Duel autour de la loi Covid
Un fils de paysan se bat contre le Conseil fédéral

Josef Ender n'avait jamais participé à une manifestation. Jusqu'à il y a dix-huit mois. Aujourd'hui, ce fils de paysan du Muotathal est en première ligne dans la lutte contre la loi Covid et il fait du conseiller fédéral Alain Berset son principal adversaire.
Publié: 24.11.2021 à 14:25 heures
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Dernière mise à jour: 25.11.2021 à 21:07 heures
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En mai 2020, Josef Ender s'est rendu pour la première fois à une manifestation Covid à Berne pour protester contre les mesures du Conseil fédéral.
Photo: Keystone
Ladina Triaca

Josef Ender est assis à une petite table dans la cafétéria de la SRF, la télévision alémanique. Une lampe sur pied projette une lumière blanche et crue sur son visage anguleux. Face à un miroir, il se fait maquiller: nous sommes vendredi soir, et il s'apprête à affronter ses opposants politique dans l'arène politique. Littéralement, puisqu'il est l'invité «d'Arena», l'émission de débat de la SRF.

Pourquoi le maquiller dans une cafétéria et non dans les coulisses du studio de Leutschenbach, le fief zurichois de la télévision publique? Pour une raison simple: il n'a pas de certificat Covid et refuse de porter un masque. Dans moins d'une heure, un journaliste viendra le chercher pour le faire entrer dans le studio par l'extérieur. Ce faisant, il passera devant la Mercedes argentée du conseiller fédéral Alain Berset, son adversaire du soir – et son adversaire tout court.

Un fils de paysan du Muotathal

Rien ne prédestinait Josef Ender à devenir un chef de file antivax. Il a grandi dans une ferme du Muotathal, une vallée nichée au sud des légendaires montagnes Mythen dans le canton de Schwyz. Lorsqu'il se rendait à l'école, un médecin visitait de temps en temps la classe et vaccinait tous les élèves. Plus tard, lorsque ses deux filles sont nées, il s'est fié à l'avis du pédiatre et les a également fait vacciner contre les maladies habituelles. «Je ne me suis pas vraiment posé de questions à l'époque», dit-il.

Cela a radicalement changé avec la pandémie. Aujourd'hui, Josef Ender est le porte-parole de l'Alliance des cantons primitifs («Aktionsbündnis Urkantone»), une association qui mène l'assaut contre la loi Covid au même titre que les Amis de la Constitution et les pittoresques sonneurs de cloches. Il se méfie de la plupart des scientifiques et prononce des phrases comme: «Pour les moins de 70 ans, le risque du Covid-19 se situe dans le domaine des risques quotidiens, comme la conduite automobile ou la randonnée en montagne». Chacun doit donc, selon lui, décider lui-même s'il veut se faire vacciner. Lui-même est en bonne santé et ne le fera certainement pas au vu des conséquences à long terme inconnues. Il ne se laisse pas influencer par les études scientifiques qui contredisent ses propos.

Organisateur de la manifestation à Berne

En Suisse, une personne sur quatre pense comme Ender. 26 pour cent des adultes ne sont toujours pas vaccinés contre le Covid. Les plus bruyants d'entre eux ont afflué par milliers sur la Münsterplatz de Berne le 23 octobre. Ce sont pour beaucoup des gens de la campagne, qui défilent cloches autour du cou et drapeaux suisses à la main. Parmi eux, quelques personnes des milieux «alternatifs» distribuent des tournesols, en appelant à la «désescalade» de la manifestation. Tous crient à plusieurs reprises «Li-ber-té» dans l'air froid de l'automne.

Au coeur de la manifestation se trouve Josef Ender, avec un gilet orange ceint par-dessus sa veste et une radio jaune autour du cou. Il n'avait jamais participé à une manifestation avant le Covid. Aujourd'hui, il a participé à l'organisation de la plus grande manifestation anti-Covid du pays. «Nous sommes en campagne! Les gens doivent voir qu'il y a beaucoup de personnes qui ne sont pas d'accord avec la discrimination dominante et la société à deux vitesses».

