Lukas Christen, quand on écoute le CIO, les prochains Jeux olympiques sont toujours les meilleurs de tous les temps. Est-ce que cela s'applique aussi aux Jeux paralympiques, qui débuteront 50 jours plus tard à Paris?
Certainement. De nombreuses fédérations se sont très bien développées. Ce qui se passe en Allemagne ou en Angleterre, par exemple, est phénoménal. On y investit massivement dans l'enseignement de l'entraînement et dans les sciences du sport.
La Suisse risque-t-elle de perdre pied?
Oui, et ce pour deux raisons. La première est magnifique: la Suisse a un problème de relève.
Est-ce dû à un scouting insuffisant ou y a-t-il vraiment moins de personnes handicapées?
Le scouting est même très bon. Mais la Suva (ndlr: principal assureur-accident du pays) et le BPA (Bureau pour la prévention des accidents) font du bon travail. Nous avons moins de victimes d'accidents. De plus, nous n'avons pas de soldats qui reviennent blessés de la guerre, comme aux États-Unis par exemple. C'est bien sûr agréable, mais cela a les conséquences susmentionnées.
Vous avez mentionné une deuxième raison...
Je parle du matériel. Là où il y a un accès aux ressources, les performances s'améliorent grâce au matériel, notamment dans les standings (ndlr: les disciplines avec prothèses de jambes). Malheureusement, il arrive qu'un athlète pas entraîné soit en tête grâce à un bon matériel. C'est une situation que presque personne n'ose aborder.
La critique n'est-elle pas autorisée dans le sport pour handicapés?
Le fait est que nous sommes protégés comme des monuments historiques. En 30 ans, je n'ai pratiquement pas vu de critiques publiques. Mais dans le milieu, de plus en plus de voix s'élèvent pour dire que c'est une erreur: cela ne nous mène nulle part. Il faut aussi pouvoir aborder des sujets qui dérangent.
De quels sujets s'agit-il?
Plusieurs. L'un des problèmes est la représentation médiatique. Il y a un désaccord sur la manière dont le thème du handisport est perçu. Les athlètes paralympiques veulent être traités comme des athlètes de haut niveau et non comme un enjeu politique.
Quels sont les autres points chauds?
Se démarquer des Jeux olympiques spéciaux (ndlr: Jeux destinés aux personnes souffrant d'un handicap mental). Certains s'efforcent, au nom de l'inclusion, de hisser les Jeux olympiques spéciaux au niveau des Jeux paralympiques. Mais les athlètes paralympiques se considèrent comme un mouvement indépendant, qui doit perçu à travers la performance et la compétition, et non à travers l'idée d'inclusion.
Or, vous avez vous-même déclaré au début que ce sont parfois les prothèses, et non la condition physique, qui permettent d'atteindre des performances de haut niveau.
C'est pour ça qu'il faut aborder le sujet. Les sports techniques doivent être nivelés. C'est déjà le cas en Formule 1 par exemple. Nous devons également en arriver là dans le handisport. Il faudrait qu'un ou deux fabricants de prothèses fournissent du matériel standardisé.
Le sport tout entier n'a-t-il pas besoin d'une standardisation? Les disciplines, avec leurs nombreux degrés de gravité des handicaps, sont une jungle.
Mais beaucoup d'améliorations ont déjà été apportées. De mon temps, il y avait 13 finales au 100 mètres! Maintenant, certaines ont été regroupées. Le saut en longueur, par exemple, n'existe plus que sous forme de catégorie regroupée, avec un seul coefficient. Et le 200 mètres a été complètement supprimé.
Ainsi, une personne amputée d'un seul membre inférieur affronte un adversaire équipé de deux prothèses. Est-ce juste?
Une contre-question: chez les non-handicapés, est-il juste qu'un homme de 1,95 m affronte un homme de 1,79 m au saut en hauteur par exemple? La possibilité de compenser des désavantages supposés est l'essence même du sport. En dehors de cela, une personne amputée des deux membres inférieurs avec un bon matériel est même probablement avantagée. Mais la classification, c'est-à-dire la question de savoir qui peut concourir avec quel handicap dans quelle catégorie, suscite souvent le mécontentement des athlètes, car beaucoup de choses restent douteuses.
Dit comme ça, les meilleurs athlètes handicapés pourraient tout aussi bien concourir contre des personnes non handicapées. D'accord?
Stop! Ce serait un désastre pour la marque paralympique. C'est ce que j'ai écrit à Markus Rehm, qui a eu cette idée glorieuse (ndlr: le spécialiste allemand du saut en longueur voulait tenter de se qualifier pour les Jeux olympiques Tokyo). C'est un très mauvais signal si une figure des Jeux paralympiques trouve que ceux-ci ne lui suffisent pas. De plus, il est absolument clair qu'il n'atteindra pas ses objectifs uniquement grâce à ses capacités athlétiques, mais aussi grâce à son matériel de pointe. Mais pourquoi ne pas organiser régulièrement un départ hors compétition, quasi exclusif, plutôt qu'inclusif?
A quoi pensez-vous?
Le champion paralympique de saut en longueur serait une attraction supplémentaire pour le programme de la Weltklasse de Zürich ou pour le meeting de Lucerne. Mais là encore, nous abordons un sujet délicat.
C'est-à-dire?
Supposons par exemple qu'un sportif handicapé puisse participer à un meeting de la Diamond League dans le cadre d'une exhibition. Si les athlètes paralympiques veulent être pris au sérieux en tant que sportifs de haut niveau, cela doit passer en premier lieu par un bon entraînement et non par du simple matériel de pointe. Et à cet égard, il y a souvent une marge de progression considérable. Malheureusement, ces questions sont souvent occultées. Dans le handisport de haut niveau, il n'est pas assez question de performance. C'est pourquoi les grandes figures comme Marcel Hug devraient clairement faire l'objet d'une promotion commerciale plus élevée. Et c'est comme ça que la boucle peut être bouclée au niveau de la manière dont les médias présentent les Jeux paralympiques.
Ce qui frappe dans le sport paralympique, c'est l'écart souvent énorme au niveau des performances. Le haut niveau est-il trop restreint?
En fait, c'est aussi un énorme sujet de discussion dans le milieu. Je fais moi-même du snowboard assez bien. J'aurais pu envisager une qualification pour Cortina 2026. Mais que pense-t-on d'un sport extrême dans lequel des sexagénaires font partie de l'élite mondiale: les athlètes sont-ils extraordinairement bons, ou ce sport est-il juste trop peu représenté? La situation est différente en athlétisme, notamment dans les courses en fauteuil roulant. Dans ce domaine, l'élite est désormais très large et la pression de la concurrence est énorme.
Y a-t-il une solution pour avoir plus de concurrence en dehors des fauteuils roulants?
Théoriquement, oui. C'est un de mes rêves de voir se mettre en place des structures plus professionnelles pour le handisport surtout en Afrique et en Asie. Le potentiel est énorme. Mais je ne me fais pas d'illusions, car même dans des pays comme les États-Unis, les sportifs sont en grande partie livrés à eux-mêmes. C'est là que nous abordons le thème du dopage.
Pourquoi?
A l'époque où j'étais actif, certains Nord-Américains s'excusaient auprès de moi d'être dopés au départ. Sans une bonne formation et sans soutien de l'Etat, cela leur semblait être la seule chance d'avoir de meilleures perspectives pour la vie grâce à une médaille paralympique. Mais les contrôles antidopage sont aussi stricts que dans le sport ordinaire. Actuellement, je ne soupçonne personne. On ne se dope à grande échelle que lorsque cela devient intéressant sur le plan commercial. Nous sommes loin d'en être là.