L'ancienne employée de McDonald's de Marin-Epagnier a obtenu un dédommagement.
Photo: Philippe Rossier

«Début 2020, j'ai fait part de mon intérêt pour une promotion. Lors des entretiens avec la gérante et le locataire de la franchise, le poste était aussi bon que promis. Mais lorsque j'ai mentionné plus tard que je me marierai cet été, je n'ai pas obtenu le poste. Lorsque j'ai demandé des explications, la patronne m'a dit: 'Comme tu vas te marier, le patron craint que tu tombes bientôt enceinte. Si tu étais un homme, nous n'aurions pas cette conversation.'

Après mon service, une crise de larmes m'a secouée sur le parking. Plus tard, ils ont nié tout en bloc. Mais j'avais un enregistrement audio – j'avais demandé si je pouvais enregistrer les conversations suivantes – et j'ai porté plainte. La procédure a duré deux ans et demi. Quand le jugement est tombé, j'ai sauté de joie! Pour moi, il est important que la discrimination soit reconnue. Ma mère a subi des choses similaires au cours de sa carrière, mais elle n'a pas pu se défendre. Elle m'a dit: 'Tu as la possibilité de faire quelque chose contre cela - fais-le!'»

Educatrice spécialisée, 32 ans: «J'ai été harcelée pour quitter mon travail».

«Lorsque le médecin m'a mise en congé maladie à 50% pour cause de crampes abdominales, ma patronne a dit à tout le monde que j'étais tout simplement instable psychologiquement. Elle-même avait travaillé jusqu'à la veille de l'accouchement et m'avait demandé de me ressaisir. Cette histoire a fait de ma grossesse un enfer. Je pense qu'elle voulait me faire quitter mon travail. Après le congé maternité, je voulais reprendre le travail à 80%. Mais elle m'a dit que je ne pouvais pas travailler autant en tant que mère et que quelqu'un d'autre avait déjà augmenté son temps de travail. Plus tard, elle m'a délivré un certificat incomplet.»

Employée de crèche, 30 ans: «Je ne recevais plus que 30% de mon salaire»

«Lorsque j'ai eu des complications, ma gynécologue m'a partiellement mise en congé maladie. À partir de là, ma patronne m'a harcelée et à un moment donné, elle ne me versait plus que 30% de mon salaire. Je me suis adressée à ma protection juridique, puis à son assurance perte de gain - et j'ai gagné. Par l'intermédiaire de sa secrétaire, elle m'a fait savoir que cela renchérissait ses primes. Et que mon comportement était injuste, car mes collègues devaient me remplacer. Et cela après onze ans dans cette crèche pour laquelle j'avais tout donné! Je me sens humiliée, comme si j'avais aucune valeur.»

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