L'entreprise Evodrop ne promet rien de moins qu'une «eau potable parfaite». Les systèmes de filtration de la start-up sont censés détartrer, purifier et «vitaliser» l'eau du robinet, la rendant ainsi plus digeste.
L'entreprise, qui affirme avoir plus de 30'000 clients, veut prouver l'efficacité de ses systèmes par des certificats et des rapports de contrôle. Mais un coup d'œil en coulisses montre que tout ce que prétend le fondateur et CEO de l'entreprise, Fabio Hüther, n'est pas vrai. Le «Beobachter» a mené l'enquête.
Premiers mensonges sur la page d'accueil du site
La page d'accueil du site web d'Evodrop regorge déjà de contre-vérités, comme le montre l'enquête du «Beobachter». «Avec 6 familles de brevets, 25 brevets ainsi que des demandes de brevets actives, nous établissons des produits uniques sur le marché», peut-on y lire.
Les recherches effectuées auprès de l'Institut fédéral de la propriété intellectuelle montrent cependant que ces propos sont faux: Fabio Hüther ne fait l'objet que de six demandes de brevet, dont cinq sans recherche de brevet. Cette dernière signifie que la preuve de la «nouveauté et de l'activité inventive» n'a pas été apportée jusqu'à présent.
Evodrop n'a pas fourni les preuves physiques demandées, à savoir l'existence effective de 25 brevets et demandes de brevets. «Chaque nationalisation est considérée comme un brevet déposé individuellement», disait-on à la place.
Fausses mentions dans la presse
«Connu du 'Tages-Anzeiger' et du 'K-Tipp'», peut-on également lire. Mais ni la base de données des médias suisses ni une recherche sur Internet ne permettent de trouver des articles correspondants. Sur demande, Evodrop donne les dates auxquelles ils auraient été publiés. En réalité, il ne s'agissait pas d'articles rédigés, mais de publireportages payés. Tout comme pour un article paru dans la NZZ.
Des relations inexistantes
Parmi les entreprises citées comme références, on trouve de nombreux noms prestigieux. Mais plusieurs entreprises interrogées par le «Beobachter» se sont montrées étonnées. Elles n'ont pas ou n'avaient pas de relations commerciales significatives avec Evodrop et ne savaient même pas que leur nom était utilisé dans la publicité.
Le logo des CFF a depuis déjà disparu du site web d'Evodrop. Les deux sociétés immobilières Mobimo et Swiss Prime Site veulent également s'adresser à l'entreprise pour cette raison.
Interrogé sur la question, Evodrop voit les choses différemment: «Il n'est pas vrai que nous ayons utilisé des logos sans le savoir ou sans les projets ou autorisations correspondants mis en œuvre. Et ce, sans exception.»
Des certificats douteux
Les différents certificats pour les systèmes de filtration d'eau présentent également des incohérences. A commencer par celui de l'autorité américaine de contrôle des aliments (FDA). L'entreprise de certification chinoise qui l'aurait délivré ne connaît pas le document. Deux autres documents délivrés par la célèbre société de certification SGS ne sont pas non plus des originaux, selon SGS: «This is not an original SGS document. This document is thus of no value whatsoever and we advise you not to rely on it for any purpose», peut-on lire sur demande pour les deux documents (en français: Ceci n'est pas un document original de SGS. Ce document n'a donc aucune valeur et nous vous conseillons de ne vous y fier en aucune manière).
Mais chez Evodrop, on affime que l'installation a bien été contrôlée, rapporte Luciano Novia, le porte-parole de l'entreprise. Les rapports possèdent «les numéros d'identification officiels qui confirment l'authenticité des rapports de contrôle». SGS ne souhaite toutefois pas que l'on utilise le logo sur le site Internet. Au contraire, le rapport de contrôle ne devrait être publié que sur demande.
Les numéros mentionnés n'ont pas pu être vérifiés sur le site Internet de SGS. En revanche, le rapport de laboratoire de l'Interlabor Belp accrédité, qui a analysé l'eau Evodrop à l'automne 2018 pour détecter 614 polluants, existe en trois versions.
«C'est fâcheux et illégal»
L'enquête du «Beobachter» montre que le rapport original n'a jamais été publié sur le site Internet d'Evodrop. Sur l'ancienne version publiée, il manque la page sur laquelle figurent les résultats relatifs à la contamination bactérienne.
La dernière version, qui comportait à l'origine six pages, n'en compte plus que quatre, et les pages ont été renumérotées. Il manque notamment le passage suivant dans la section consacrée aux pesticides: «Comme la proportion d'eau de rinçage par rapport à l'eau traitée augmentait constamment en raison de la contre-pression croissante (blocage du système), il n'a pas été possible de prélever un troisième échantillon.»
