New York City, dans les années 70, quelque part dans le Bronx, le quartier chaud de la ville. Les guerres de gangs, la pauvreté et la drogue dominent la vie dans le quartier le plus au nord. C'est précisément dans ce milieu que naît à cette époque la culture hip-hop. La jeunesse afro-américaine et latino-américaine développent sur cette musique une forme de danse qui va conquérir le monde en quelques années: le breaking.
Et effectivement, une cinquantaine d'années plus tard, cet art s'est répandu de la métropole américaine jusqu'à la paisible ville de Thoune, dans l'Oberland bernois. C'est là que la Thounoise Jessica Rieben dirige une école de danse qui se consacre à la culture hip-hop. Dans The Yard, des graffitis ornent les murs, d'imposantes enceintes se trouvent dans un coin à côté d'un pupitre de DJ et une plante d'intérieur sort d'une basket blanche sur la table du coin salon.
Une pionnière en suisse
Jazzy Jes, comme la danseuse se fait appeler dans le milieu, s'intègre également très bien dans cet environnement. Pantalon d'entraînement noir décontracté, casquette plate blanche, grandes boucles d'oreilles dorées. C'est la musique qui l'a amenée à danser. «Tout a commencé avec une formation classique de hip-hop. Puis, à l'adolescence, notre groupe de spectacle s'est disloqué. Ce sont surtout les filles qui ont arrêté de danser». Jazzy Jes est donc passée aux garçons, mais ce n'était pas un obstacle pour elle, bien au contraire.
Elle a accepté de nombreux bleus, de nombreuses heures de travail et a laissé ses collègues masculins du breaking derrière elle pour s'envoler direction les USA. Elle a été la première suissesse à intégrer l'un des plus anciens équipages de danse, le Rock Steady Crew de New York. Et maintenant, elle est sur le point de se qualifier pour les Jeux olympiques. «Pendant longtemps, je n'étais pas sûre de vouloir vraiment m'investir autant», raconte la B-girl. Car comme tant d'autres dans le milieu, elle voit d'un œil critique la transformation de ce bien culturel en sport de haut niveau.
«Cette culture incarne tellement de valeurs. La danse est née dans la rue, les clubs et les arrière-cours. Il ne faut pas oublier ces traditions et cette histoire.» Selon elle, c'est une question de respect que d'honorer cet aspect de la culture et la danseuse doute que cela soit effectivement fait lors des Jeux olympiques. Ce sont les mêmes craintes qui tourmentaient déjà les snowboarders ou les skateurs avant que leur sport ne passe de loisir de niche à sport mondial.
Plus de visibilité grâce aux Jeux olympiques
A cela s'ajoute l'opacité du système d'évaluation. Au breaking, il n'y a pas de chorégraphie répétée. Lors d'une «battle», les deux danseurs actifs doivent s'adapter à la musique du DJ. Un jury évalue non seulement les compétences techniques, mais aussi des éléments tels que l'innovation ou le caractère de la danse.
Et pourtant, la Thounoise y voit aussi des opportunités. Les Jeux olympiques pourraient ouvrir des portes pour pouvoir vivre de la danse. «Maintenant, l'attention vient de l'extérieur. Les sponsors commencent à s'intéresser au sport, ou à la danse, dépendant de comment on l'appelle à présent.» Dans divers pays comme l'Allemagne ou la Belgique, il existe déjà des B-Boys et des B-Girls avec des contrats d'athlètes, qui reçoivent un salaire et peuvent se concentrer entièrement sur la danse.
Il y a encore beaucoup à faire
La Suisse est encore loin de cette situation. Alors que d'autres pays peaufinent depuis deux ans déjà un cadre olympique, Jazzy Jes n'a été sollicitée qu'en octobre dernier pour faire partie de ce cadre. «Nous nous entraînons certes comme des sportifs professionnels, nous investissons énormément de temps, mais il nous manque malheureusement un peu de soutien financier dans notre pays pour faire partie du peloton de tête.» En revanche, il existe des nations qui se rendent à un tournoi deux semaines avant une compétition avec un coach mental et un physiothérapeute dans l'équipe, afin que les danseurs puissent s'acclimater au lieu de la compétition, raconte la Thounoise.
La Swiss Breaking Federation, qui organise des week-ends d'entraînement et paie les voyages lors des coupes du monde ou des championnats du monde, ne peut pas encore se permettre de tels investissements. «Ici, tout en est encore à ses balbutiements», explique Jazzy Jes. Les chances de voir Jessica Rieben se battre l'été prochain aux Jeux olympiques sont donc très faibles. Il n'y a que 16 places disponibles par genre. Et pourtant, c'est encore possible. Les prochaines compétitions de l'automne décideront si la délégation suisse peut continuer à rêver d'une première de breaking à Paris ou non.