Un sachet magique, mais destructeur
Le snus, un dopage autorisé dans le hockey sur glace?

Depuis quelques années, le snus a pris un monstre essor en hockey sur glace. Mais ce petit sachet dont raffolent les hockeyeurs doit-il être considéré comme du dopage? Blick a mené l'enquête.
Publié: 01.05.2023 à 08:28 heures
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Dernière mise à jour: 07.05.2023 à 08:29 heures
Le snus a fait son apparition il y a plusieurs années dans le monde du hockey sur glace.
Photo: TM
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Matthias DavetJournaliste Blick

Vous en avez peut-être vu passer en soirée. Ces boîtes rondes, qui s'ouvrent et se ferment plus vite que leur ombre et dont raffolent certains fêtards. À l'intérieur, une vingtaine de sachets de snus, la dernière substance à la mode.

Le (ou la) snus est, selon Wikipédia, une poudre de tabac humide consommée principalement en Suède, Norvège et Suisse. Pourquoi ces pays? Car ce sont les seuls en Europe qui en autorisent la vente.

Quatre fois plus de consommateurs

Au sein de nos frontières, c'est un phénomène assez récent. «En 2019, le Tribunal fédéral a statué que l’interdiction de vente de snus dans l’ordonnance sur les produits du tabac n’était pas applicable, nous explique Markus Meury, porte-parole d'Addiction Suisse. Avant cela, des privés pouvaient importer du snus pour leur propre consommation.» La fondation, dont le but est de prévenir les problèmes liés à la consommation de substances psychoactives, lutte contre ces petits sachets.

L'augmentation d'adhérents a donc fait un bond depuis quelques années. En 2016, seul 0,5% de la population consommait du snus. L'année dernière, 2% des sondés avouaient en prendre.

Se glisser des paquets de nicotine entre la gencive et la joue est devenu un véritable phénomène de mode depuis quelque temps. Son avantage: il est facilement applicable et très discret. Le snus fait donc fureur en soirée, dans les cours d'école, mais surtout dans les vestiaires – que ce soit ceux de football ou de hockey sur glace.

Un fléau dans le hockey sur glace

Simon* est hockeyeur professionnel en Suisse. Du snus, il en prend régulièrement depuis son adolescence. «J'en consomme entre les tiers, mais par habitude», nous avoue-t-il. Quels sont les effets sur son corps? «Absolument aucun, c'est comme une cigarette. C'est nul – ça ne sert à rien.» Les mots de Simon sont forts et consommer du snus est tout sauf une fierté pour le hockeyeur. D'ailleurs, il l'évite durant l'été, lorsqu'il ne joue pas.

«
«J'en consomme entre les tiers, mais par habitude»
Simon*, hockeyeur professionnel
»

De son côté, Jérémie Kamerzin a pris sa retraite de hockeyeur professionnel l'année passée. L'ancien joueur de Berne et de Fribourg Gottéron avoue n'avoir jamais consommé de snus durant sa carrière… ou presque. «J'ai essayé une fois et j'avais la tête qui tournait, décrit le Valaisan. Je n'ai jamais compris le concept.»

Mais là où les propos de Jérémie Kamerzin détonnent, c'est quand il parle de l'évolution. «J'ai l'impression qu'il y en avait un peu plus à l'époque que maintenant, se souvient celui qui était encore dans un vestiaire il y a douze mois. Après, il y a des équipes qui en consomment davantage que d'autres.»

Jérémie Kamerzin évoluait avec Fribourg Gottéron la saison dernière.
Photo: Michela Locatelli/freshfocus

Joueur aux plus de 1000 matches de National League, Michael Ngoy parle du snus comme d'un produit qui «fait partie du quotidien du hockeyeur». Trafic et autres marchandages ont régulièrement lieu dans les vestiaires. Lui-même a tenté l'expérience une fois, à l'âge de 18 ans. «C'est à vomir, résume l'ex-joueur de Lausanne, Fribourg et Ambri. Mais ceux qui en ont l'habitude en ont besoin. Ça fait partie de leur routine quotidienne et ça en devient une addiction.»

Et Michael Ngoy ne s'arrête pas là quand il décrit l'importance du snus dans le hockey sur glace. «C'est comme le gars qui prend sa banane entre deux tiers ou celui qui prend son Red Bull avant le match: ça en devient banal et tu ne poses pas de question.»

Durant sa carrière, Michael Ngoy a joué à Lausanne, Fribourg ou Ambri.
Photo: keystone-sda.ch

Le phénomène semble donc gangréner le hockey sur glace. Les statistiques, elles, n'existent pas. On remarque cependant qu'on est bien au-delà des 2% de la population suisse. Interrogés, nos trois joueurs nous donnent une large fourchette. Pour Jérémie Kamerzin, un hockeyeur sur cinq en consommerait. Simon et Michael Ngoy estime de leur côté que 40% des joueurs en prennent de manière régulière.

