Voyeboeuf croule sous la tension, laquelle s'extériorise par ces chants passionnés qui s'élèvent encore une fois en ce samedi soir jusque sous le toit boisé de cette patinoire pleine de charme et d'histoire, où l'on célèbre la sueur et le don de soi comme des valeurs cardinales, celles qui font d'hommes ordinaires des joueurs du HC Ajoie, des hommes qui portent à cet égard une responsabilité sociale.
Le HCA joue sa survie en National League cette semaine et l'anxiété se lit sur chaque visage, se devine dans chaque regard, mais, pendant que les Vouivres laissent leur coeur sur la glace à chaque action, les fans les poussent de la voix à l'assaut du but haut-valaisan, afin de défaire ce HC Viège accrocheur, qui à égalisé à quelques secondes de la fin du temps réglementaire pour arracher d'irrespirables prolongations dans cet Acte III. Les troisièmes en trois matches dans ce barrage de promotion-relégation!
Un pic d'adrénaline exceptionnel à la 86e
Dario Burgener a bien failli glacer Voyeboeuf et faire jubiler les 150 supporters venus du Haut-Valais ce samedi, mais son tir a fini sur le poteau de Damiano Ciaccio, et, alors que les jambes et les têtes commençaient à fatiguer, un homme a surgi pour libérer tout un peuple. Le nom du héros: Pierre-Edouard Bellemare, tout simplement le joueur le plus âgé sur la glace, mais aussi le plus lucide pour placer ce puck au bon endroit et inscrire le 3-2 à la 86e, au cours de la deuxième prolongation. Ajoie mène désormais 2-1 dans la série. A 40 ans, le Parisien s'est offert un pic d'adrénaline exceptionnel et une soirée qu'il n'oubliera pas de sitôt, même lui, le double champion de Suède et double finaliste de la Coupe Stanley.
«Tout le monde est fatigué et c'est le plus vieux qui marque? Merci pour la question déjà», se marre-t-il franchement, lorsque Blick le retrouve quelques minutes après la son tir libérateur, juste devant le vestiaire d'un HC Ajoie d'où ne s'échappe aucun cri de joie. Les héros récupèrent, soignent leurs corps meurtris, optimisent chaque détail pour la récupération, sachant que mardi soir déjà il faudra repartir au combat dans les terres hostiles du Haut-Valais. «Allez, plutôt que l'âge, on va mettre ce but sur le compte de l'expérience», sourit-il, lui qui était heureux d'avoir enfin pu trouver un angle de tir dans cette partie. «Je n'ai pas eu de shoot ce soir! Il était temps que j'en prenne un. C'est un beau but peut-être, mais c'est aussi une leçon pour moi: il faut que je tire beaucoup plus», assurait-il aussitôt, dans un épatant exercice d'auto-critique à chaud, lui dont chaque réponse respire l'intelligence et le recul d'un homme qui a beaucoup vécu, mais a encore énormément à offrir.
«Je vois tout le monde sauter derrière la cage...»
Alors, ce fameux tir de la 86e, qu'a-t-il ressenti en le voyant terminer au fond et la patinoire prendre feu? «Techniquement, c'était plus un shoot de répétition, parce que je ne voyais pas particulièrement la cage, mais je me suis dit que mon palet allait la voir. Je ne vois pas qu'il entre, mais je vois tout le monde sauter derrière la cage. Là, il y a eu un petit...» Il se reprend. «Pas un petit. Il y a eu une grande respiration.» Celle du soulagement de permettre à Ajoie de prendre l'avantage pour la première fois dans la série et d'entrevoir un sauvetage indispensable pour la bonne marche du club.
Cette fameuse «responsabilité sociale», celle de jouer pour une cause qui dépasse chaque joueur, Pierre-Edouard Bellemare la ressent-il sur la glace? Porte-t-il le poids du Jura tout entier sur ses épaules à chaque shift? Sa canne a-t-elle aidée par l'esprit de La Rauracienne au moment de trouver le chemin des filets lors de cette fameuse 86e minute? A l'instant d'enfiler son casque, pense-t-il à la perte potentielle d'emplois dans la région de Porrentruy au cas où Ajoie venait à être relégué?
Se concentrer sur l'instant présent, la clé
«Tu y penses plus quand ça ne va pas, quand tu ne joues pas de la bonne façon. Là, tu as envie que tout le monde comprenne dans le vestiaire que c'est notre vie là qu'on joue. La vie de ta famille, la vie de chaque joueur», répond-il, les yeux dans les yeux. Mais sur la glace, justement, au moment de prendre ce tir glorieux, ces pensées lui traversent-elles l'esprit? «Sur le moment, tu dois l'évacuer et te concentrer sur l'instant présent. Je vais vous expliquer exactement comment je réfléchis», enchaîne-t-il, en offrant une plongée dans son cerveau et la psychologie particulière d'un joueur de très haut niveau.
«Ma façon de donner le meilleur de moi-même, c'est de me dire 'Ok, je viens de faire un shift de merde, il faut que je sois meilleur au prochain', ou 'Je viens de perdre mon engagement, il faut que je gagne le suivant', ou encore 'J'ai pris une mauvaise décision en power-play, ok, j'ai le temps de respirer pendant trente secondes et après c'est reparti'», propose-t-il, dans une introspection fascinante.
