Ah, le 1er Août… Difficile de trouver meilleur exemple de «marronnier». Dans le jargon journalistique, le terme évoque une thématique qui revient à échéance régulière et pour laquelle les rédactions ne font pas toujours preuve d’originalité. Lorsqu’elles ne réutilisent pas le contenu des années précédentes.
Dans cet océan de déjà-vu (auquel Blick n’échappe pas, soyons honnêtes), il y a une pièce maîtresse: «Pour ou contre les feux d’artifice?» Étincelles garanties (oui, le thème est aussi propice aux jeux de mots), tant le sujet polarise, avec aficionados d'un côté et propriétaires d’animaux inquiets ou défenseurs de l'environnement de l'autre.
Et si la pandémie avait marqué un tournant en matière de pyrotechnie? De nombreux signaux montrent que l’ère de la surenchère explosive semble bien terminée. Tout part d’une demande innocente aux villes romandes actives sur ce «marché». Comment les trouver? Facile, le marronnier! En 2017, «Le Nouvelliste» réalisait un tour d’horizon exhaustif des «shows» de célébration patriotique. «Le trio de tête dépasse à lui seul le million de francs», écrivait le quotidien valaisan. De l’argent qui, il y a cinq ans, partait en fumée(s) en un temps record: Bienne détenait la palme avec 3800 francs la minute.
Qui dit mieux, cinq ans plus tard? Personne! Au gré des réponses tombant les unes après les autres dans notre boîte mail, la tendance se dessine aussi distinctement qu’une «belle rouge» dans le ciel un soir de Fête nationale: l’heure n’est plus à la pyrotechnie. «Plus de feux d’artifices à Crans-Montana!», écrit Sophie Clivaz, coordinatrice de la communication de la station valaisanne. «Les concepts de jardins de feu mis en place durant ces deux années de pandémie ont été très appréciés et ont fait leurs preuves», justifie-t-elle.
Un spectacle de drones comme alternative
Son «concurrent» biennois a pris la même décision. «Les traditionnels feux d’artifice, qui réunissaient chaque année jusqu'en 2019 environ 100'000 personnes le 31 juillet aux Prés-de-la-Rive, n’auront pas lieu cette année», confirme Julien Steiner, vice-chancelier. La cité horlogère propose une solution indirecte via le festival Lakelive (lire plus bas): un spectacle de drones. Une alternative plus respectueuse de l’environnement qui s’inscrit dans l’esprit du temps politique. «Il répond à une volonté du Parlement de Bienne, qui a adopté un postulat pour des feux d’artifice plus silencieux (sic) en janvier», précise le vice-chancelier.
Nouveaux mails entrants. «Bonjour, la Ville de Bulle a renoncé depuis quelques années à faire un feu d’artifice pour la Fête nationale, pour des raisons d’environnement et de nuisances.» Et hop, un autre: «La Ville de Vevey n’organise plus de feu d’artifice.» Et encore celui-ci: «Il n’y a pas de pyrotechnie cette année à Genève.»
Même à Genève! La tendance est lourde, et la sécheresse n'est même pas mentionnée pour justifier cette nouvelle réalité. On en vient à douter: existe-t-il encore un seul endroit où admirer des feux d’artifice en Suisse romande? Que les fans se rassurent: Fribourg, Neuchâtel ou Lausanne sauront régaler leurs mirettes. Mais pour combien de temps encore?
Chiffre d'affaires en berne
Daniel Bussmann est un homme affecté. Contacté par notre rédaction alémanique, le directeur de Bugano, plus grand fabricant suisse de feux d’artifice, n’arrive pas vraiment à répondre à nos questions. Il s’excuse et raccroche. Difficile de lui en vouloir: entre le Covid et le duo canicule/sécheresse qui a provoqué l’interdiction des feux dans de nombreux endroits du territoire, le chiffre d’affaires de l’entreprise familiale basée à Neudorf (LU) n’arrive désespérément pas à décoller.
