«Quoi qu’il arrive, je suis suspendue. Ce que je voulais leur proposer, c’était d’être suspendue jusqu’à ma retraite. C’est un bon compromis, comme ça, on reste bons amis.» Face à des soutiens, hilares, l’enseignante genevoise Chloé Frammery sortait tout sourire d’une audition menée par le Département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse (DIP), le 17 juin dernier. En année sabbatique jusqu’à la fin du mois d'août, la coronasceptique — véritable égérie des complotistes romands — a été suspendue, a appris Blick grâce à une vidéo tournée par un proche. Elle ne retrouvera donc pas sa classe à la rentrée, mais touchera son salaire. On comprend mieux la boutade sur la retraite.
Pour mémoire, «Heidi. news» écrivait en octobre dernier que la prof de mathématiques aurait fait en classe de la propagande contre les vaccins. «Elle aurait aussi affirmé que le réchauffement climatique n’existait pas, se serait écriée 'tu vas mourir' à un élève qui prenait une pastille contre les maux de gorge et aurait suggéré à sa classe d’aller voir le site de l’humoriste Dieudonné, condamné à de multiples reprises en France pour antisémitisme et incitation à la haine raciale», détaillait notre confrère. Depuis, l’humoriste a aussi été condamné à Genève. Les allégations visant Chloé Frammery, quant à elles, sont fermement contestées par son avocat, qui est par ailleurs l’avocat en Suisse d’Alain Soral et de... Dieudonné.
L’affaire est cependant loin d’être pliée. Face au cameraman, l’enseignante au Cycle d’orientation indique que des auditions de témoins sont toujours en cours. En outre, trois séances seraient encore agendées en septembre avec le DIP. Toujours filmée, Chloé Frammery explique à ses soutiens qu’elle ne peut pas révéler le contenu de son audition. Elle confie toutefois: «Il y a apparemment des personnes très bienveillantes et d’autres un peu moins bienveillantes, je ne citerai pas de noms. Mais on sent les énergies, hein».
Contacté au sujet de la procédure en cours, le DIP ne fait aucun commentaire. «De par la loi, nous ne sommes pas autorisés à communiquer sur des dossiers personnels», répond dans un courriel Michael Roy, chargé de communication au département. Pascal Junod, l’avocat de Chloé Frammery, se montre plus loquace. Il assure que les informations livrées par sa cliente le 17 juin sont exactes.
Des accusations «mensongères»
«Ma mandante reste très sereine et entend bien démontrer que les accusations qui sont portées contre elles sont parfaitement infondées et mensongères, comme le démontrera à satisfaction de droit, l’audition des témoins qui seront entendus en septembre, Madame Frammery ayant reçu le soutien de nombreux parents, élèves et collègues», assure l’homme de loi. Ce dernier explique que sa cliente «aime profondément son métier» et qu’elle «fera tout pour reprendre son activité dans les meilleures conditions».
Concernant les prises de position publiques reprochées à la populaire coronasceptique, Pascal Junod rétorque qu’elles «relèvent du pur délit d’opinion et ne constituent en aucun cas une violation de ses devoirs de réserve» (lire encadré ci-dessous). En outre, elle réfute intégralement les propos «qui lui sont prêtés dans le cadre de ses cours, ce que nous entendons démontrer lors des témoignages». Toujours d'après l'avocat, les propos incriminés seraient rapportés par une seule élève «et ne sont nullement corroborés». Il appuie: «Là encore, les témoignages mettront à mal ces accusations».
Voici sa défense concernant le fond du dossier. Sur la forme, l'avocat s'étrangle: «L’enquête ouverte contre ma mandante ne résulte au demeurant pas d’une mise en oeuvre spontanée du DIP, mais bel et bien de la dénonciation calomnieuse d’une association politique qui fait son lit de la délation.»
