Deux Maeder se côtoient dans les classements mondiaux de Formula Kite. Le premier vole pour Singapour. L’autre affiche un drapeau suisse en marge de son nom. C’est une drôle de coïncidence. On se dit que c’est surtout dommage que les rôles ne soient pas inversés tant le premier semble être un véritable phénomène. Double champion du monde et grand favori pour les Jeux de Marseille. Le second, lui, est encore beaucoup trop jeune. Karl Maeder n’a que 16 ans et il pourrait bien suivre les traces de Max son… frère!
La Suisse a essayé de le convaincre
Maximilian Maeder, le kiter masqué - il se protège toujours du soleil avec un bandana noir - aurait pu être l’atout majeur de l’équipe de Suisse s’il n’avait pas choisi une autre voie. A vrai dire, pas grand monde ne savait vraiment que le No1 mondial de cette discipline nouvellement admise aux Jeux avait filé entre les pattes de la fédération suisse de voile. «Je n’étais pas encore en fonction en tant que directeur du Swiss Sailing Team quand Max a choisi de naviguer pour Singapour, explique Christian Scherrer. Mon prédécesseur, Tom Reulein, a bien essayé de le convaincre, je crois. Mais il a choisi de se développer dans une structure privée et il a opté pour le pays de sa maman lorsqu’il a commencé à participer à des compétitions.»
Un choix du cœur? Pas seulement serait-on tenté de dire. «Il y a eu un article très intéressant dans un grand journal alémanique qui explique combien gagnent les médaillés aux Jeux, sourit Christian Scherrer. Allez y jeter un œil et vous comprendrez sans doute pourquoi il ne s’aligne pas pour la Suisse. Enfin, ce n’est peut-être qu’une partie de l’explication.» Ni une, ni deux. Quelques clics suffisent pour tomber sur ce tableau des médailles pas comme les autres.
Premier de ce classement des pays les plus généreux pour les athlètes: Hong Kong qui rémunère à hauteur de 721'000 euros tout athlète qui se parera d’or. Deuxième nation la plus généreuse? Singapour. L’état-ville de 6 millions d’habitants a une clé de répartition qui a de quoi faire réfléchir n’importe quel athlète binational. Le jackpot est de 689 000 euros pour celui qui s’offrira de l’or à Paris. Le gouvernement singapourien tente ainsi de motiver sa délégation qui n’a pas pour habitude de briller lors des grandes compétitions internationales. Le bilan de Singapour aux Jeux est de cinq breloques depuis sa première participation en 1948. Une seule fois, un athlète est parvenu à grimper sur la plus haute marche du podium. Mais quelle médaille puisque le nageur Joseph Schooling avait battu la légende Michael Phelps en finale du 100m papillon en 2016 à Rio.
Deuxième avant les finales de jeudi
Max Maeder pourrait donc être le prochain héros singapourien. Fidèle à son statut de prodige, il a parfaitement lancé sa ruée vers l’or sur le plan d’eau de Marseille. Il aborde les phases finales programmées ce jeudi en deuxième position. A dix-sept ans seulement, celui qui passe chaque hiver plusieurs mois en Suisse où sa famille possède une maison, fait preuve d’une maturité qui n’a d’égale que sa précocité sur une planche. Prudent comme un Sioux, il refuse avec insistance de se considérer comme intouchable. Il est pourtant champion du monde 2024 après l’avoir été cinq fois chez les juniors. Il a également été sacré à maintes reprises champion d’Europe et d’Asie.
Dans une interview accordée au site officiel des Jeux de Paris 2024, il réfute le statut de phénomène. «Mes adversaires disent que je suis devenu imbattable? Honnêtement, je suis très flatté d’entendre ça mais je ne me considère pas du tout comme ça. Chaque course est un combat pour moi. Je dois donner le meilleur pour gagner.»
Un père Suisse, une mère Indonésienne
Max, comme tout le monde l’appelle, déteste perdre depuis qu’il a troqué son snowboard contre une planche de kitesurf. Il avait six ans et ses parents venaient d’ouvrir un complexe de plongée sur l’île de Sulawesi en Indonésie. Son père, Valentin, et sa maman, Teng Hwee Keng, ont très vite fait le choix de scolariser leurs enfants à domicile. Brillant, Max parle trois langues couramment: le mandarin, l’allemand et l’anglais. Pour ne rien gâcher, il se débrouille bien en français.
A 10 ans, il essaie le kite avec un foil. A 11 ans, il commence la compétition, pour le plus grand malheur de la concurrence. «J’ai été très bien soutenu par Singapour depuis que j’ai rejoint l’équipe nationale et le Singapore Sports Institute, dit-il. C’est pour moi une immense fierté de représenter le pays de ma mère lors de ces Jeux de Marseille. Bien sûr, j'aimerais bien réussir et je serais déçu si ce n'était pas le cas. Mais au bout du compte, mes parents me diront que je suis toujours Max Maeder avant ou après les Jeux olympiques et ils m'aimeront toujours de la même manière.»
Le kiter masqué est aussi un maître zen. Du talent et un mental hors-norme. Un champion que la Suisse aurait bien voulu récupérer? «C’est un athlète fabuleux, reconnaît Christian Scherrer, le patron de Swiss Sailing Team. Mais nous avons aussi dans notre groupe des jeunes très talentueux qui pourront aller chercher des médailles dans le futur. Le jeune frère de Max, Karl, fait partie de notre groupe Kite. Mais il y a aussi et surtout Gian Andrea Stragiotti, qui vient de gagner la médaille d’argent aux championnats du monde junior et qui, à 16 ans, était un tout petit peu juste pour ces Jeux de Marseille. Pour nous, c’est aussi important de participer au développement des athlètes pour avoir du succès.»
Il peut encore changer de pays
D’une olympiade à l’autre, Max Maeder pourrait-il changer de pays? «D’un point de vue pratique, oui, explique Christian Scherrer. Il faut déjà que l’athlète souhaite ce changement. Il faut également l’accord des deux fédérations concernées. Et il y a ensuite bien des paramètres qui entrent en jeu.»
Deux Maeder aux Jeux pour la Suisse, c’est donc possible. Mais à Los Angeles comme à Marseille, il est probable que le kiter masqué vole vers l’or pour le pays de sa maman.