D’emblée, Roland Collombin avertit: «Il n’y a pas de raison de polémiquer là-dessus.» Ça tombe bien, ce n’est pas le but. Nous voulons simplement discuter d’une anecdote plus que cocasse: comment un vice-champion olympique s’est-il retrouvé en prison, avant d’être «sauvé par Adolf Ogi»?
Je vous parle d’un temps que les moins de 50 ans ne peuvent pas connaître. En 1972 ont lieu les Jeux olympiques de Sapporo, au Japon. Le skieur est sélectionné et décroche la médaille d’argent lors de la descente. En bon Valaisan qu’il est, il décide de sortir et fêter cela. «Pousaz m’a entendu quand j’ai demandé à l’entraîneur, explique le vice-champion olympique. Il m’a dit: 'Je viens avec toi'. Ça m’a fait plaisir.» «Pousaz», c’est Jacques de son prénom, hockeyeur de l’équipe de Suisse.
«Ils nous faisaient des courbettes»
Les deux acolytes se rendent dans un bar nippon et boivent «3 bières». A partir de ce moment-là, leur version des faits diffère. Pour Roland Collombin, «on a peut-être fêté un peu trop bruyamment et la police nous a embarqués. Si on avait fait la même chose en Suisse, je pense qu’on n’aurait pas eu de problème.»
Jacques Pousaz est plus sceptique mais admet que l’événement est flou: «Il y a toujours une inconnue. Roland m’est passé à côté en courant et m’a dit 'Fous le camp'. Je ne sais pas ce qu’il a fait, peut-être cassé quelque chose. Aujourd’hui, il me dit qu’il ne s’en souvient pas mais je pense plutôt qu’il ne veut pas s’en rappeler.»
Toujours est-il que les deux athlètes olympiques sont embarqués par la police, direction la préfecture. Malgré les protestations véhémentes de Roland Collombin, les forces de l’ordre ne libèrent pas les deux hommes. «Je leur disais 'I am an Olympic champion', explique le skieur valaisan. Les flics nous faisaient des courbettes mais ils nous gardaient.»
«On s’est dit que ce n’était pas grave»
Au lieu de s’améliorer, les événements ont quelque peu dégénéré. En grande partie à cause de Jacques Pousaz, qui s’est peut-être cru sur une glace. «Ils insistaient et j’ai bousculé un de ces gendarmes, se souvient le hockeyeur. J’ai donc été enfermé dans une sorte de cellule. Roland, lui, n’a jamais vraiment été en prison.»
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Mais comment deux athlètes olympiques s’occupent-ils dans une geôle nippone? «On pouvait dialoguer car il y avait une petite lucarne qui nous séparait. Au moins ça», souffle Roland Collombin. «On s’est dit que ce n’était pas grave», confirme son compère.
«Mais il y a eu un moment où on ne rigolait pas trop», souligne le vice-champion olympique de descente. «C’était en effet impossible de communiquer avec eux. Ils ont vu nos passeports et ont appelé le village olympique», ajoute Jacques Pousaz.
Sauvé par un futur président de la Confédération
Là-bas, c’est Adolf Ogi, chef de la délégation suisse, qui est alerté. «J’étais au lit quand tout à coup, on me réveille pour me dire de me rendre à l’entrée du village. Au début, je pensais que quelqu’un me faisait une blague. J’ai compris que ce n’était pas le cas quand j’ai vu depuis ma chambre les trois voitures de police, feux allumés», se souvient le futur conseiller fédéral.
En compagnie des autorités, Adolf Ogi se rend au sous-sol de la préfecture, où il découvre Roland Collombin et Jacques Pousaz, «pas dans leur meilleur état» selon ses dires.
«Ce que je me suis directement dit, c’est qu’il fallait les sortir avant l’aube, se souvient Adolf Ogi. Je ne les ai pas engueulés, j’étais simplement concentré.» Heureusement pour lui, le consul suisse au Japon était à Sapporo lors de ces JO. «Je l’ai réveillé et je lui ai bien précisé que Collombin avait sa médaille et que Pousaz devait jouer le lendemain.»
Le futur président de la Confédération en profite pour réveiller également le médecin suisse et le sélectionneur de l’équipe de hockey. «Il fallait les meilleures pommades car ils avaient quelques habits déchirés et un peu de sang», précise-t-il.
Mais ce que l’ancien directeur technique de la Fédération suisse de ski veut surtout souligner, c’est la couverture médiatique de cet événement. «Rien n’est sorti, s’exclame-t-il. C’est un miracle.» Des rumeurs ont toutefois commencé à circuler les jours et les semaines qui ont suivi.
«J’ai donc réuni tous les journalistes, leur ai raconté l’histoire et leur ai dit que personne ne devait en parler, explique Adolf Ogi. Et je veux leur tirer mon coup de chapeau car rien n’est sorti.» Une euphorie s’était emparée de la Suisse après les Jeux de Sapporo et les représentants des médias n’ont pas voulu gâcher cela.
Le début d’une belle amitié
Et qu’en est-il des deux amis? Ont-ils eu des remontrances après cet épisode? «De mon côté, je n’ai pas eu de problème. J’avais demandé la permission à mon entraîneur, donc il le savait. Pas que j’allais me retrouver en prison, mais que j’allais faire la fête», rigole Roland Collombin au bout du fil. Jacques Pousaz non plus n’a pas été inquiété outre mesure. «J’avais un bleu sur l’épaule mais j’ai joué le match du lendemain à 8 heures du matin», raconte-t-il.
Cet épisode a eu deux répercussions dans la vie des hommes. «Ça nous a calmés pour la suite de ces Jeux», précise Roland Collombin. Mais, surtout, les deux compères restent proches. «Ça m’a lié une bonne amitié avec Roland, explique Jacques Pousaz. On se voit régulièrement.» Comme quoi, les meilleures relations se forment peut-être dans une prison japonaise lors de Jeux olympiques.