Une démarche «classique» pour la CICAD
Sans la nommer, Pascal Junod fait allusion à la Coordination intercommunautaire contre l'antisémitisme et la diffamation (CICAD). «Nous avons effectivement pris l’initiative d’informer le DIP sur les posts et autres publications problématiques de Madame Frammery», confirme Johanne Gurfinkiel, secrétaire général de l'organisation. «Je peux l’affirmer en toute transparence. Une démarche tout à fait classique pour la CICAD face à des activistes.»
Celui qui ne partage absolument pas la position de Pascal Junod concernant le devoir de réserve de Chloé Frammery, ironise: «Il est surprenant de voir une personne, qui tient des propos plus que blâmables sur les réseaux sociaux ou dans l'espace public de façon assumée, tenter de faire volte-face dès qu'une procédure est lancée.»
Johanne Gurfinkiel ne s'arrête pas en si bon chemin: «Madame Frammery, qui a notamment fait la promotion du Protocole des Sages de Sion sur son compte Twitter (ndlr. un des plus grands classiques de l'antisémitisme) ou qui a encore reçu une quenelle d'or de Dieudonné, m'a contacté à de réitérées reprises pour, je cite: 'apaiser les apparents malentendus'. Il n’y a aucun malentendu quant aux activités de Madame Frammery. Mais quand on se fait prendre la main dans le pot de confiture, il est préférable d’assumer et non de s’offusquer face aux réactions que cela provoque.» Le secrétaire général de la CICAD insiste sur un point: «Notre dénonciation ne porte pas sur des propos tenus en classe mais bel et bien sur des propos et comportements publics de Madame Frammery.» Le DIP tranchera.
Indépendamment des propos complotistes que certains l’accusent d’avoir tenus en classe, la Genevoise Chloé Frammery a-t-elle le droit de prononcer ou d’écrire publiquement des discours du genre, alors qu’elle est enseignante au Cycle d’orientation? Pour son avocat, qui martèle que ces accusations sont «mensongères», la question ne se pose même pas. À l’inverse, Johanne Gurfinkiel, secrétaire général de la CICAD, estime que les prises de position de la coronasceptique contreviennent au devoir de réserve des fonctionnaires. Alors, que dit la loi? Nous avons posé la question au Département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse (DIP).
Force est de constater que la question est complexe. «Il faut rappeler que la liberté d’expression est garantie à toute personne par la constitution fédérale, ainsi que par plusieurs traités internationaux liant la Suisse, explique dans un courriel Michael Roy, chargé de communication au département. Les fonctionnaires en sont donc aussi titulaires, quels que soient leur nationalité, leur statut ou leur rang.»
Des restrictions existent
Concernant les restrictions apportées à la liberté d’expression des fonctionnaires, elles s’analysent selon la triade classique «base légale – intérêt public – proportionnalité», détaille-t-il en substance. «L’idée de base étant, comme l’énonce le Tribunal fédéral, que la liberté d’expression de l’agent public 'peut être limitée si l’exécution de la tâche ou le maintien de la confiance du public dans l’administration l’exigent'.»
Un devoir de réserve est ainsi prévu à l’article 20 RPAC pour les fonctionnaires, respectivement à l’article 123 LIP pour les enseignants. «Les membres du personnel sont tenus au respect de l’intérêt de l’Etat et doivent s’abstenir de tout ce qui peut lui porter préjudice», commente Michael Roy. Il s’agit donc d’opérer une pesée entre l’intérêt privé de l’agent public qui s’est exprimé ou souhaite le faire, et l’intérêt public à la discrétion dudit agent, afin de déterminer lequel est prépondérant.
Concrètement, cette pesée d’intérêts s’effectuera au regard d’un certain nombre de critères.
- En fonction de la personne qui s’exprime. A cet égard, le fonctionnaire qui incarne un rôle important de modèle doit montrer plus de retenue dans son expression. Cet aspect revêt de l’importance surtout chez les enseignants (et autres éducateurs), dont le devoir de réserve est d’autant plus grand qu’ils enseignent à des élèves jeunes et non encore mûrs intellectuellement, d’où une plus grande discrétion demandée à un enseignant primaire qu’à un professeur d’université.
