Trois ans et neuf mois de prison ferme. Tel est le verdict prononcé mi-avril 2022 par le tribunal de district de Zurich à l’encontre de l’ancien patron de la banque Raiffeisen Pierin Vincenz. Son partenaire commercial de longue date Beat Stocker, ancien CEO de la société de cartes de crédit Aduno, a même écopé d’une peine de quatre ans de prison, également sans sursis.
Cette semaine, le juge de district Sebastian Aeppli et ses collègues ont fourni la justification écrite de la peine. Il ressort de ce dossier de 1200 pages que les infractions les plus graves à la loi ont été commises lors de l’achat de la société de participation pour PME Investnet. Le tribunal justifie plus de la moitié de la peine de prison de Pierin Vincenz et Beat Stocker par cette affaire, qui avait à l’époque déclenché le procès économique de la décennie.
Tout a commencé par un paiement de 2,9 millions de francs que Beat Stocker a versé le 3 juillet 2015 sur le compte de Pierin Vincenz à la banque Raiffeisen de Lugano. Quelques mois plus tard, Lukas Hässig, propriétaire du journal financier en ligne Inside Paradeplatz, a eu vent de la transaction – et elle lui a semblé hautement suspecte: le journaliste savait que Raiffeisen s’était approvisionnée chez Investnet quelques semaines seulement avant le virement et que Beat Stocker avait mis en place cette transaction.
2,9 millions pour une maison?
Le virement de 2,9 millions de francs faisait-il partie de ce deal? Le patron de la banque Raiffeisen aurait-il participé secrètement à Investnet – la société qu’il a ensuite acquise avec la banque coopérative? Lukas Hässig avait alors demandé à Pierin Vincenz: «Y a-t-il un lien?»
Le banquier à la tête de Raiffeisen avait alors répondu par la négative: «Il n’y a aucun lien. Cette question à elle seule est scandaleuse. Monsieur Stocker m’a accordé un prêt privé pour l’achat d’une maison.»
Le 7 avril 2016, le journaliste d'Inside Paradeplatz a rendu public le «paiement explosif». Résultat: les autres médias, les entreprises concernées, l’Autorité de surveillance des marchés financiers (Finma) et les autorités de poursuite pénale ont commencé à s’intéresser à ce qui se passait.
Un prêt utilisé pour acheter des actions
Pierin Vincenz et Beat Stocker ont toujours maintenu que les 2,9 millions étaient un prêt, même devant le tribunal de district. Mais dans le jugement, le «scénario du prêt» est rejeté. Le tribunal a certes reconnu que l'ex-dirigeant de la banque avait utilisé une partie de l’argent, environ deux millions de francs, pour l’achat d’un bien immobilier au Tessin. Mais le jugement souligne également que pas toute la somme d'argent n'avait été utilisée pour l'achat de l’immeuble, loin s’en faut. Au contraire, les fonds auraient également été utilisés pour d’autres acquisitions, par exemple pour acheter diverses actions.
Les juges démontent les arguments de l’ex-patron de Raiffeisen: «Si l’accusé Pierin Vincenz avance à ce sujet que les fonds ont également été retirés pour une éventuelle rénovation de l’immeuble, aucun élément convaincant ne vient étayer cette version, d’autant plus que même une rénovation importante n’aurait guère coûté environ 1 million de CHF et qu’une telle rénovation n’a ensuite jamais été planifiée, et encore moins réalisée, après la réception de l’argent, comme l’accusé a dû le reconnaître lors de l’audience principale.»
Le jugement cite en outre comme «indice fort d’une sous-participation» une conversation téléphonique interceptée le 21 février 2018, dans laquelle Beat Stocker laisse entendre à plusieurs reprises que les recettes de la vente d’Investnet ne lui reviennent pas seulement, mais aussi à Pierin Vincenz.
Sous écoute téléphonique
Voici la retranscription de l'échange téléphonique entre les deux partenaires commerciaux: «Dans la tranche 1, nous avons reçu 5,9 millions […], dont 2,9 millions t’ont été versés euh 2,9 millions de la tranche 1… les fameux… plus 0,8 ce sont les différents prêts plus les factures de Peter […] dans une considération fifty-fifty, tu as davantage profité. L’idéal serait maintenant le modèle suivant dans nos relations internes. […] Si nous trouvions une telle solution avec 7,5 millions de prêts de ma tranche 3, nous aurions d’une part créé une égalité entre nous et, d’autre part, nous aurions des dispositions pour les flux financiers futurs, s’ils sont alors nécessaires.»
Selon le tribunal, cette conversation téléphonique montre comment Beat Stocker a cherché des moyens de faire parvenir au patron de Raiffeisen, par des voies détournées, la moitié des fonds qui lui étaient dus et qui couleraient à l’avenir. Les virements directs n’étaient plus possibles en raison de la procédure de la Finma en cours.
«Action Armstrong»
Il s’en est fallu de peu que la conversation ne soit pas enregistrée. En effet, lors de la première tentative, le Ministère public s’est vu refuser l’autorisation d’une surveillance téléphonique des deux partenaires commerciaux. Comme l'explique le jugement, l'«action Armstrong» a été rejetée par la Cour suprême du canton de Zurich par décision du 30 janvier 2018. Ce n’est que lorsque le Parquet a déposé une nouvelle demande de surveillance une semaine plus tard que la Cour suprême a donné son feu vert le 12 février. Moins de dix jours plus tard, les enquêteurs ont enregistré la conversation fatale.
Les dossiers n’indiquent pas clairement pourquoi la Cour suprême n’a pas voulu autoriser l’écoute dans un premier temps, mais on peut supposer que la première demande portait sur des faits très anciens et que le tribunal a donc estimé qu’une surveillance n’apporterait guère de preuves supplémentaires.
Le Parquet a ensuite justifié la deuxième demande de surveillance par la transaction Investnet – et a obtenu gain de cause.
Suite de l'affaire dans quelques mois
Dans quelques mois, l’affaire Vincenz devrait à nouveau être portée devant la Cour suprême zurichoise. Toutes les parties ont déjà annoncé qu’elles contesteraient le jugement du tribunal de district devant la prochaine instance. A cette occasion, les résultats des écoutes téléphoniques devraient à nouveau faire l’objet d’un débat.
L’entourage de la défense reproche en effet au tribunal de district d’avoir à peine, voire pas du tout, pris en compte les éléments à décharge recueillis lors des écoutes téléphoniques.