A la question de savoir si le document publié est le rapport original, Luciano Novia répond qu'il a repris le résultat du test de l'entreprise précédente, Umuntu. Olivier Aebischer, d'Interlabor Belp, s'indigne: «C'est fâcheux et illégal. Aucun extrait de nos rapports de test ne peut être publié sans notre autorisation. Comme cela va à l'encontre de nos valeurs, nous allons nous adresser à Evodrop.»
Des études biaisées
De nombreuses études publiées sur le site d'Evodrop portent sur le clustering ciblé et soutenu de molécules d'eau et sur leurs avantages pour la santé. Pourtant, ce dernier n'est pas scientifiquement prouvé et reste attribué à l'ésotérisme.
La faisabilité technique d'un tel procédé est considérée comme nulle par les scientifiques: la durée de vie d'une liaison hydrogène est typiquement de l'ordre de 1 à 20 picosecondes, ce qui est bien trop court pour être transporté jusqu'au consommateur, comme cela serait nécessaire.
L'indépendance de plusieurs de ces études n'est pas non plus irréprochable. Le fondateur d'Evodrop, Fabio Hüther, est mentionné comme co-auteur de plusieurs d'entre elles.
Un faux CV pour le CEO
Le curriculum vitae de l'entrepreneur et CEO Fabio Hüther est également enjolivé. A l'âge de huit ans, il aurait été atteint d'un cancer des os. Cette «expérience de mort imminente» lui a fait remettre en question la vie en Suisse, comme il l'a raconté dans des interviews.
C'est pourquoi il a fondé à 14 ans l'association d'utilité publique «Bee the Change», grâce à laquelle il a aidé des écoliers «gambiens» à s'instruire. Comme l'un des enfants parrainés était mort du choléra à cause d'une eau contaminée, il se serait «consacré à l'eau».
Parallèlement à la mise en place de son œuvre de bienfaisance, qu'il a entre-temps rebaptisée Umuntu Movement, il dit avoir suivi des études d'ingénieur à l'Université Makerere de Kampala, en Ouganda. «Monsieur Hüther a obtenu son diplôme en 2022 de manière légale et digne. De plus, grâce à notre projet agricole historique et à l'innovation technologique en Ouganda, nous avons reçu le titre honorifique», a-t-il déclaré sur demande via le porte-parole Luciano Novia.
Mais à la célèbre université, on ne sait rien du master en «Environment and Natural Ressource Management» et du doctorat honoris causa en «Agriculture and Biosystems Engineering» dont le CEO se vante sur LinkedIn. Du côté de l'université, la réponse est claire comme de l'eau de source: «Des recherches approfondies dans notre base de données académique ont révélé que Fabio Hüther n'a été admis et enregistré dans aucun de nos programmes académiques. Il n'a terminé aucun programme d'études à l'université de Makerere.»
Candidat en politique sous un faux titre
Ce qui est certain, c'est que Fabio Hüther a bien effectué un apprentissage de technologue en impression. Il a ensuite obtenu un TGZ. Mais ce diplôme ne lui donne pas le droit d'étudier. Le TGZ est une École supérieure spécialisée «pour les professionnels de l'imprimerie sans maturité professionnelle», comme on peut le lire sur le site Internet.
Lors des élections au Conseil national de 2019, le CEO s'est présenté pour les Jeunes Vert-e-s sans formation correspondante en tant qu'"ingénieur en environnement». A l'époque, il était déjà inscrit à des études à distance en «Environmental Engineering» via la plateforme de formation continue en ligne Coursera, rétorque Evodrop. Où exactement, la question reste ouverte.
Manque de transparence
L'entreprise précédente Umuntu, qui est désormais en liquidation, a donné son nom au mouvement Umuntu. Cette ONG se fixe pas moins de quatre objectifs: de l'eau propre grâce à la technologie de filtrage de l'eau d'Evodrop, de l'air pur grâce à la plantation d'arbres dans le monde entier, une alimentation biologique grâce à la permaculture durable et une «éducation qui a du sens».
Faire un don à Umuntu via le site web est un jeu d'enfant. Ceux qui le souhaitent peuvent également se faire établir un justificatif fiscal. Ce que l'on ne dit pas, c'est que selon les informations de l'administration fiscale thurgovienne, l'association n'est pas exonérée d'impôts et que les dons ne sont donc pas déductibles. Le service de certification pour les associations d'utilité publique Zewo met en outre en garde sur son site Internet contre Umuntu Movement, en raison d'un manque de transparence.
«Umuntu n'est pas exonérée d'impôts», admet Evodrop. Mais il existe des cantons dans lesquels un don à Umuntu Movement est tout de même déductible. Et on ne participe pas à la Zewo parce que cela coûte trop cher. De plus, la Zewo elle-même «a déjà été qualifiée plusieurs fois d'«entreprise suspecte» dans les médias».