Cette publicité a inondé la Suisse romande. Stan Wawrinka, l'un de nos plus grands champions, y joue son argent dans un casino en ligne, Pasino.ch. Les femmes autour de lui exultent quand il gagne. Comme lors de ses plus prestigieuses victoires sur les courts, «Stanimal» crie, euphorique.
Des jeunes toujours plus addicts
Cette collaboration vous laisse peut-être indifférent, mais elle n'est pourtant pas anodine. «C'est déplacé. On a remarqué dans nos études que les jeunes sont davantage attirés par ces jeux-là que les plus âgés. Et Stan Wawrinka, avec sa stature, peut les inciter à jouer. Ces casinos en ligne sont potentiellement addictifs. Contrairement à un ticket de loterie acheté dans un kiosque ou à un casino réel, l'argent paraît virtuel. Il est encore plus facile de céder à la tentation de continuer à jouer pour reprendre l'argent que l'on a perdu», dénonce Markus Meury, porte-parole d'Addiction Suisse.
À cause des restrictions sanitaires liées au Covid-19 et la multiplication des casinos virtuels, les addictions aux jeux d'argent en ligne ont doublé. Les chiffres publiés par plusieurs études font froid dans le dos: près d'un jeune sur cinq (chez les 18 à 29 ans) est concerné par un comportement à risque.
Contacté, le triple vainqueur en Grand Chelem a choisi de ne pas donner suite à notre sollicitation. Nous souhaitions connaître les raisons de son partenariat avec Pasino.ch et savoir s'il est conscient de la dangerosité de ces jeux d'argent en ligne.
Aleksander Aamodt Kilde lié à Syngenta
Stan Wawrinka n'est évidemment pas le seul sportif à avoir tissé économiquement des liens d'images avec des entreprises controversées ou des produits légaux, mais à tendance addictive. Grande star du ski mondial, Aleksander Aamodt Kilde est un ambassadeur de la marque suisse de pesticides Syngenta, condamnée à plusieurs reprises par la justice pour ses pratiques.
Même les idoles du sport suisse ne sont pas à l'abri. Il y a trois ans, Roger Federer était interpellé par des activistes climatiques pour les investissements de son sponsor Credit Suisse dans les énergies fossiles.
Le médaillé mondial de ski alpin Loïc Meillard est quant à lui l'ambassadeur de la cave sédunoise Maison Gilliard. Même si le vin est très ancré dans notre culture romande, l'alcool fait des ravages au sein de la population. Selon l'OFSP, «250'000 à 300'000 personnes sont alcoolodépendantes en Suisse», alors qu'«une personne sur cinq consomme de l'alcool en quantités excessives».
Nous aurions aimé en parler avec Loïc Meillard. Contacté, son agent, Ralph Krieger, a tenu à s'exprimer à la place de l'athlète. «Ce partenariat n'est pas le choix d'une marque d'alcool, mais celui d'un produit du terroir de sa région. Loïc ne boit pas pendant la saison, mais apprécie accompagner un bon repas avec un bon verre de vin. Sa consommation, toujours modérée, est celle d'un épicurien. Cette promotion est discrète, elle n'est pas d'une ampleur nationale.» Il y a quelques jours, le skieur a pourtant partagé une photo promotionnelle à ses 80'000 abonnés sur Instagram.
Autre ambassadrice de la cave, elle aussi skieuse, la Valaisanne Camille Rast n'a pas donné suite à nos questions sur le sujet.
Une stratégie des marques pour «redorer leur image»
S'il est difficile de mesurer l'impact de ces collaborations publicitaires sur le public, les raisons stratégiques de ces entreprises sont claires pour Michel Desbordes, professeur de marketing du sport à l'université Paris-Saclay. «Les trois objectifs d'un sponsoring sont: augmenter sa notoriété, améliorer son image et ses valeurs, et booster les ventes. Des sociétés chinoises, comme Hisense, se sont révélées aux yeux du grand public en sponsorisant la Coupe du monde de football 2018.»
Les entreprises de la puissance asiatique ont même été les plus dépensières lors de l'édition qatarie en 2022. «Quand elles deviennent connues, elles peuvent ensuite avoir intérêt à améliorer leur image. Dans le cas de ce casino en ligne, en s'assimilant à un sportif professionnel. Ces firmes peuvent ainsi se donner un côté intégrateur, convivial, jeune ou sain», poursuit-il.
«Le sport évolue en même temps que la société»
Nadia Atienza, spécialiste en marketing sportif, complète: «Les marques vont la plupart du temps mettre en avant les valeurs de la personnalité avec laquelle elles collaborent plutôt que le produit qu'elles commercialisent. Dans le cas d'Aleksander Aarmodt Kilde, Syngenta promeut régulièrement ses performances en le félicitant publiquement après ses victoires», analyse-t-elle. Sur le site du géant des pesticides, le Norvégien parle aussi de son amour et de sa fascination pour les métiers de la terre, sans aborder le sujet des traitements phytosanitaires. «Syngenta souhaite ainsi donner une image positive», poursuit-elle.
Ces partenariats ne surprennent pas les deux experts qui ont en tête l'omniprésence des cigarettiers dans la Formule 1 des années 1980. En 1961, Camel sponsorisait aussi la légende du football Raymond Kopa avec le célèbre slogan «La vraie cigarette des vrais fumeurs». Depuis, des interdictions ont été prononcées. L'évolution des mœurs et les publications scientifiques expliquant les conséquences du tabagisme sur la santé ont contribué à la disparition presque totale de cette industrie dans la discipline automobile.
«Le sport évolue en même temps que la société», constate Nadia Atienza. Exemple plus récent, la superstar du football Cristiano Ronaldo avait retiré de la table une bouteille de Coca-Cola lors d'une conférence de presse de l'Euro 2021. Son geste et son commentaire «de l'eau, pas du Cola-Cola» a fait perdre des milliards en Bourse à la multinationale américaine, en plus d'envoyer un message de santé publique.
Devrions-nous arrêter d'idolâtrer les stars du sport?
Pour le professeur Michel Desbordes, la solution pour éviter ce genre de contrats doit provenir, comme par le passé, d'un durcissement de la législation. C'est déjà le cas en Grande-Bretagne. Les pubs pour des jeux d'argent ou de hasard dans lesquelles apparaissent des stars populaires auprès du jeune public sont interdites depuis octobre 2022. En revanche, les clubs ne s'en privent pas. Les sites de casinos et de paris sportifs sponsorisent quasiment toutes les formations de Premier League. Ils apparaissent même sur le devant des maillots de West Ham, Newcastle, Brentford, Fulham, Leeds, Everton et Southampton.
Dans la jungle de ces partenariats, le professeur de marketing du sport soutient qu'il ne faut pas oublier les gestes sociétaux et éthiques faits par d'autres sportifs. «Antoine Griezmann (ndlr: footballeur international français, champion du monde 2018) en est le parfait exemple. Il a lancé un signal fort lorsqu'il a décidé de rompre unilatéralement son contrat avec Huawei, qui était accusée de participer à la surveillance de la minorité ouïghoure en Chine. Il a renoncé à plusieurs millions d'euros, argue-t-il. Le sport garde toujours de très bonnes valeurs. À part le dopage et les violences, il n'y a que des items positifs, comme l'éducation, l'intégration, le bien-être, la santé et la camaraderie.»
Des valeurs que les marques achètent à prix d'or pour laver leur réputation.