Voilà plus de dix jours que les Jeux olympiques ont commencé. Et pourtant, on ne s’y fait toujours pas. L’horaire des courses de ski, entre 3h15 et 6h45 du matin en Suisse, est un enfer pour les amoureux du sommeil. Mais quand on aime encore plus le sport, on essaie de ne pas y penser.
C’est donc à 1h45 que mon réveil a sonné, ce mercredi matin. Direction Orsières (merci le pied à terre dans mon Valais natal). Cette commune de près de 3200 habitants, l’une des plus grandes du pays en termes de surface, a vu naître Daniel Yule il y a presque 29 ans («Il n’est pas de Martigny!», martèle-t-on ici). Un chauvinisme renforcé par un panneau à l’entrée du village: «Bienvenue au pays de Daniel Yule». Me voici à bon port.
Ne reste qu’à trouver la laiterie du coin dans laquelle les supporters du héros local sont appelés à vibrer avec leur protégé. À ce moment-là, à quelque 8000 km de son district d’Entremont, le Valaisan se prépare, lui, à s’élancer à Pékin pour — déjà — ses troisièmes Jeux olympiques.
«Daniel aime le sérac d’ici»
Une trentaine de minutes avant la première manche, la laiterie reste pourtant calme, presque déserte. À l’intérieur… trois personnes! Orsières aurait-elle boudé son héros? Que nenni! Les gens arrivent à la dernière minute. L’affluence atteint 50 personnes avant que Daniel Yule ne dompte avec difficulté les piquets du premier parcours chinois.
Raphaëlle Berclaz n’en fait pas partie. Présidente et co-fondatrice du fan club Daniel Yule, celle qui a entraîné le Valaisan au sein du ski club Champex-Ferret observe très rarement les courses. «Je me cache», avoue-t-elle. Lorsque le dossard 15 s’élance en première manche, Raphaëlle Berclaz «prend l’air».
À l’intérieur, c’est sa sœur Sabine Darbellay qui continue tant bien que mal le service. «Ce n’est pas possible de se mettre dans des états pareils!», commente la gérante de ce commerce orsiérain en évoquant son niveau de stress. «C’est un peu le stamm non officiel de Daniel, précise Simon Tornay, le directeur de l’espace terroir de la laiterie. Il aime beaucoup le sérac d’ici.» Ce mercredi, le fan club a mis les moyens des ambitions olympiques de son héros: cafés, croissants et tartines aident les fans à veiller toute la nuit.
Raclette et match de cartes
De base, les supporters de Daniel Yule avaient prévu de se rencontrer seulement pour la deuxième manche. «Mais quand on a vu que les fan clubs de Luca (Aerni), Loïc (Meillard) ou Ramon (Zenhäusern) se réunissaient dès 3h, on ne voulait pas avoir l’air con», rigole Simon Tornay. Grâce à de nombreux jeunes du village, la laiterie a finalement ouvert aux aurores (ou dès le crépuscule, à vous de voir).
Peu après 3h30, le héros local est dans le portillon de départ. Les cafés font place aux bières sur certaines tables — même si les plus courageux ont commandé un ballon de blanc dès leur arrivée. La laiterie vibre, mais avec 1"14 de retard pour Daniel Yule, l’ambiance n’est pas encore à l’euphorie. Les espoirs se concentrent sur la deuxième manche.
Entre les deux courses, il faut bien s’occuper. Match de jass pour certains, raclette pour d’autres. J’ai testé pour vous et je suis en mesure de vous le recommander: au moins une fois dans votre vie, essayez l’assiette de fromage fondu (valaisan, de préférence) pour le petit-déjeuner.
Une maman fière
Mais l’entre-deux-manches est également l’occasion d’accueillir l’une des coqueluches de la nuit: Anita Yule. Malgré une côte fêlée, la maman de Daniel a tenu à être aux côtés du fan club lors de la deuxième manche. «Lors de la première, mon mari était en haut, mais il avait enclenché le volume», précise Anita. Comment cela? «Moi, je n’arrive pas à regarder avec les commentaires. Je suis donc descendue pour la deuxième.» Elle précise également n’avoir «pas eu besoin de réveil» cette nuit, à cause d’un sommeil très léger.
C’est sur le second parcours que la laiterie peut enfin lâcher les chevaux. Comme son protégé, qui réussit une manche très solide. Treizième à la mi-temps, Daniel Yule s’assied dans le trône du leader provisoire avec 62 centièmes d’avance. Les espoirs fous de médaille ressuscitent en même temps que l’attente commence.
«Et maintenant, une raclette»
Quelques minutes plus tard, le fan club doit déchanter: le Norvégien Sebastian Foss-Solevaag boute Daniel Yule hors du podium pour quelques satanés centièmes. Pas de médaille pour le Valaisan. Raphaëlle se tient la tête entre les mains. «On est passé par tous les états d’âme, souffle-t-elle. Il n’y a pas de déception car c’est tellement serré. Il aurait fallu que toutes les planètes s’alignent.»
Pas d’amertume non plus chez Anita Yule, fière de sa progéniture. «C’est magnifique», s’exclame-t-elle. La mère du surdoué du Val Ferret n’est aucunement déçue de la 6e place de son fils, qui manque le podium pour 16 petits centièmes. «Il fait le deuxième meilleur temps de la seconde manche», précise sa maman.
Le jour se lève à mesure que la laiterie se vide. Ne restent que les plus fidèles, dont Raphaëlle Berclaz. «Et maintenant, une petite raclette», s’exclame la Valaisanne. Se réveiller, calmer le stress ou commencer la journée: le délice local s’adapte à toutes les circonstances.