«J'essaie donc de ne pas trop réfléchir aux conséquences de chaque action, mais plutôt de la jouer à fond, en me concentrant à fond sur l'influence que je peux avoir. Mais après, quand tu rentres dans le vestiaire, si ça ne va pas, là tu as envie de montrer à tout le monde que ça te tient à coeur, que ça te prend les tripes. Tu veux que tout le monde partage ta passion.» Ressent-il une pression particulière du fait d'être un cadre du vestiaire? «Oui. C'est normal. Il y a de la pression sur les joueurs qui jouent beaucoup, mais tu dois transmettre cette énergie, pour que tout le monde sente et voie les choses comme toi.»
Lui qui a joué, gagné et perdu tellement de série au cours de sa fantastique carrière en NHL, sait-il où se fait la différence quand tout est ainsi serré, que les trois premiers matches vont jusqu'à la prolongation? A-t-il percé ce secret immatériel et éternel?
«La réponse facile, c'est un bon shoot au bon moment, une erreur de la part de l'autre équipe au bon moment... Mais c'est la meilleure réponse, en fait. L'exemple concret, c'est justement ce but du 3-2. Pendant toute la soirée, leurs joueurs ont couvert cette passe que Cédric m'a faite», détaille-t-il, en référence à l'assist de Cédric Aeschbach lors de cette fameuse 86e minute. «Cette passe ne pouvait donc pas arriver avant dans la partie. Mais là, le joueur adverse, au lieu de venir me presser, il est reparti dans le milieu, ce qui m'a donné la bonne position. Est-ce qu'il aurait fait cette erreur-là en début de match? Peut-être pas, mais là, avec la fatigue, la deuxième prolongation, il l'a faite.» Les fameux détails qui font la différence expliqués de manière simple par un véritable cerveau du jeu, Pierre-Edouard Bellemare, l'homme capable de rendre facile ce sport complexe qu'est le hockey sur glace.
Une série très serrée contre les Los Angeles Kings en 2018
A-t-il d'ailleurs déjà vécu une série aussi serrée? La réponse fuse: il cite spontanément l'année 2018, celle où Las Vegas a atteint la finale de la Coupe Stanley. «Au premier tour, on avait éliminé Los Angeles 4-0, mais en gagnant chaque rencontre d'un but. C'était un peu similaire», se souvient-il. A l'époque, l'ange-gardien des Golden Knights se nommait Marc-André Fleury.
Cette expérience, d'ailleurs, séduit ses coéquipiers, à l'image d'Anttoni Honka. L'ange blond de Jyväskylä a lui inscrit le 1-1, pas moins important en début de match alors que Viège avait ouvert la marque, et est impressionné par l'éthique de travail de son aîné. «Son professionnalisme est inspirant. Chaque jour, quand vous venez à la patinoire, vous voyez comme il prend soin de son physique. Il a joué tellement de matches dans le monde entier, qu'il sait ce qu'il faut faire, quand il faut le faire. Il sait de quoi il parle. Quand il prend la parole dans le vestiaire, c'est toujours juste, précis. C'est un atout énorme pour nous. Et ce n'est pas une coïncidence que ce soit lui qui marque en prolongations», assure le cador venu du nord.
Tiens, d'ailleurs, après un match comme celui-ci, le Français peut-il retrouver son lit et dormir aussitôt, afin de bien récupérer? «Oh, je pense que sur les coups de 4h, il y a une chance que je m'endorme, mais pas avant», répond-il immédiatement.
«D'abord, je vais regarder mes clips pour essayer de nettoyer tout ça», enchaîne-t-il, faisant référence aux actions négatives et aux points à améliorer immédiatement. «Mais après, trouver le sommeil, c'est dur après les matches. Surtout dans des séries longues comme ça, d'autant plus après un match qui a duré jusqu'à la deuxième prolongation. L'adrénaline va rester longtemps très haute.»
En allant dormir aux alentours de 4h, il devrait tout de même mieux récupérer que certains supporters du HCA, lesquels ont trouvé, grâce à lui, une excellente raison de fêter toute la nuit ce succès capital sur la route du maintien en National League.
Équipe | J. | DB. | PT. | ||
---|---|---|---|---|---|
1 | Lausanne HC | 52 | 25 | 97 | |
2 | ZSC Lions | 52 | 35 | 93 | |
3 | SC Berne | 52 | 26 | 91 | |
4 | EV Zoug | 52 | 37 | 88 | |
5 | HC Davos | 52 | 18 | 86 | |
6 | HC Fribourg-Gottéron | 52 | 4 | 83 | |
7 | EHC Kloten | 52 | -15 | 79 | |
8 | SCL Tigers | 52 | 7 | 75 | |
9 | Rapperswil-Jona Lakers | 52 | -13 | 73 | |
10 | HC Ambri-Piotta | 52 | -12 | 73 | |
11 | EHC Bienne | 52 | -3 | 71 | |
12 | Genève-Servette HC | 52 | -12 | 71 | |
13 | HC Lugano | 52 | -23 | 66 | |
14 | HC Ajoie | 52 | -74 | 46 |