Les pays industrialisés font tous face à un effondrement du taux de fécondité. En Corée du Sud, les femmes ont aujourd'hui en moyenne moins d'un enfant au cours de leur vie. Au Japon 1,3 et dans l'Union européenne 1,5. En Suisse, le taux de fécondité actuel est de 1,46 enfant par femme.
Ces chiffres sont inquiétants dès lors que la population commence à diminuer si une femme donne naissance à moins de 2,1 enfants en moyenne. Aujourd'hui, plus de la moitié des gens vivent dans des régions où le taux de fécondité est inférieur au seuil nécessaire pour maintenir la population à un niveau stable. Dans le cas de la Suisse, l'immigration fait en sorte que le pays comptera malgré tout bientôt 9 millions d'habitants. Mais à moyen terme, nous ne serons pas de plus en plus nombreux, mais de moins en moins nombreux. Selon une étude de l'université de Washington, la population mondiale atteindra son pic de 9,7 milliards d'habitants à partir de 2064 – avant de commencer à décroître.
Pourquoi les femmes ont moins d'enfants? Certains facteurs économiques et sociaux jouent un rôle important, comme l'éducation ou la contraception par exemple. Plus de femmes travaillent et font carrière. Mais, la baisse des taux de fécondité a aussi des raisons biologiques. En 2022, une équipe internationale de chercheurs a publié une étude comparant les données de 223 travaux scientifiques. Conclusion: la concentration et le nombre de spermatozoïdes chez les hommes diminuent depuis 1973 dans le monde entier. Depuis l'an 2000, cette baisse s'est encore accentuée. Niels Skakkebæk, professeur à l'université de Copenhague, parle d'une «épidémie d'infertilité».
Pourquoi cela se produit-il?
Les scientifiques n'ont pas encore trouvé de réponse claire, mais il y a des indices. Les gènes des parents ont par exemple une influence sur le phénomène. Certaines habitudes comme fumer et boire sont néfastes, pour un genre comme pour l'autre.
En outre, un nombre croissant de personnes sont atteintes du cancer des testicules, que Niels Skakkebæk compare avec l'infertilité comme «les deux faces d'une même médaille». Le taux de personnes atteintes par cette maladie est particulièrement élevé en Suisse. À travers le monde, il s'agit même du type de cancer le plus fréquent chez les moins de 40 ans.
Et puis il y a la thèse selon laquelle le monde qui nous entoure nous rend stériles. Les produits chimiques de synthèse que l'on trouve dans les produits industriels, les biocides et les cosmétiques, influenceraient notre système hormonal et affecteraient notre capacité naturelle à nous reproduire. Pour Niels Skakkebæk, certains éléments vont dans ce sens: «Nous sommes exposés à de très nombreuses substances. Mais je ne connais pas de molécule unique qui soit responsable de l'augmentation de l'infertilité». Il n'y a donc pas de preuves définitives, même si des recherches effectuées chez les animaux ont démontré que les plastifiants présents dans le plastique les rendent stériles.
La recherche sur la fertilité humaine n'est pas seulement très complexe, elle est aussi fortement limitée pour des raisons éthiques. Faire l'amour en laboratoire pour percer le secret de la fécondation? C'est impossible. Exposer des embryons à des polluants chimiques pour en observer les effets? Très difficilement envisageable.
Que faudrait-il donc pour savoir pourquoi nous avons de plus en plus de mal à nous reproduire naturellement? Niels Skakkebæk propose ceci: «Nous avons besoin d'études démographiques à grande échelle. Nous devons parler avec ceux qui sont dans une relation stable et qui n'ont pas d'enfants. Pourquoi n'en ont-ils pas? Parce qu'ils ne veulent pas? Parce qu'ils ne peuvent pas? Et ensuite, il faudrait suivre ces couples sur une longue période et les étudier en laboratoire. Une fois les facteurs à l'origine de la stérilité identifiés, il faudrait les éliminer».
Manque d'investissement
Une recherche de grande ampleur demanderait du temps et de l'argent. Pourtant, Serge Nef, professeur de biologie du développement et de génétique à l'Université de Genève, déclare: «J'ai parfois l'impression que nous essayons d'étudier des planètes avec des jumelles».
À l'Hôpital universitaire de Genève, l'expert stocke 17'328 échantillons de sang, d'urine et de sperme de plus de 2800 hommes qui ont participé à une étude menée avec sa collègue Rita Rahban. Le déroulement de cette recherche en dit long sur les problèmes de la recherche sur l'infertilité masculine.
Elle a été lancée en 2003 par la fondation genevoise Faber, qui se consacre entre autres à la recherche sur l'infertilité. Ses initiateurs voulaient réaliser ce qui n'avait encore jamais été fait dans le monde, soit une étude comparative des spermatozoïdes de toutes les régions d'un pays. Mais la mise en œuvre s'est avérée difficile. Seuls 3% des jeunes hommes sollicités ont participé. De plus, la procédure était longue, compliquée et coûteuse. Serge Nef n'a pas abandonné: «Je savais que nous devions aller jusqu'au bout. Le potentiel de cette étude est énorme».
Les deux scientifiques ont finalement réuni 2523 échantillons exploitables. En 2019, ils ont publié leur étude intitulée «La qualité du sperme des jeunes hommes en Suisse». Les résultats ont fait les gros titres de presque tous les journaux. Chez près des deux tiers des personnes examinées (62%), au moins l'une des quatre valeurs caractéristiques de la qualité du sperme était inférieure à la norme fixée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), avec comme conséquence possible, des problèmes pour concevoir un enfant.
Dans le laboratoire, Serge Nef porte des moufles qui ressemblent à des gants de four. Le système de ventilation vrombit. Des alarmes émettent des bips. Il pousse une boîte en carton givrée hors d'un tiroir métallique. À l'intérieur se trouvent 55 tubes en plastique, chacun rempli de liquide séminal congelé. Pour pouvoir travailler avec, le chercheur et ses collaborateurs doivent le décongeler. Ils recongèlent ensuite le reste. «Nous ne jetons rien. C'est trop précieux», dit-il.
Ces échantillons biologiques provenant de plus de 2500 individus sont un trésor qui n'a pas encore été entièrement exploité. L'année dernière et cette année, tous les participants à l'étude, qui ont maintenant la trentaine, ont reçu ou vont recevoir un questionnaire pour savoir comment la qualité de leur sperme de l'époque a influencé leur fertilité. Ils doivent donner des informations sur leur santé, s'ils ont des problèmes pour avoir une descendance. Le taux de réponse est prometteur, mais une évaluation complète est encore attendue.
En outre, Rita Rahban travaille actuellement sur les effets de l'utilisation du téléphone portable sur la qualité des spermatozoïdes. Finalement, une étude devrait bientôt suivre, dans laquelle elle évalue, en collaboration avec des géographes, la qualité du sperme par région – et ce de manière très précise. Dans les réfrigérateurs se trouvent donc peut-être des réponses à la question de l'infertilité croissante.