Hormis des interviews données çà et là dans la presse locale, la présence de la liste «Démocratie directe» dans la course au Conseil d’État fribourgeois n’avait pas vraiment retenu l’attention. Jusqu’à ce que des affiches au design rudimentaire ne fleurissent dans les rues du canton. La propension des passants à les relayer sur les réseaux sociaux atteste de l’étonnement général: la «réinformation» va-t-elle se faire une place au gouvernement fribourgeois?
Sur le matériel de vote envoyé aux citoyens, la liste sous-titrée «Spiritualité et nature» ne comporte ni nom ni photo. En réalité, elle a été déposée in extremis, au point que les candidates n'étaient pas confirmées. Les affiches en révèlent un peu plus, avec un visage souriant: c'est celui de Michèle Courant, 63 ans, en lice aux côtés de la thérapeute Nicole Ayer. «Nous avons été contactées séparément et nous nous sommes décidées le jour même du dépôt des listes, sans même nous connaître», explique la première nommée.
Quelle est la ligne politique de cette formation surprise? Un détour sur son site internet suffit à (d)étonner. Les références aux «chemtrails», ces traînées blanches qui seraient des produits chimiques répandus par le gouvernement, les alertes au danger de la 5G et autres allusions à «Q», cette conspiration loufoque venant des États-Unis, sont sans équivoque — les deux candidates sont des adeptes des théories du complot.
«Voyez ça avec la candidate!»
Le cas de Michèle Courant est particulièrement surprenant. Celle-ci est présentée par plusieurs médias comme une Maître d’enseignement et de recherche de l’Université de Fribourg. La page consacrée à ses travaux est d’ailleurs encore en ligne, tout comme la mention de l’UniFR sur son profil LinkedIn. Une chercheuse peut-elle adopter des théories aussi diamétralement opposées à la science?
Il ne faut que quelques secondes de conversation avec le chargé de communication de l’Université de Fribourg pour que celui-ci ne devance nos questions. «Cela concerne Michèle Courant, c’est cela? Nous vous répondrons par mail.» Les réponses ne se font pas non plus attendre sur notre écran: «La candidate n’est pas liée à notre établissement. En ce qui concerne son programme politique, je vous prie de voir directement avec elle.» Le message propose un contact avec les chercheurs de l’UNIFR sur le complotisme — l’un d’eux, Pascal Wagner-Egger, n’est autre qu’un chroniqueur de Blick.
Même si elle n’a pas (encore) pris le temps de mettre à jour son profil sur le réseau social professionnel, Michèle Courant n’est en effet plus liée à l’institution fribourgeoise. Elle a quitté son poste de Maître d’enseignement et de recherche en septembre, après 35 ans de service. C’est une retraitée courtoise et joviale qui nous répond au téléphone. «Je suis désormais collaboratrice externe au sein de plusieurs projets de l’Université, mais j’ai aussi mes propres objectifs dans le domaine de l'accompagnement individuel et collectif», explique la Bretonne d’origine, arrivée en Suisse pour des raisons familiales en 1986, avant de nous faire un cours rapide sur l’holacratie, une méthode de «management horizontal».
«Nous ne savons pas tout»
Comme sa colistière Nicole Ayer, la sexagénaire a accepté l’appel du pied de «Démocratie directe» parce qu’elle en «partage complètement les valeurs». Impossible en revanche de savoir qui l’a contactée. Que souhaite cette formation? «Le sous-titre est éloquent. Nous avons une vision du monde qui n’est pas strictement matérialiste, parce que nous ne savons pas tout.»
Une allusion divine? Pas du tout. Cette ancienne sympathisante des Verts, qui a tâté de la politique active il y a deux décennies, veut en réalité se «mettre debout pour changer la trajectoire que nous connaissons depuis un an et demi». Vous aurez compris la référence. À l'évocation du Covid, le ton change, le discours devient offensif face à la gestion de la pandémie. «Il suffit de se référer aux publications des scientifiques intègres. Les masques ne servent à rien, pas plus que le pass sanitaire. C’est une pandémie de peur plutôt qu’une pandémie virale!» Pour «Minouche», comme elle est surnommée sur le site internet de sa formation politique, la panique aurait affaibli les défenses immunitaires et causé les décès. L’interdiction de l’hydroxychloroquine y aurait, entre autres, contribué.
Là où la candidate au Conseil d’État fribourgeois se distingue des Amis de la Constitution (dont elle fait partie), c’est qu’elle n’est pas contre le vaccin. Elle milite pour le choix individuel, tout en notant que celui-ci contiendrait du graphène (ce n’est pas le cas, comme beaucoup de médias l’ont démontré) pour «magnétiser à distance» grâce à l’injection. Une maître d’enseignement en informatique qui rejette la 5G: voilà qui étonne. «Je ne suis pas contre la technologie, mais lorsque l’on s’intéresse à la 5G, on révise sa copie. Les fréquences tuent les abeilles, perturbent nos cellules, agressent notre corps…»
Des conflits internes au mouvement
Plus la conversation dure, plus la distance avec le consensus scientifique augmente. Que diraient les anciens collègues de Michèle Courant? Celle qui a travaillé «toute sa vie» dans des institutions étatiques nous avise du «silence assourdissant» qui régnerait au sein de l’Université. «Nous sommes dans une guerre de l’information. En maîtrisant l’information, on peut faire voter les gens quasiment à 100% comme l’on veut, assure la chercheuse. Quant aux informations divulguées par le gouvernement, c’est un scandale. Cela ne correspond pas à la réalité du terrain, la réalité dans les hôpitaux.» La candidate au gouvernement cantonal s’est-elle rendue à l'Hôpital fribourgeois (HFR)? «Non, mais j’ai des témoignages tout à fait fiables de la part de personnes de mon entourage en France», assure-t-elle.
Interrogée sur les références à QAnon présentes sur le site internet de sa formation politique, Michèle Courant nous invite à... nous méfier du portail «Démocratie directe», pourtant présent sur les affiches électorales. «Nous nous distançons de ce site et de son contenu. Nous avons un désaccord profond avec notre chargé de communication, au point que nous avons dû créer un autre site», explique-t-elle.
L’habitante du Schönberg, quartier populaire de Fribourg pour lequel elle s'est beaucoup engagée, s’inscrit dans le courant (sans mauvais jeu de mots) de François de Siebenthal, ancien candidat malheureux au gouvernement vaudois et trublion de la politique depuis des décennies. En plus de références omniprésentes à un «État profond» qui tirerait les ficelles, la candidate pense-t-elle, comme lui, que des réseaux pédocriminels dirigent le monde? «Au vu des informations dont je dispose, cela semble malheureusement être une réalité mondiale. Certains de ces réseaux nourrissent des rites telles que les pratiques satanistes.»