C’est dans un véritable fief que se rend Blick en cette fin de matinée: celui de la famille Berset. Nous sommes dans la commune fribourgeoise de Belfaux, à environ dix minutes de train de Fribourg. La maman, Solange Berset, a été syndique de ce village de plus de 3000 habitants pendant dix ans. Le fils, Alain, est un héros local. Ses rôles de président de la Confédération à deux reprises et de guide de toute une nation pendant la pandémie n’y sont sans doute pas étrangers. Au centre du village se situe la maison familiale. Voilà pour le décor.
Les raisons de notre voyage? Comme nous le révélions hier, en 2018, le conseiller fédéral et sa famille ont fait opposition avec succès à l’implantation d’une antenne de téléphonie mobile à proximité de leur domicile. Pas anodine, la nouvelle n’est pas passée inaperçue: «J’ai lu cette histoire ce matin, nous glisse un habitant. J’ai cru comprendre que l’antenne devait, à la base, être installée sur le clocher de l’église.»
En réalité, c’est un peu plus en contrebas, dans ce qui est encore le centre du village, que le projet était envisagé. Une antenne aurait du se dresser à proximité de la villa Berset. «On voyait bien les gabarits qui représentaient l’antenne», nous explique un autre habitant de la zone. Mais Swisscom a laissé tomber son projet après les oppositions reçues, dont celle de la famille du conseiller fédéral. Un lâcher-prise surprenant, tant l’opérateur n’a pas l’habitude - de son propre aveu - d’abandonner ses plans si rapidement. L’éminent nom qui figure sur les documents officiels a-t-il eu raison des ambitions de l’opérateur?
«Une omerta Berset»
Dans un magasin de sport situé à proximité, David ne se montre pas surpris: «Les Berset? Ils font la pluie et le beau temps ici, vous savez. Je comprends qu’Alain Berset puisse faire opposition à titre privé, mais on ne sait jamais vraiment ce qui se passe… tout semble étouffé», regrette-t-il.
L’homme de 43 ans marque une pause avant d’enchaîner: «En fait il y a une sorte d’omerta Berset! On sait que des choses se trament, mais c’est toujours par personnes interposées», s’agace notre interlocuteur. «C’est la gauche caviar, ça passe par les copains et on ne leur dit jamais rien. Je n’ai personnellement rien contre Alain Berset, mais je trouve qu’il utilise un peu trop sa position de pouvoir.» Voilà qui est dit. Le reste du village se montrera-t-il aussi remonté?
Pour d’autres habitants croisés sur notre route, l’affaire n’a pas lieu d’être: «Alain Berset est un citoyen comme un autre, nous rétorque cet homme qui vient chercher son pain à la boulangerie locale. En plus, il n’est pas le seul à avoir fait opposition. Pour moi, ce n’est pas un problème».
Même son de cloche un peu plus loin: «Je trouve qu’Alain Berset a tout à fait le droit de faire opposition à titre privé», nous assure Julien, 32 ans. Pourtant, nous ressentons une certaine gêne à l’idée de répondre à nos questions sur ce sujet que l’homme qualifie lui-même de «sensible».
Un sujet «sensible»
Bien qu’il y ait plus d’automobilistes que d’habitants dans les rues de Belfaux à cette heure-ci, nous décidons tout de même de recueillir d’autres avis. La tâche s’annonce difficile. Personne ne semble vouloir répondre à nos questions. À la sortie du train, à la gare TPF, nous croisons un homme, le pas pressé. Après nous être présentés, celui-ci affirme ne rien avoir à nous dire sur le sujet.
Nous nous rabattons alors sur la Maison de commune pour obtenir d’autres informations. Une fois sur place, nous nous annonçons à la réception, avant de voir apparaître derrière le guichet… le même homme. «Avez-vous quelque chose à dire sur le sujet, de manière officielle cette fois-ci?» lui demande-t-on sur le ton de la boutade. «Toujours pas, nous répond-il avec un sourire gêné. Mais vous avez bien fait de poser la question.»
Julien avait certainement raison, la question met mal à l'aise dans les parages. Convaincus que nous ne tirerons rien de plus de notre balade à Belfaux, nous prenons donc la direction de la fameuse zone prévue pour l’antenne en question.
Réseau insuffisant? Pas sûr
A proximité se situe une garderie, qu’Alain Berset évoquait d’ailleurs dans son courrier à la commune pour motiver son opposition. Au magasin de sport, on partage ce point de vue. «Je ne suis pas spécialement fan de 5G et c’est vrai que, avec les enfants à côté, ce n’est pas plus mal que cette antenne n'ait pas vu le jour.»
Swisscom justifiait son projet d’antenne par le manque de réseau dans la commune de Belfaux. «Je n’ai jamais remarqué une quelconque insuffisance en la matière», s’étonne un habitant. À ses côtés, un autre citoyen abonde. «Nous avons de nombreuses entreprises dans le coin et je ne crois pas qu’elles soient touchées par un manque de réseau.»
Tout le monde semble avoir des arguments à faire valoir dans les parages. Le plus évident de tous reste toutefois la position de la villa Berset, en pleine axe du terrain prévu.