Haine contre les médias et la politique

Une femme qui se tient non loin de Josef Ender le montre du doigt et dit à sa compagne: «Tu vois, cet homme-là, c'est Josef Ender». Lorsque nous lui demandons pourquoi elle est là, elle répond: «Vous êtes de quel journal? Blick? Alors je ne vous parle pas.»

Elle n'est pas la seule à refuser de nous parler. L'hostilité ambiante concerne les journalistes, mais aussi le conseiller fédéral Alain Berset. Des manifestants brandissent des banderoles sur lesquelles on peut lire «Alain Berset, va te faire foutre» et «Adieu Berset - le baron du mensonge doit partir».

Une majorité pour la loi Covid

La campagne de votation ne tourne de loin pas uniquement autour de la loi Covid. Il s'agit bien plus d'un plébiscite sur la politique du Conseil fédéral en matière de pandémie. Ceux qui soutiennent le gouvernement votent oui, ceux qui rejettent son orientation votent non. La majorité tranquille soutient le Conseil fédéral. Selon les sondages, environ 60 pour cent diront oui le 28 novembre. Le ministre de la santé Berset obtient également de bonnes notes pour son travail dans les sondages.

Le ministre de la santé en retrait

Le Fribourgeois se fait toutefois discret dans la campagne de votation. Le discours télévisé sur la loi Covid en Suisse alémanique est tenu par la ministre des Sports et de l'armée Viola Amherd, la semaine nationale de la vaccination est présentée par le président de la Confédération Guy Parmelin. Alain Berset a même refusé de se laisser filmer par Blick TV pendant la campagne de votation.

Les opinions sont faites

Tandis que l'Autriche confine sa population et déclare la vaccination obligatoire face à l'explosion du nombre de cas, et que l'Allemagne instaure le certificat Covid dans les transports publics, le Conseil fédéral ne fait rien. «Pour le moment, aucune mesure supplémentaire ne s'impose», déclarait Alain Berset il y a une semaine.

Certains reprochent donc au Conseil fédéral d'attendre la fin de la votation sur la loi Covid pour introduire de nouvelles mesures. La plupart des gens ont de toute façon déjà fait leur choix. Selon le dernier sondage de la SSR, seul un pour cent des citoyens ne sait pas encore comment voter. Le niveau d'implication personnelle n'a jamais été aussi élevé.

C'est pourquoi le 28 novembre, ce qui compte avant tout, c'est de savoir qui se rendra aux urnes. Il est probable que de nombreuses personnes qui ont habituellement un rapport distant à la politique et qui veulent donner un signal voteront, explique Lukas Golder de l'institut de sondage gfs.bern. «La mobilisation dans les milieux sceptiques devrait être incroyablement élevée pour rattraper le camp du oui».

Josef Ender rencontre Alain Berset dans l'arène

Josef Ender, imperturbable, croit à la victoire, alors qu'il se tient entre deux vitres en plexiglas dans le studio de «Arena». Lorsque Berset entre dans le studio, il se dirige directement vers Josef Ender et discute avec lui. C'est la première fois que les deux hommes se rencontrent.

Au cours de l'émission, la différence d'expérience est frappante. Josef Ender peine à trouver ses mots, il n'est pas aussi vif que d'habitude. Ce n'est que lorsqu'il est question de la protection des données et du traçage numérique des contacts que l'entrepreneur informatique prend de l'assurance.

Josef Ender n'est pas satisfait après l'émission. «Cela aurait pu mieux se passer, dit-il. C'est toujours difficile d'avoir les arguments sous la main». Et de quoi a-t-il parlé avec le Conseil fédéral, lui le fils de paysan de la vallée de la Muota? «Nous avons évoqué les Mythen, tout simplement». La division dans le pays n'est peut-être pas si profonde que cela, après tout.

(Adaptation par Jocelyn Daloz)

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