Grégoire Ribordy, 51 ans, était encore étudiant lorsqu'il a eu l'idée de créer une start-up. Il s'est alors inscrit à un cours de gestion d'entreprise. Secrètement, puisqu'il faisait une thèse de doctorat sur la cryptographie quantique expérimentale à l'université de Genève et craignait que son professeur n'apprécie pas sa démarche.
Une crainte infondée. Grégoire Ribordy a terminé les deux formations avec succès et son directeur de thèse est devenu cofondateur de son entreprise, ID Quantique, spécialisée dans le cryptage de réseau à sécurité quantique.
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Des perspectives peu réjouissantes
C'était en 2001. Aujourd'hui, 20 ans plus tard, ID Quantique existe toujours: l'entreprise est leader mondial dans son domaine. Hormis la Chine, la part de marché de la start-up genevoise s'élève à plus de 80%.
Seulement voilà, les perspectives pour la suite sont mauvaises. En cause? L'interruption des négociations entre la Suisse et l'UE sur l'accord-cadre. Et les réactions qu'elle a suscitées. Bruxelles a exclu la Suisse du programme de recherche Horizon de l'UE – elle est aujourd'hui considérée comme un pays tiers. De même, elle n'a plus accès à Digital Europe, un programme de promotion de la transition numérique.
Pour Grégoire Ribordy, cette situation présente de gros inconvénients. «L'exclusion de Digital Europe nous prive de moyens importants pour faire avancer la recherche et le développement», tonne le Genevois, dont la boîte participait auparavant régulièrement à des programmes de promotion européens.
Des emplois à l'étranger sont nécessaires
Et ce n'est pas tout: avec ses programmes, l'UE pousse désormais les concurrents directs d'ID Quantique dans ses États membres. La recherche quantique est considérée comme un domaine dans lequel Bruxelles aspire à une autonomie stratégique.
ID Quantique s'est donc vu contraint de créer de nouveaux emplois à Vienne plutôt qu'à Genève. Environ un dixième de ses effectifs se trouve maintenant en Autriche. Et son fondateur n'exclut pas un déménagement complet. «Nous devons avoir accès au marché européen, assène-t-il. Si l'UE veut nous en exclure en tant qu'entreprise suisse, ce sera difficile pour nous.»
La Suisse serait pour lui le site parfait pour continuer à développer la technologie quantique. Ce qui rend ce problème encore plus douloureux. «Ici, le transfert de technologies de pointe des hautes écoles vers les start-ups fonctionne parfaitement, se désole Grégoire Ribory. Nous faisons partie des meilleurs au monde dans ce domaine! Mais nous sommes en train de perdre le contact...»
Les universités aussi souffrent
Les universités font elles aussi les frais de l'exclusion d'Horizon et de Digital Europe. Les scientifiques suisses ne pourront plus diriger de projets. Mais il s'avère de plus qu'il suffirait que des chercheurs ou d'entreprises suisses participent à un projet pour que l'UE le rejette.
Deux conflits – dont l'EPFL a été victime – survenus ce printemps le montrent. Dans les deux cas, des chercheurs et des start-ups suisses avaient déposé avec des collègues européens des demandes de financement dans le domaine des sciences quantiques.
Le projet QuantEO a obtenu 13,5 points sur 15 dans l'évaluation de la Commission européenne. Un excellent score. Pourtant, Bruxelles a refusé de financer le projet, auquel participent également une université néerlandaise et une université autrichienne. Selon le rapport d'évaluation que Blick a pu consulter, un seul «défaut grave» est cité par la Commission européenne: une partie importante de la recherche se déroule «en dehors de l'UE». A savoir, en Suisse.
Une «lacune»
En mai, la Commission européenne a rejeté un deuxième projet dans le domaine de la technologie quantique. Celui-ci, appelé Leone, a aussi été mis de côté malgré une très bonne évaluation. Du point de vue de Bruxelles, la participation d'une start-up suisse de l'EPFL représentait une «lacune».
En d'autres termes, même si des scientifiques ou des entreprises locales disposent de technologies très demandées, ils ne peuvent pas participer pour des raisons politiques.
Pour les hautes écoles suisses, c'est désastreux. Jusqu'à présent, les deux EPF et l'université de Genève étaient à la pointe de la science quantique en Europe. Cette position pourrait bientôt être perdue - précisément dans un domaine considéré comme particulièrement prometteur : la technologie quantique permet notamment de développer des ordinateurs extrêmement puissants.
Cercle vicieux
Le cercle vicieux est en marche. Si les instituts locaux ne peuvent plus diriger ou participer à des projets européens, ils perdent en attractivité. Et si leur réputation en pâtit, cela les rend moins intéressants pour les chercheurs internationaux de haut niveau.
«Plusieurs cas où des universités étrangères ont voulu débaucher nos chercheurs ont été portés à notre connaissance», constate Corinne Feuz, une porte-parole de l'EPFL. Jusqu'à présent, l'école a réussi à garder les professeurs en Suisse grâce à des contre-offres. Mais cette tendance inquiète. Corinne Feuz sait qu'au moins un chercheur sollicité a refusé de venir à Lausanne à cause du déclassement de la Suisse dans Horizon. «Si le bruit se répand que la Suisse est totalement exclue des programmes européens, nous aurons un gros problème», soupire-t-elle.