Kilian Ambord est un homme inquiet. Le directeur des soins du Centre hospitalier du Haut-Valais (ZSO), à Viège, avait l'habitude de voir son établissement se remplir en hiver. Mais c'était en plein boom du ski, avec toutes les blessures qui vont avec. Or, cette année, la saison n'a pas encore commencé...
Le service des urgences du ZSO est, pourtant, déjà débordé. La meilleure preuve? Les cinq lits installés en catastrophe au milieu du couloir. Et le pire, c'est que la situation dure. «Cela fait des mois que tous les lits de nos sites de Viège et de Brigue sont occupés», explique Kilian Ambord. Le directeur n'avait pas connu pareille situation de toute sa carrière.
Et le problème ne se limite pas aux urgences: la place manque aussi dans les autres services. «Parfois, jusqu'à 50 patients attendent d'être transférés», raconte le directeur de l'hôpital.
La situation aperçue à Viège n'est pas un cas isolé. Loin de là. Elle est représentative de l'état du système de santé suisse. Les signaux d'alerte se multiplient et ils inquiètent. «La surcharge est historique et la situation générale totalement désemparée», résume Pierre-André Wagner, responsable du service juridique de l'Association suisse des infirmiers.
Selon cet avocat, en poste depuis près de vingt ans, les problèmes se situent tout au long de la chaîne de soins. «C'est une crise multiple», explique-t-il à Blick.
Virus RS, grippe et coronavirus en même temps
Ces dernières semaines, c'est surtout le virus RS qui a fait parler de lui. Les services pédiatriques n'arrivent plus à suivre face aux admissions pour cette pathologie.
Pédiatrie Suisse elle-même parle de «records absolus»: alors que le nombre d'enfants atteints était à 100 en décembre 2021 — ce qui était déjà beaucoup —, plus de 400 infections ont été détectées ce mois-ci.
Comme tous les autres établissements, l'Hôpital de Viège a fort à faire avec le virus RS. Mais ce n'est pas la seule épidémie qui préoccupe le personnel. «Actuellement, nous avons une trilogie, avec encore l'influenza et le coronavirus», explique Andreas Frasnelli, médecin-chef du service des urgences.
Selon l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), le nombre de cas de grippe a plus que doublé en une semaine. De plus, cette année, elle a fait rage avec environ cinq semaines d'avance sur le pic habituel.
300 infirmiers s'en vont chaque mois!
La situation actuelle est aggravée par la pénurie chronique de personnel qualifié dans tous les hôpitaux, qui fait presque chaque semaine la une des journaux. Selon l’Association suisse des infirmières et infirmiers, environ 300 infirmières et infirmiers tournent le dos à la profession chaque mois.
L’épuisement est important et la propension à continuer de travailler dans des conditions telles que le stress permanent, les horaires irréguliers et les heures supplémentaires à profusion.
Même en dehors des soins aigus, il y a un manque généralisé: le besoin en personnel qualifié est également croissant dans le secteur des soins à domicile, explique à Blick Francesca Heiniger, de l’Association suisse éponyme.
La forte pénurie de personnel fait peser un risque systémique sur tout le système de santé helvétique. C'est le sentiment de Kilian Ambord. «Avant, quand il y avait un boom de patients pendant la saison d’hiver, nous pouvions toujours augmenter brièvement les effectifs». Mais ce n’est plus possible, par faute de personnel.
Philipp Lutz, de l’Hôpital cantonal de Saint-Gall, en sait quelque chose: «Si tous les postes étaient occupés, nous pourrions mettre en service 60 à 80 lits de plus», explique le porte-parole à Blick. L’occupation des lits est actuellement nettement plus élevée qu’avant la pandémie.
La situation est similaire à l’Hôpital de l’Île, à Berne. Les services d’urgence du canton sont occupés au maximum depuis des mois et fonctionnent parfois au-dessus de la limite de capacité, indique la porte-parole Petra Ming.
L’augmentation du nombre de patients est aussi un facteur. Selon Ronald Alder de l’association des hôpitaux zurichois (VZK), la hausse des taux d'occupation est «massive». «Alors que dans les hôpitaux zurichois, environ 80% des lits étaient occupés avant la pandémie, le chiffre est aujourd’hui de 90%, voire plus», explique-t-il.
Il y aurait deux raisons au fait que les hôpitaux aient davantage de patients. «Premièrement, notre société vieillit et a donc besoin de plus de soins. Deuxièmement, le manque de médecins de famille conduit les gens à se rendre plus facilement aux urgences», analyse Ronald Alder.
Selon le président des médecins de famille, Philippe Luchsinger, entre 3000 et 4000 médecins de famille et pédiatres supplémentaires seront nécessaires dans les prochaines années.
Pas de lumière au bout du tunnel
Les habitants de Viège peuvent en témoigner... «Dans tout le Haut-Valais, nous n’avons que cinq pédiatres — et ce alors que la population augmente», détaille le directeur des soins, Kilian Ambord. Selon lui, cela a des répercussions massives sur le service des urgences: rien que l’année dernière, le Centre hospitalier du Haut-Valais a compté plus de 21’000 patients aux urgences. «C’est 8,5% de plus que l’année précédente», abonde Andreas Frasnelli. Et la tendance est à la hausse.
Les lits dans le couloir doivent permettre à l'Hôpital de Viège de passer l'écueil. Mais la situation n'est pas optimale. «On dirait un pays en voie de développement», soupire Kilian Ambord. Et le début de la saison de ski ne fait qu'empirer l'inquiétude du directeur.
Quand est-ce que la situation hospitalière se normalisera? Personne ne le sait. Pour Pierre-André Wagner et son Association des infirmières et infirmiers, cela pourrait ne jamais arriver. «Je ne vois pas de lumière au bout du tunnel, tant que les politiciens n'assumeront pas leurs responsabilités.»