Audrey Gogniat l'avoue: parler français au centre d'entraînement de Bienne est particulier pour elle. La Jurassienne, spécialiste du tir à la carabine sur 10 m, est d'habitude entourée de personnes qui parlent suisse allemand. Mais lors de la journée médias de Swiss Shooting, ils sont nombreux de ce côté de la Sarine à vouloir discuter avec la jeune tireuse de 21 ans.
Car dans quelques jours, Audrey Gogniat va participer aux Jeux olympiques de Paris. Forcément, l'excitation est grande mais le temps à disposition limité avant cette échéance. Mais durant cette journée médias, elle discute bien volontiers. D'ailleurs, même si lors de la brève conférence de presse d'introduction elle avait l'air timide, elle s'ouvre lorsque viennent les interviews individuelles. Et nous parle avec passion de son parcours.
Audrey Gogniat est tombée dans le tir alors qu'elle n'avait que 7 ans, grâce à son papa, Roland. «C'était vraiment une référence au niveau romand, détaille-t-elle, les yeux pleins de fierté. Quand j'étais plus petite, on le suivait tous les week-ends en compétition. L'avantage, c'est que je visitais toute la Suisse (rires).» À force de voir son père et de grandir entourée de carabines, la Jurassienne a voulu essayer à son tour.
«On ne m'a jamais dégoûtée du tir»
A-t-elle directement apprécié ce sport? «Non, pas du tout», rigole la membre de la Société de tir Franches-Montagnes. Bien que les premiers temps, elle trouvait ça «trop drôle de mettre des plombs au milieu d'une cible», elle s'en est lassée au début de son adolescence. «J'ai le souvenir que ma maman m'emmenait à l'entraînement et me disait: 'Tu regardes avec ton papa, c'est lui ton entraîneur.' Alors j'arrivais et je lui disais que je n'avais pas envie de tirer, et je repartais.» Maintenant, bien sûr, Audrey Gogniat prend cette anecdote avec le sourire. «Mais en y repensant, c'est ce qui m'a sauvée: on ne m'a jamais dégoûtée du tir.»
Sauf qu'en 2016, alors qu'elle a 14 ans et qu'elle pratique de l'équitation à côté, elle fait une mauvaise chute et se blesse au niveau du bassin. Verdict: elle ne peut plus pratiquer son sport principal durant deux mois. «Ça m'a paru être une éternité. C'est quand on perd quelque chose qu'on remarque ce que ça nous apporte», philosophe-t-elle. Et au-delà du plaisir de tirer, Audrey Gogniat se rend compte qu'elle a également perdu de la gestion de sa propre personne. Mais à l'époque, le niveau n'est pas encore là: «J'étais nulle, rigole-t-elle. Personne n'aurait misé cent sous sur moi.»
Le déclic en 2018
Deux ans plus tard, c'est le déclic: «Je décroche un titre de championne suisse junior et je me dis: 'Okay, là, il y a quelque chose à faire.'» Comment expliquer cette hausse de niveau impressionnante en quelque temps? «Je ne sais vraiment pas», répond-elle. Avec ces titres en poche et à 18 ans, Audrey Gogniat rejoint le cadre national. Et avec de l'ambition. «Lors d'une interview, je dis que j'ai envie de participer aux JO. On m'a rapidement fait comprendre après que je ne pouvais pas dire cela, qu'il y avait d'abord beaucoup d'étapes à franchir», explique la Jurassienne.
En 2021 et alors que cela fait à peine un an qu'Audrey Gogniat est à Bienne, sa coéquipière Nina Christen décroche deux médailles aux Jeux olympiques de Tokyo. «Mais à ce moment, dans ce groupe, je suis la toute petite. Je me sens un peu comme une intruse. Je suis timide et je voulais faire ma place, mais sans prendre celle de personne.» Heureusement pour elle, la tireuse jurassienne n'a pas besoin de le faire. Toutefois, le rêve olympique semble encore loin pour elle. «À cette époque, je me projette à 2028, 2032, voire 2036. Mais en tout cas pas 2024.»
Et l'année 2022 lui donne presque raison. Les résultats aux Championnats d'Europe en Pologne ne sont pas bons. «Je me qualifie de justesse pour la deuxième phase mais je termine bonne dernière, avec un résultat médiocre», se souvient-elle. Sauf qu'à ce moment, elle sort de son école de recrue, durant laquelle elle a tiré durant 18 semaines. «Donc maintenant, je me suis dit que je devais me bouger les fesses.» Avec son coach, elle met en place un plan d'entraînement strict, qui, «au début était vraiment très dur».
«Une fierté pour ma famille»
Mais les efforts paient et en août 2023, aux Mondiaux de Bakou, elle est à un seul tir de décrocher un ticket olympique: «J'arrive à rester dans ma bulle et je me dis juste que si j'arrive à faire ce coup, je pourrai tout faire dans la vie.» Elle y parvient et se qualifie donc pour les Jeux de Paris cet été. «J'y vais dans le but de donner le meilleur de moi-même et de ne rien lâcher jusqu'au bout», promet-elle.
Ancien tireur, son papa sera présent dans les tribunes sur le site de Châteauroux pour encourager sa protégée, en compagnie de la grande sœur d'Audrey. «Il sait par quoi je suis passée pour y arriver et forcément, c'est une fierté pour ma famille que j'aille aux Jeux», lâche-t-elle. Sans oublier un dernier mot – en français – pour sa maman, «qu'il ne faut pas oublier même si elle ne fait pas de tir». Avant de devoir à nouveau parler principalement allemand jusqu'aux JO de Paris.