Ce n’est un secret pour personne, la pandémie a laissé de profondes cicatrices dans les hôpitaux romands. Personnel au bout du rouleau, manque d’effectif, bas salaires et désintérêt sur le long terme pour la profession, le système de soin menace de prendre l’eau. Le peuple suisse l’a bien compris en acceptant en septembre 2021 l’initiative pour des soins infirmiers forts.
Mais en attendant que le projet de loi prenne véritablement forme, la situation continue d'être tendue dans les différents services, où l’on craint un sérieux manque de forces sur le long terme. Le secteur attire encore beaucoup de jeunes en formation, mais l'écart avec la réalité de la pratique est si grand, qu'il devient ensuite très compliqué de garder la main-d'œuvre.
Pire encore, les diverses montées au front des milieux des soins infirmiers seraient l’arbre qui cache la forêt, ce qui a le don d’agacer Patrick Vorlet, président de la section romande de l’Association suisse des techniciens en radiologie médicale (TRM): «Les médias et le grand public font trop souvent l’amalgame: les soins, ce ne sont pas que les infirmiers et les médecins. C’est toute une chaîne de professions qui sont sujettes aux mêmes difficultés. C’est le cas par exemple des techniciens en radiologie médicale, des physiothérapeutes, ou des sages-femmes pour ne citer que quelques exemples», explique-t-il.
Un absentéisme inquiétant
Un peu plus tôt dans l’année, l’homme a même poussé un sacré coup de gueule sur LinkedIn, exprimant son ras-le-bol de voir certains corps de métiers rester dans l’ombre. «Soyons clairs, je n’ai absolument rien contre les soins infirmiers: leur combat est juste et nécessaire. Mais une bonne prise en charge d’un patient nécessite l’intervention de domaines bien plus larges. Beaucoup de métiers sont trop souvent invisibles.»
Il faut dire que Patrick Vorlet a de quoi être inquiet: sur la période 2018-2022, le taux d’absence maladie a quasiment doublé, et ce, dans toutes les professions qui intègrent le milieu hospitalier. «Il y a eu le Covid, bien sûr, mais pas seulement. La perception de la charge de travail est telle que les maladies longue durée augmentent. Là où on faisait l’effort de venir travailler avant lorsqu’on était fatigué, on estime que les conditions de travail ne sont plus réunies aujourd’hui pour le faire et on se met en congé.» Le spécialiste poursuit: «Dans le cadre de l’association des TRM, nous avons reçu une analyse du marché de l'emploi: plus de 40% des répondants estiment que les conditions de travail ne sont pas adéquates, ce qui est tout de même significatif.»
Mais la solution pour soulager quelque peu ces corps de métiers réside-t-elle uniquement dans le traitement médiatique qui leur est réservé? «Non bien sûr. Ce serait déjà très bien que les médias ne regardent pas à chaque fois ailleurs. Mais je pense qu’il y a des efforts à faire pour que les professions apprennent à mieux travailler ensemble», précise Patrick Vorlet. Des corporations, il en existe pourtant, comme l’Association suisse de techniciens en radiologie médicale, Physioswiss ou encore la Fédération suisse des sages-femmes. Mais elles doivent «mieux jouer ensemble», admet le spécialiste. «Il s’agit de mieux savoir prendre part aux discussions avec les soins infirmiers pour ne pas être oubliés.»
«Les gens ne savent pas qui nous sommes»
Petit bémol toutefois: «Nous ne sommes pas assez connus. Dans le cas des TRM, nous sommes 3570 en Suisse. Dans chaque hôpital universitaire du pays, il y a près de deux fois plus d’infirmiers. Faites un micro-trottoir dans la rue et demandez aux gens ce qu’est un TRM. Rien que le mot technicien n’est pas très sexy. Les gens ne savent pas qui nous sommes.» Les TRM se révèlent cependant d’une importance cruciale lors des diagnostics ou des traitements de cancers par exemple. «La radiologie est devenue incontournable pour faire un diagnostic. Nous sommes au cœur des soins et du parcours des patients, au même titre qu’un infirmier.»
Il semble tout de même que les salaires ne diffèrent pas entre ces différentes professions. «C’est la même formation de base, le même type de Bachelor», poursuit celui qui est aussi directeur adjoint des soins au Département de radiologie médicale du CHUV. Cette année encore, l’hôpital du Valais a par exemple décidé d’augmenter les salaires des soignants. Mais c’est là que le bât blesse, car qui sont précisément ces soignants? Sans surprise, «il s’agit des soins infirmiers et des assistant-e-s en soins et santé communautaire.» De nombreux métiers ne sont pas inclus dans la notion de «soignants» alors même qu’ils jouent un rôle essentiel dans la prise en charge et dans les soins. Simple problème de définition? Pas uniquement.
«Le serpent qui se mord la queue»
Les défis liés à l’avenir sont autrement plus larges et complexes. «En 2025, il faudra 30% de TRM en plus de ce qu’il y a aujourd’hui», glisse Patrick Vorlet. De quoi nécessiter de larges financements pour augmenter l’attractivité des formations et des rémunérations: «Je crois que l’on est tous d’accord pour dire qu’il faut augmenter l’attractivité de ces professions si l’on veut trouver plus de main-d’oeuvre. Très bien. Mais cela va coûter aux cantons et aux collectivités. Cela signifie donc plus d’impôts ou plus de frais d’assurance maladie. Personne ne veut cela. C’est le serpent qui se mord la queue, et je crains que rien ne bouge réellement dans les 10 à 20 ans à venir.»
Mais d’où viendra alors le déblocage de cette situation? «L’éducation de la population jouera un énorme rôle, estime Patrick Vorlet. Il y a un besoin d’investissements massifs dans la prévention ou dans le sport par exemple. Mais cela prendra beaucoup de temps. Il faudra aussi travailler sur le sens d’un engagement dans ces corps de métiers, redorer l’image de ces professions où l’on se bat pour sauver des vies, pour son prochain. Cela reste malgré tout un argument de poids». Encore faut-il avoir de bonnes conditions pour pouvoir le faire.
L'avenir? Les soins à domicile
Selon le spécialiste, les progrès technologiques pourront aussi amener un regain d’intérêt pour le médical ou le paramédical. «De nouvelles formations de pratiques avancées sont déjà en train de voir le jour. Des masters ouvrent de nouvelles possibilités de carrière. Le problème de la rémunération restera central, mais il existe des solutions pour rendre l’avenir plus attractif.»
Pour Patrick Vorlet, les mentalités évoluent depuis un certain temps déjà, ce qui est malgré tout un très bon signe: «Il y a dix ans, il y avait peut-être une petite guerre d’égo entre les médecins, les infirmiers et d’autres soignants. Aujourd’hui, les médecins semblent comprendre que nous pouvons apporter une véritable plus-value à leur travail. Ils n’ont de toute manière pas le choix, les numérus clausus instaurés sur les bancs induisent qu’il y aura moins de spécialistes. Toute la chaîne des métiers des soins sera alors précieuse.»
Et quid des soins à domicile? «C’est l’avenir. Le seul moyen de désengorger les hôpitaux est de développer les offres de soins à domicile, en s’appuyant également sur les technologies. Et dans cet espace, les TRM auront aussi un champ à exploiter.» De quoi replacer aussi beaucoup de professions primordiales pour l'ensemble du système de santé sous la lumière et mettre en avant la spécialité du domiciliaire comme une expertise pointue.