Débat sur le nucléaire
«Interdire une technologie n'est jamais une bonne décision»

Le directeur d'Alpiq, le plus grand fournisseur d'électricité en Suisse, Michael Wider prend position sur la relance du débat sur le nucléaire et demande un rythme plus soutenu dans le développement des énergies renouvelables.
Publié: 31.01.2022 à 18:49 heures
|
Dernière mise à jour: 31.01.2022 à 19:49 heures
1/5
Michael Wider, président de l'Association des entreprises d'électricité.
Interview: Simon Marti

Monsieur Wider, l'UDC réclame la construction de nouvelles centrales nucléaires et le PLR se déchire sur la question de l'interdiction d'en construire. Sommes-nous en train de vivre le retour du nucléaire?
Michael Wider:
Le peuple a décidé en 2017 qu'aucune nouvelle centrale nucléaire ne serait construite en Suisse. C'est un fait. On peut maintenant discuter de tout. Seulement, nous devons prendre des décisions importantes pour la sécurité de l'approvisionnement, et il serait vraiment regrettable que la discussion sur l'énergie nucléaire retarde encore ce processus.

Suzanne Thoma, directrice des Forces motrices bernoises, a récemment déclaré dans le «Bieler Tagblatt» que la sortie du nucléaire en 2017 n'avait pas été suffisamment réfléchie. Partagez-vous son avis?
Une interdiction de technologie n'est jamais une bonne décision. C'est mon avis. Mais même si l'on voulait construire une nouvelle centrale nucléaire aujourd'hui, cela prendrait trop de temps. Elle ne pourrait pas contribuer aux pénuries d'approvisionnement à venir.

Vous n'excluez donc pas qu'une nouvelle centrale nucléaire puisse un jour être construite en Suisse?
Il ne faut jamais rien exclure. Une nouvelle génération de centrales pourrait éliminer les faiblesses des anciennes: la fusion du cœur et l'élimination des déchets. De nombreuses recherches sont menées, mais les technologies ne sont pas encore prêtes.

L'UE est en train d'étiqueter l'électricité nucléaire comme énergie verte.
Ce débat ne déteint pas sur la Suisse. L'énergie nucléaire n'est pas une énergie renouvelable. Mais elle n'émet pas de CO2. C'est un avantage.

Un tiers de la production d'électricité suisse provient aujourd'hui de l'énergie nucléaire et cette part doit être réduite, petit à petit. Parallèlement, les émissions de CO2 doivent être massivement réduites. Ces objectifs sont-ils compatibles?
Ils peuvent être atteints, mais il n'existe pas de solution toute faite. Les centrales nucléaires fonctionneront tant qu'elles seront sûres et rentables. Ce qui est clair, c'est qu'il faut accélérer le développement des énergies renouvelables, développer l'énergie hydraulique et prendre d'autres mesures pour les mois d'hiver. Car c'est à ce moment-là que nous produisons actuellement trop peu d'énergie. Il ne faut pas non plus oublier l'efficacité énergétique, pour laquelle la Suisse a encore un grand potentiel. Ce sont autant de pièces du puzzle qui sont nécessaires pour renforcer la sécurité d'approvisionnement.

Avec la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga, les cantons, les producteurs d'électricité et les associations environnementales ont identifié 15 projets hydroélectriques qui doivent être réalisés rapidement. Cela sera-t-il suffisant?
Il était juste et important d'échanger des idées. Mais ce n'est pas la panacée.

Or, la sécurité de l'approvisionnement est un problème urgent.
Il faut maintenant passer aux actes. Nous ne sommes pas vraiment des champions de la vitesse. Notre démocratie fédéraliste est ainsi faite, les procédures et les oppositions nous ralentissent. Aucun de ces projets ne sera terminé en 2025. Nous repoussons ainsi l'avenir. Si nous ne pouvons pas combler les lacunes prévisibles dans l'approvisionnement avec des énergies renouvelables, cela conduira à des solutions moins attrayantes.

Vous parlez de centrales à gaz?
Ce n'est pas exclu en cas de pénurie. Mais la Suisse se retrouverait alors dans une nouvelle situation de dépendance.

La Suisse affaiblit sa propre position. Un accord sur l'électricité avec l'UE n'est pas en vue après la fin de l'accord-cadre. Comment cela se traduit-il?
La Suisse n'est pas en marge, mais au cœur du réseau européen. Alors que nous ne sommes plus assis à la table des négociations lorsque les Européens se concertent dans les organes de planification. Nous ne faisons parfois que réagir aux décisions qui sont prises ailleurs. C'est déstabilisant.

De son côté, la Confédération met déjà en garde contre des goulets d'étranglement pour l'hiver 2025. Reste-t-il suffisamment de temps pour éviter ce scénario?
Oui. Les centrales d'accumulation dans les Alpes peuvent retenir de l'eau pour les mois critiques de février à avril. Cela permet de produire de l'énergie pendant la période de l'année où l'électricité est aujourd'hui rare. Les idées sont là, les approches sont bonnes. Mais ce qui manque, c'est le rythme.

Parallèlement, le marché de l'électricité s'emballe. Pendant les fêtes, les prix ont crevé le plafond. Pourquoi?
Quand Poutine est enrhumé, l'incertitude et les prix augmentent. La situation est grave.

C'est le président russe qui fait grimper les coûts?
Les menaces contre l'Ukraine ont déstabilisé le marché. S'est ajouté à cela le fait que la Chine et l'Indonésie ont acheté massivement des énergies fossiles, que l'Allemagne a mis des centrales nucléaires hors service et qu'en France, 15 centrales nucléaires n'étaient pas raccordées au réseau. Ces facteurs ont entraîné une hausse fulgurante des prix. Alors que les clients finaux payaient peut-être huit centimes par kilowattheure, les entreprises ont parfois payé jusqu'à 70 centimes sur le marché de gros. Nous sommes à la veille d'une possible crise énergétique systémique européenne.

C'est pourquoi Alpiq s'est vue contrainte de demander de l'aide à la Confédération?
Les entreprises qui produisent et négocient de l'énergie vendent de l'électricité à l'avance, elles fixent donc le prix avant la livraison. Celles qui vendent de l'électricité à une bourse de l'électricité doivent apporter la preuve qu'elles disposent de suffisamment de liquidités pour pouvoir se procurer immédiatement un substitut en cas de panne. Imaginez maintenant que le prix est multiplié par dix du jour au lendemain, il faut tout à coup disposer de dix fois plus de liquidités. Pour de très nombreuses entreprises énergétiques d'Europe occidentale, la situation était tendue.

Et quand les consommateurs devront-ils s'attendre à des prix plus élevés?
Ce n'est pas si rapide. Dans l'approvisionnement de base, le prix est réglementé et fixé pour un an. Cela retarde le bouleversement pour les consommateurs. Mais si les prix commerciaux restent aussi élevés, l'augmentation des prix devrait se faire sentir.

(Adaptation par Jocelyn Daloz)


Découvrez nos contenus sponsorisés
Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la