- En fonction du contexte dans lequel on s’exprime (exemple: spectre du public visé)
- En fonction du contenu de l’expression (exemple: sujet plus ou moins «sensible»)
Sous réserve des conditions mentionnées ci-dessus, les fonctionnaires peuvent exprimer publiquement des positions contraires aux politiques publiques. «Chaque situation doit cependant faire l’objet d’un examen particulier en tenant compte de l’ensemble des circonstances, tempère le chargé de communication. En cas de violation des règles précitées, le membre du personnel pourrait être sanctionné par une sanction disciplinaire, voire l’employeur pourrait mettre fin aux rapports de service.»
Indépendamment des propos complotistes que certains l’accusent d’avoir tenus en classe, la Genevoise Chloé Frammery a-t-elle le droit de prononcer ou d’écrire publiquement des discours du genre, alors qu’elle est enseignante au Cycle d’orientation? Pour son avocat, qui martèle que ces accusations sont «mensongères», la question ne se pose même pas. À l’inverse, Johanne Gurfinkiel, secrétaire général de la CICAD, estime que les prises de position de la coronasceptique contreviennent au devoir de réserve des fonctionnaires. Alors, que dit la loi? Nous avons posé la question au Département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse (DIP).
Force est de constater que la question est complexe. «Il faut rappeler que la liberté d’expression est garantie à toute personne par la constitution fédérale, ainsi que par plusieurs traités internationaux liant la Suisse, explique dans un courriel Michael Roy, chargé de communication au département. Les fonctionnaires en sont donc aussi titulaires, quels que soient leur nationalité, leur statut ou leur rang.»
Des restrictions existent
Concernant les restrictions apportées à la liberté d’expression des fonctionnaires, elles s’analysent selon la triade classique «base légale – intérêt public – proportionnalité», détaille-t-il en substance. «L’idée de base étant, comme l’énonce le Tribunal fédéral, que la liberté d’expression de l’agent public 'peut être limitée si l’exécution de la tâche ou le maintien de la confiance du public dans l’administration l’exigent'.»
Un devoir de réserve est ainsi prévu à l’article 20 RPAC pour les fonctionnaires, respectivement à l’article 123 LIP pour les enseignants. «Les membres du personnel sont tenus au respect de l’intérêt de l’Etat et doivent s’abstenir de tout ce qui peut lui porter préjudice», commente Michael Roy. Il s’agit donc d’opérer une pesée entre l’intérêt privé de l’agent public qui s’est exprimé ou souhaite le faire, et l’intérêt public à la discrétion dudit agent, afin de déterminer lequel est prépondérant.
Concrètement, cette pesée d’intérêts s’effectuera au regard d’un certain nombre de critères.
- En fonction de la personne qui s’exprime. A cet égard, le fonctionnaire qui incarne un rôle important de modèle doit montrer plus de retenue dans son expression. Cet aspect revêt de l’importance surtout chez les enseignants (et autres éducateurs), dont le devoir de réserve est d’autant plus grand qu’ils enseignent à des élèves jeunes et non encore mûrs intellectuellement, d’où une plus grande discrétion demandée à un enseignant primaire qu’à un professeur d’université.
- En fonction du contexte dans lequel on s’exprime (exemple: spectre du public visé)
- En fonction du contenu de l’expression (exemple: sujet plus ou moins «sensible»)
Sous réserve des conditions mentionnées ci-dessus, les fonctionnaires peuvent exprimer publiquement des positions contraires aux politiques publiques. «Chaque situation doit cependant faire l’objet d’un examen particulier en tenant compte de l’ensemble des circonstances, tempère le chargé de communication. En cas de violation des règles précitées, le membre du personnel pourrait être sanctionné par une sanction disciplinaire, voire l’employeur pourrait mettre fin aux rapports de service.»