Pendant que le monde du football a les yeux rivés sur le Qatar, celui du tennis n'est pas totalement en pause. La Diriyah Tennis Cup bat son plein, à six heures de route de Doha. Et Stan Wawrinka fait mieux que de participer, puisqu'il a d'abord battu l'Italien Matteo Berrettini, 5-10, 10-4, 10-6 et défiait Andrey Rublev ce jeudi après-midi en quarts de finale: le vétéran suisse s'est imposé 6-7 6-2 10-6 face au Russe.
Un sacré tableau pour un tournoi qui n'offre aucun point ATP. La compétition, étalée sur trois jours, profite de la présence de pas moins de cinq joueurs du Top 10 mondial. Retombé à la 149e place du classement ATP, le Vaudois Stan Wawrinka est de la partie, comme en 2019. Le Bernois Dominic Stricker (ATP 118), lui, est invité pour la première fois.
Alors que la saison tennistique est déjà un long marathon, pourquoi douze joueurs triés sur le volet acceptent-ils de jouer les prolongations entre le Masters et Noël, plutôt que de récupérer en vue de l'année suivante? Dans l'entourage de Dominic Stricker, on assure que cela constitue une première préparation idéale en vue de l'Open d'Australie, en janvier prochain. En plus des conditions météorologiques optimales, les matches se déroulent sur la même surface et avec les mêmes balles qu'à Melbourne.
Un million de dollars au vainqueur!
Mais il y a peut-être une autre explication. La simple participation du Bernois en Arabie saoudite enrichit son compte en banque de 100'000 dollars, soit un cinquième du prize money total remporté par Dominic Stricker jusqu'ici! «Une carrière de tennis est limitée dans le temps et rares sont les joueurs qui peuvent très bien en vivre, explique Christian Lang, expert en marketing sportif. C'est certain qu'il y a un arrière-goût désagréable, mais je comprends qu'il profite de cette opportunité unique.»
Alors qu'il fallait être finaliste du récent US Open, dernière levée du Grand Chelem, pour atteindre un prize money supérieur à un million (1,3) de dollars américains, le vainqueur de cette exhibition saoudienne recevra cette même somme à six zéros pour... quatre matches remportés. Le finaliste recevra 500'000 dollars et 250'000 dollars récompenseront les demi-finalistes. En battant Rublev ce jeudi après-midi, Stan Wawrinka s'est ainsi assuré un quart de million de dollars en deux matches!
L'arrière-goût évoqué par le spécialiste s'appelle donc du sportswashing: Wawrinka, Stricker et consorts seraient utilisés pour améliorer l'image d'un pays qui fait face, comme le Qatar, à de nombreux reproches. Dans la monarchie absolue saoudienne, les défenseurs des droits humains, les opposants politiques et les journalistes font face à une répression brutale, allant jusqu'à des assassinats ou à la peine de mort. Les droits des femmes se sont quelque peu améliorés ces dernières années, mais restent très limités.
«Je n'ai rien vu de négatif»
Cela suffit-il pour fermer les yeux sur les conditions en Arabie saoudite? Les stars du tennis l'assurent: leur expérience est bonne, sur place. «Les organisateurs veulent faire progresser le tennis, le diffuser auprès de la population et inciter les enfants à le pratiquer, assure Dominic Stricker. En ce qui concerne les droits humains, nous n'avons rien à dire de négatif sur ce que nous voyons. Toutes les personnes sont visiblement traitées normalement.»
Pour Christian Lang, ce n'est pas aussi simple. Il ne suffit pas de parler de sa propre expérience: il faut s'intéresser au pays, à sa société et à ses dysfonctionnements: «Bien sûr, on peut s'arrêter au volet sportif et argumenter que ce tournoi est la préparation parfaite. Mais ce serait mentir que d'affirmer que l'aspect financier n'est pas prioritaire. Au final, tout est une question des valeurs défendues par chacun.»