Selon les principaux exploitants de stations-service en Suisse, la situation sur le marché de l'approvisionnement en carburant est «tendue» et «difficile». Le niveau du Rhin étant à un niveau historiquement bas, il n'est pas possible d'acheminer autant de carburant que nécessaire dans le pays. Les bateaux de marchandises ne peuvent pas transporter plus de 25% de leur chargement habituel, au risque de rester bloqués sur le fleuve.
Le transport de marchandises ne peut pas non plus s'effectuer par rail. En raison d'un manque de personnel et de travaux en Allemagne, le trafic ferroviaire transfrontalier subit des annulations et de nombreux retards.
Un stock d'urgence obligatoire
La situation est si préoccupante que la Confédération a décidé, il y a quatre semaines, de puiser dans les réserves obligatoires. Cela signifie, pour le moment, que les importateurs d'huiles minérales sont autorisés à prélever 245'000 mètres cubes d'essence et de diesel dans les réserves d'urgence afin que l'essence continue de couler à la pompe. Cela représente 6,5% du stock d'urgence.
«Jusqu'à présent, environ la moitié de cette quantité a été prélevée», explique à Blick Andrea Studer, directrice de Carbura, l'entité responsable des réserves obligatoires en Suisse.
Mais concrètement, comment ce stock d'urgence est-il mis en place? Il ne s'agit pas pour la Confédération de posséder ses propres citernes, où elle garderait une quantité d'essence, de diesel ou de mazout en cas de nécessité. Ce sont les importateurs qui sont tenus de disposer en permanence d'une certaine quantité d'urgence, au cas où une situation comme celle que nous connaissons actuellement se produirait.
Des exploitants de stations-service tels qu'Agrola, Coop Mineralöl ou Migrol font notamment partie de Carbura. Dans le cas où ils reçoivent moins de marchandise par le Rhin, ils ne font pas appel à la Confédération mais sont simplement autorisés à puiser dans leurs propres stocks.
Faut-il craindre de longues files à la pompe?
Pour l'instant, les automobilistes ne remarquent rien de cette situation difficile, hormis bien sûr l'augmentation du prix de l'essence. La dernière fois que la Suisse a dû puiser dans ses réserves obligatoires, c'était en 2018, en raison déjà de la baisse des eaux sur le Rhin.
L'Allemagne a aussi vécu pareille mésaventure en 2018 et avait décidé de puiser dans ses réserves pour contrer le risque de pénurie. Cela n'avait pas empêché de longues colonnes de voitures de se former devant les stations-service du pays. En Suisse, une telle situation n'est pas à craindre, rassure Andrea Studer. «En Allemagne, il fallait à l'époque amener le carburant du nord au sud, ce qui a entraîné des goulots d'étranglement dans les livraisons», explique-t-elle.
En Suisse, étant donné que chaque importateur gère ses propres réserves obligatoires, le stock d'urgence est réparti dans tout le pays. Cela éviterait donc une gabegie dans les livraisons.
On pourrait s'attendre à ce que les prix des carburants contenus dans les stocks d'urgence soient moins chers, étant donné que ces derniers ont été constitués avant l'augmentation des prix. Que nenni! Les importateurs doivent remplir à nouveau leurs stocks le plus rapidement possible, en achetant du carburant supplémentaire, dont le prix suit cette fois-ci le cours actuel. Ainsi, le consommateur ne verra pas de changement à la pompe.
Le niveau du Rhin baisse beaucoup trop tôt
Il est atypique qu'une situation aussi tendue règne sur le Rhin dès la mi-août. «Habituellement, le niveau ne baisse qu'à partir de la mi-septembre jusqu'en décembre», écrit à Blick l'association professionnelle des importateurs de carburant, Avenergy.
Cela signifie donc que la situation pourrait encore s'aggraver dans les mois à venir. Les pluies annoncées en Suisse n'y changeront rien pour l'instant. «Ce n'est que lorsqu'il pleuvra pendant deux semaines que le niveau d'eau du Rhin reviendra à la normale», estime Andrea Studer.
Les exploitants des stations-service ne s'attendent donc pas à une détente rapide de la situation. Ils s'attendent au contraire à ce que celle-ci devienne de plus en plus tendue.
En cas d'urgence, le plein sera fait sur l'autoroute
La panique n'est pas pour autant à l'ordre du jour, rassurent les représentants de la branche. Les réserves obligatoires peuvent tenir un peu plus de quatre mois - et cela seulement dans le cas où plus aucun nouveau carburant n'arriverait dans le pays. «Si les réserves obligatoires continuent d'être mises à disposition du marché dans les mêmes proportions qu'actuellement, les quantités suffiront pour environ 18 mois», rassure Andrea Studer.
Les exploitants de stations-service ont néanmoins d'autres plans d'urgence dans leurs tiroirs. Oel-Pool, qui exploite en Suisse les stations-service de BP, Ruedi Rüssel et Miniprix, ne s'attend pas, selon ses propres indications, à ce que des «stations-service ferment partout le territoire». Le groupe précise cependant: «Si la situation devait vraiment s'aggraver et qu'il y avait des contingentements, nous prévoyons comme première mesure la fermeture de certaines stations-service et la concentration des livraisons sur les grandes stations-service, situées sur les axes routiers importants.»
En d'autres termes, cela signifie qu'il serait encore possible de faire le plein sur les autoroutes, mais plus dans les petites stations en pleine campagne.
(Adaptation par Thibault Gilgen)