Largement répandu, le snus semble avoir différents effets sur certains joueurs. Faut-il alors le considérer comme du dopage? Questionnée, l'Agence mondiale antidopage (AMA) affirme qu'il y a trois critères pour qu'une substance soit considérée comme illégale: «Elle a le potentiel d’améliorer ou améliore effectivement la performance sportive; elle présente un risque avéré ou potentiel pour la santé du sportif; elle est contraire à l’esprit sportif», nous répond Andrew Maggio, responsable communication. Si deux de ces trois critères sont avérés, le produit est considéré comme dopant par l'AMA.

Un risque pour la santé

Alors, penchons-nous sur chacun de ces critères en compagnie de quelques experts. Et commencer par les risques sur la santé est le plus facile, et le plus évident. Oui, le snus peut engendrer des problèmes sur le corps d'une personne qui en consomme. Jean-Paul Humair, ancien médecin aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), continue d'exercer à mi-temps au Centre d'Information et de Prévention du Tabagisme (CIPRET) de Genève.

Pour ce spécialiste genevois, le principal risque est «de développer une dépendance à la nicotine». «En raison de la présence de nombreux composants toxiques du tabac, l'usage de snus à long terme augmente les risques de cancers (bouche, gorge, œsophage), de maladies cardio-vasculaires, de problèmes bucco-dentaires et durant la grossesse.»

Alors oui, le snus est un risque pour la santé des athlètes. Mais ce que la plupart des experts nous ont souligné, ce sont les principales différences avec une autre forme de nicotine: la cigarette. Camille Robert est co-secrétaire générale du Groupement Romand d’Études des Addictions (GREA). Pour elle, il ne faut pas diaboliser le snus: «C’est une façon de consommer de la nicotine qui est moins nocive pour la santé que de fumer des cigarettes.»

Pour appuyer son propos, Camille Robert prend l'exemple des pays scandinaves où un quart de la population consomme du snus, contre seulement 5% de fumeurs de cigarettes. Pour le GREA, le modèle des pays nordiques est «beaucoup plus intéressant d'un point de vue de santé publique».

En hockey sur glace, la fumée n'est visible qu'après un titre. Ici, Joel Vermin avec Berne en 2013.
Photo: Keystone

Et concernant le hockey sur glace, Camille Robert précise que fumer une cigarette, ce n'est pas bon pour les poumons. Des propos auxquels adhére Jean-Paul Humair: «Tous les risques pour la santé sont plus bas avec la consommation de snus qu’avec celle de la cigarette de tabac fumé.»

Une amélioration de la performance sportive?

Mais quand on parle de produits dopants, on pense forcément à une amélioration des performances pour les athlètes. Qu'en est-il de la nicotine?

En 2013, une équipe de chercheurs de l'Université de Vérone (ITA) a mené des expériences auprès de sportifs consommateurs de snus, sur demande de l'Agence mondiale antidopage. Les résultats ne montrent pas que la substance augmente les capacités physiques – au contraire. Les athlètes qui ont été privés de snus avant l'expérience ont couru plus longtemps que ceux qui ont pu s'enfiler un sachet.

D'ailleurs, notre hockeyeur Simon abonde dans le sens de cette étude, au vu de son expérience personnelle: «Mentalement, tu penses que ça peut te faire du bien. Tu te dis que ça va te permettre de mieux te concentrer alors que pas du tout. Finalement, quand tu le mets de côté, tu as plus d'énergie.»

Le snus peut être vendu en Suisse de manière légale depuis 2019.
Photo: Keystone

Le débat pourrait donc être clos. Sauf que non. Car la plupart de nos spécialistes soulignent les «bienfaits» cognitifs du snus. Pour Jean-Paul Humair, ancien médecin aux HUG, il y a deux principaux effets: «La stimulation de l’esprit à s’engager plus, être plus combatif voire plus agressif, patiner plus vite, gagner des duels. Mais aussi l'augmentation de la réactivité et de la concentration à très court terme, ce qui peut augmenter la performance technique pour tirer au but, marquer des goals, faire des passes ou lire le jeu.»

Le GREA et Addiction Suisse le rejoignent dans ses arguments. Même le porte-parole de Swiss Sport Integrity, Jonas Personeni, abonde dans leur sens, en nous citant une enquête de la Nationale Anti-Doping Agentur Austria: «La nicotine a un effet stimulant, augmente le pouls et la pression artérielle et accroît le taux d'adrénaline. En même temps, la substance détend en réduisant le stress. Outre l'augmentation de l'attention, les capacités cognitives sont améliorées.» Anciennement Antidoping Suisse, Swiss Sport Integrity veille à ce que le sport reste propre.

