Elles sont contraintes de faire du racolage, de vernir des ongles pour un salaire de misère ou de travailler dans des conditions proches de l'esclavage dans de riches ménages: le nombre de victimes de la traite d'êtres humains qui cherchent de l'aide en Suisse a doublé au cours des deux dernières années, selon une statistique des centres de consultation.
Les organisations constatent surtout une augmentation des demandeurs d'aide – le plus souvent des femmes – qui ont été victimes de la traite des êtres humains à l'étranger. «Depuis cinq ans, nous prenons en charge de plus en plus de femmes qui ont été exploitées en Italie, en France ou dans un autre pays et qui se réfugient en Suisse pour échapper à l'exploitation», explique Doro Winkler, du Centre d'assistance aux femmes victimes de la traite et de la migration (FIZ) à Zurich.
Lidia* est l'une de ces femmes. Pour protéger cette Ougandaise, Blick modifie son prénom. La jeune femme a fui en Suisse il y a un peu plus d'un an – un client en France lui avait acheté un billet de train. Elle est arrivée au centre fédéral d'asile à Zurich puis, par l'intermédiaire de l'avocat qui lui a été attribué, au FIZ.
Pas d'abri, pas de thérapie
Selon sa conseillère, Lidia était fortement traumatisée au moment de sa fuite. «Elle n'osait pas aller aux toilettes la nuit, de peur de rencontrer des habitants masculins du centre», raconte cette dernière.
Une demande de transfert dans le programme de protection spécialisé pour les victimes de la traite d'êtres humains lui aurait été refusée. Une thérapie n'aurait pas non plus été possible, en raison de la longue liste d'attente. La seule chose que l'Ougandaise pouvait faire contre les troubles du sommeil et les crises de panique était de prendre des comprimés.
Les services spécialisés désapprouvent la manière dont la Confédération traite les victimes comme Lidia. La critique n'est pas nouvelle: il y a des années déjà, un comité d'experts du Conseil de l'Europe reprochait à la Suisse le fait que les personnes exploitées à l'étranger bénéficient de moins de protection et de soutien que les victimes vivant dans notre pays. En effet, si Lidia avait dû se prostituer en Suisse, elle aurait trouvé refuge dans le centre d'hébergement pour victimes de la traite d'êtres humains. De plus, elle aurait eu droit à des conseils gratuits. De même, une indemnisation et une réparation morale n'existent que pour celles qui ont été exploitées en Suisse - pas à l'étranger.
La Suisse enfreint ainsi la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite d'êtres humains. En 2021, la Confédération a en outre été rétrogradée par le Département d'État américain: elle ne fait désormais plus partie des pays les plus exemplaires dans ce domaine.
La lacune demeure
Bien que la lacune soit connue depuis longtemps, elle persiste encore aujourd'hui. Un rapport commandé par la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales (CDAS) il y a quelques années concluait clairement à la nécessité d'adapter la loi sur l'aide aux victimes. Mais la ministre de la Justice de l'époque, Karin Keller-Sutter (PLR), est passée outre la recommandation et a estimé qu'il n'y avait pas de besoin urgent de réforme.
Aujourd'hui, les choses bougent au Parlement. La commission juridique du Conseil national veut combler la lacune et adapter la loi de manière à ce que les femmes et les hommes qui ont été exploités à l'étranger aient également droit à une aide. L'été dernier, elle a déposé une initiative parlementaire en ce sens, qui sera probablement discutée au Conseil national lors de la prochaine session de printemps. Elle aurait de réelles chances d'être acceptée.
Le Conseil fédéral vient en outre d'adopter un nouveau plan d'action national contre la traite d'êtres humains - le troisième du genre. Il prévoit lui aussi des mesures pour mieux protéger des personnes comme Lidia. Les cantons doivent notamment créer les bases d'un nouveau service national d'aide aux victimes spécialisé dans ce type de cas.
«Il faut absolument faire quelque chose»
L'intervention de la commission juridique est un pas important, affirme la conseillère nationale zurichoise Min Li Marti, membre du PS: «Conseiller les victimes, même si le lieu du crime est à l'étranger, n'est pas seulement juste d'un point de vue humanitaire, cela pourrait aussi être important pour que les auteurs puissent être jugés.» Les victimes n'oseraient souvent pas faire de déclaration, par peur. «Celles qui bénéficient de conseils et de soutien sont plus enclines à témoigner», affirme la Zurichoise.
Mais les hommes et femmes politiques de gauche ne sont pas les seuls à considérer qu'il est urgent d'agir. La situation actuelle est insatisfaisante, affirme la conseillère nationale argovienne du Centre Marianne Binder-Keller: «Il faut absolument faire quelque chose!» Les partisans d'un changement espèrent que la nouvelle ministre de la Justice, Elisabeth Baume-Schneider (PS), fera bouger les choses.
* Nom connu de la rédaction