C'est un accord qui ne devrait plus être possible à l'avenir. Au printemps prochain, l'entreprise d'armement antiaérien suisse Rheinmettall Air Defense exportera deux canons antiaériens ultramodernes vers le Qatar. L'armée qatarie devrait les installer juste à côté des stades lors de la Coupe du monde 2022.
Ces canons sont destinés à protéger les joueurs et les supporters en cas de potentielles attaques aériennes. Pour ces ventes, Rheinmetall devrait toucher 246 millions de francs.
Ce n'est pas tout. Pour permettre aux Qataris d'utiliser correctement les canon, certains de ses employés se rendront sur place. Ils devront former les militaires qataris pendant 52 semaines.
C'est ce qui ressort de documents du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) que Blick a pu consulter, sur la base de la Loi sur la transparence. Entre de nombreuses lignes caviardées, il apparaît également que deux employés seront stationnés «en permanence sur le site» en tant qu'assistance technique.
Le DFAE juge que le Qatar viole les droits humains
Il y a deux ans, le ministère des affaires étrangères du conseiller fédéral Ignazio Cassis était arrivé à la conclusion, lors de l'examen de la demande d'exportation de ce contrat, que les droits de l'homme étaient «systématiquement et gravement» violés au Qatar.
Au cœur de la discussion: les relations troubles du Qatar et ses politiques internes des droits humains. Depuis l'attribution de la Coupe du monde en 2010, des travaux massifs ont été lancés, avec l'apparition de travailleurs étrangers surexploités. Plus de 6'500 d'entre eux, originaires d'Inde, du Pakistan et du Népal, seraient morts dans la construction des stades et des routes.
Le pays, dont la loi est basée sur la charia, a d'ailleurs autorisé une exécution l'année dernière, la première depuis 20 ans. Plus récemment, le gouvernement qatari a entamé des procédures de coopération avec les talibans, en Afghanistan.
L'exception de 2014
Toutefois, la DFAE ainsi que le Secrétariat d'État à l'économie de Guy Parmelin ont approuvé l'exportation de ces systèmes de défense aérienne.
La raison pour laquelle le contrat a été maintenu concerne une exception que le Conseil fédéral a intégré dans l'ordonnance sur le matériel de guerre, datant de 2014. Depuis, le matériel de guerre peut être livré à des pays qui commettent des violations des droits de l'homme, à condition que le risque qu'il soit utilisé à ces fins soit faible.
Contre-projet du Conseil fédéral soutenu
Mercredi dernier marque toutefois un tournant. Le Conseil des États a suivi le National et s'est prononcé en faveur d'une interdiction générale des exportations d'armes vers les pays en guerre civile ainsi que ceux où les droits de l'homme sont gravement violés.
Une majorité de parlementaires a soutenu le contre-projet du Conseil fédéral à l'initiative dite «correctrice». Le Parlement a ainsi repris pratiquement toutes les revendications des initiateurs, qui gravitent autour du Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA), ainsi que de celles du PS, des Verts et du PBD (désormais intégré au Centre).
Du côté de la gauche du Parlement, la joie était difficilement contenue: certains conseillers nationaux ont applaudi si fort que le président du Conseil national Andreas Aebi (UDC/BE) a dû taper du marteau. «Ce n'est pas un cirque, ici!», s'est-il agacé. Les auteurs ont immédiatement annoncé qu'ils retiraient leur initiative, n'ayant plus besoin d'un vote populaire.
Système ultramoderne
Fabian Ochsner, le CEO de Rehinmetall, se désole de la décision du Conseil national. «Les entreprises suisses de défense seront désavantagées par rapport à leurs concurrents étrangers», explique-t-il.
Quant aux armes dont on discute tant, elles sont en cours de fabrication dans les usines d'Oerlikon, un des quartiers nord de Zurich. Fabian Ochsner reste néanmoins enthousiaste: «Notre système de défense antiaérien est un chef-d'œuvre de technologie. Nous pouvons toucher un projectile de la taille d'une pièce d'un franc à une distance de deux kilomètres.»
Selon toute vraisemblance, le durcissement des règles ne va pas affecter ses contrats dans l'immédiat. Le temps que le projet entre en vigueur, les deux canons seront déjà arrivés au Qatar. Mais il craint que les munitions et les pièces de rechanges assurées pour les armes existantes ne puissent bientôt plus être livrées au Moyen-Orient.