Longtemps, Bugano a profité d’un secteur en plein boom, sans mauvais jeu de mots. Toni, le père de famille (75 ans aujourd’hui), a fondé l’entreprise en 1987 et l’a rapidement positionnée comme un poids lourd de la pyrotechnie en Suisse et ailleurs. Lors de la fête nationale du Qatar, ce sont des fusées Bugano qui se sont élevées dans la nuit émiratie. Avant que des spectacles de drones ne les remplacent…
Aux commandes de l’entreprise depuis le début juillet, le fils Daniel a eu un désagréable bizutage en voyant l’un des principaux clients du 1er Août lui faire faux bond: précisément celui tiré sur le lac de Bienne. Encore plus qu’un coup dur, c’est un symbole: même lors des étés caniculaires où les feux d’artifice étaient interdits dans de nombreux cantons, les gens se rabattaient sur le Seeland et sa pyrotechnie lacustre, plus sûre. C’est fini.
Les drones, deux fois plus cher
Une intervention conjointe de la gauche et des Verts au Conseil de ville de Bienne, jugeant que les feux d’artifice étaient «un vestige du passé», a sonné le glas des espoirs de Bugano. «Vu le contexte politique, nous n'aurions probablement eu aucune chance d'obtenir une autorisation pour un feu d'artifice», explique le président du comité d'organisation, Jürg Engel. Fait intéressant, un spectacle de drones coûterait «au moins le double» du budget prévu pour de la pyrotechnie. Impossible de le financer avec le budget actuel.
C’est donc le festival voisin, Lakelive, qui s’est engouffré dans la brèche et propose un jeu de lumières réalisé par une centaine d’engins guidés à distance. Des drones à la place des pétards et des fusées: est-ce le futur des festivités du 1er Août? Sur les bords du lac de Bienne, Marc Loosli n’ose pas répondre par l’affirmative. «Le débat est très chargé émotionnellement…», soupire-t-il en bottant en touche.
Pourtant, ce Bernois de 37 ans aurait tout à y gagner: il a cofondé la start-up Swiss Drone Show basée à Gerolfingen, sur la rive sud du lac de Bienne. C’est lui qui est chargé du spectacle de drones qui doit voler la vedette aux fusées et autres gerbes lumineuses: «Nous nous considérons pas comme un substitut aux feux traditionnels, mais comme un complément.»
Interdiction dans la Constitution?
Les feux d’artifice, c’est du sérieux! Le psychodrame qui se joue dans le Seeland est révélateur de la tension qui règne autour de la pyrotechnie. Crans-Montana a aussi opté pour les drones, tandis que d’autres formes originales (un jet d’eau à Neuenegg dans le canton de Berne, un feu d’altitude dans les Grisons…) existent.
Dans la plupart des communes, les particuliers sont autorisés à tirer des feux d'artifice le 1er août et le 31 décembre. Mais les défenseurs de l'environnement et des animaux veulent désormais aller plus loin et inscrire dans la Constitution une interdiction de la pyrotechnie toute l'année. Une récolte de signatures est actuellement en cours pour une initiative populaire en ce sens. Seules les «manifestations d'importance suprarégionale» devraient faire l'objet d'exceptions, selon le texte de l'initiative.
Face à ce vent contraire qui semble inéluctable, existe-t-il encore des gens pour défendre les feux d’artifice? Urs Corradini est l’un d’eux. Ce sexagénaire est président de la Coordination suisse pour les feux d’artifice. Il n’a pas vraiment de compréhension pour une initiative populaire qui vise des droits valables uniquement deux jours par an. «J’en appelle à la tolérance», déclare-t-il à Blick.
Urs Corradini ne veut pas considérer les spectacles de drones (ou autres) comme une concurrence. «Avec un feu d’artifice, on ressent une force et une émotion uniques. C’est incomparable avec un spectacle d’appareils électroniques», tacle le Lucernois. Il ne lui reste plus qu’à espérer que la récolte de signatures péclote — mais c’est mal parti: en deux mois (sur les 18 mois à disposition), plus de 20'000 citoyens ont déjà paraphé le texte, selon la presse alémanique. Le dossier va rester très chaud, pour ne pas écrire explosif!
(Collaboration: Levin Stamm)