Est-il contraire à l'esprit sportif?

Le dernier critère pour savoir si un produit est dopant concerne l'esprit sportif. Mais qu'est-ce que cela signifie? Selon le Code mondial antidopage, «l’esprit sportif valorise la pensée, le corps et l’esprit. Il est l’essence de l’Olympisme et se traduit par des valeurs qui se dégagent du sport et de sa pratique». En exemple, l'AMA nous énumére, entre autres l’honnêteté, l’excellence dans la performance, l'éducation, le divertissement, le travail d’équipe, le courage, ou le respect de soi.

L'Agence mondiale antidopage ne considère pas le snus comme une substance dopante.
Photo: AFP

Le problème de la plupart de ces valeurs est qu'elles sont abstraites et qu'il est difficile de catégoriser le snus via ce critère. Pour certains, elle peut être un amusement ou leur permettre d'avoir plus de cran.

Du dopage? Oui… mais non

Sur la base de ces critères, il est difficile de déterminer si le snus est un produit dopant. La décision finale revient bien évidemment à l'Agence mondiale antidopage, comme son nom l'indique. Et la faîtière n'a pas catégorisé le snus ou la cigarette comme tel. Par contre, depuis 2012, la nicotine a été placée sur le programme de surveillance de l'AMA et y figure encore onze ans plus tard, sous la rubrique des stimulants.

Que ce soit Simon, Jérémie Kamerzin ou Michael Ngoy, les acteurs du hockey sur glace sont unanimes et rejoignent l'AMA: non, le snus ne doit pas être considéré comme un produit dopant. «À ce moment, il faudrait aussi prohiber les pastilles de caféine ou les Red Bull», s'exclame le dernier nommé.

Un raisonnement que rejoint le GREA et Camille Robert: «Aujourd’hui on n’interdit pas aux sportifs de fumer. Du moment que dans le sport on considère que c’est légal de s’allumer une cigarette, on ne devrait pas interdire le snus pour être cohérent. La substance stimulante est exactement la même. Il n’y a pas de raison qu’il y ait deux réglementations différentes pour le snus et la cigarette.»

«
«Si on interdit le snus, il faudrait aussi prohiber les pastilles de caféine ou les Red Bull»
Michael Ngoy, ancien hockeyeur professionnel
»

Pour Jérémie Kamerzin, interdire n'est pas la solution. «Je ne suis pas fan de l'assistanat, assène l'ancien Dragon. On doit responsabiliser l'individu, qui doit comprendre par lui-même que ce n'est pas bon de prendre du snus.» C'est ce qu'essaie d'ailleurs de faire Swiss Olympic, en lien avec l'Office fédéral de la santé publique, par l'intermédiaire de campagnes de prévention auprès des jeunes.

Toutes les voix ne sont cependant pas du même avis. Jean-Paul Humair et Addiction Suisse jugent que le snus est un produit dopant. «Comme c’est une substance qui peut augmenter la performance d’un sportif, c’est un produit dopant», déclare l'ancien médecin des HUG. Un avis que partage Addiction Suisse et son porte-parole Markus Meury. L'association va même plus loin et voit comme solution, pour limiter la consommation, une «inclusion de la nicotine dans les tests antidopages, là où ce n’est pas encore le cas».

Michael Ngoy a joué 11 saisons avec Fribourg Gottéron.
Photo: TOTO MARTI

Mais comme bien souvent dans la vie, tout n'est pas noir ou blanc. À l'heure actuelle, aucun pays ne considère la nicotine – encore moins le snus – comme un produit dopant. Et tant que l'Agence mondiale antidopage ne le verra pas de cet œil, les sachets de snus continueront de circuler dans les vestiaires de hockey sur glace.

*Prénom d'emprunt

National League 24/25
Équipe
J.
DB.
PT.
1
Lausanne HC
Lausanne HC
20
12
40
2
ZSC Lions
ZSC Lions
18
20
39
3
HC Davos
HC Davos
19
21
38
4
SC Berne
SC Berne
20
15
33
5
EHC Bienne
EHC Bienne
19
4
32
6
EV Zoug
EV Zoug
19
11
29
7
EHC Kloten
EHC Kloten
19
-2
28
8
Rapperswil-Jona Lakers
Rapperswil-Jona Lakers
19
-8
26
9
HC Ambri-Piotta
HC Ambri-Piotta
18
-10
24
10
HC Lugano
HC Lugano
17
-13
22
11
HC Fribourg-Gottéron
HC Fribourg-Gottéron
19
-11
22
12
Genève-Servette HC
Genève-Servette HC
16
-2
21
13
SCL Tigers
SCL Tigers
17
-3
21
14
HC Ajoie
HC Ajoie
18
-34
12
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