Telle une exploratrice en terre inconnue, à 19h05 mardi soir, j'observe l'entrée de la patinoire des Vernets, à Genève. Ça commence à affluer. Je vais être honnête, d'entrée de jeu: c'est le deuxième match de hockey auquel j'assiste de ma vie. Et le premier que je verrai projeté sur un écran dans un endroit public: Bienne - Genève se déroule dans le Seeland. L'enjeu? Si Genève gagne, Genève est champion. Cet affrontement aurait pu être la fin de la saison, si les Seelandais ne s'étaient pas finalement imposés 4-2.
Mais vous l'aurez deviné: je ne suis pas là pour rendre compte des performances des Aigles du GSHC. Si on a dépêché une touriste du sport comme moi, c'est plutôt pour scruter l'ambiance. Pour prendre la température de ce rassemblement de plus de 5000 personnes, venues remplir l'enceinte du bout du lac, pour suivre un match retransmis en direct sur la chaîne Léman Bleu.
En tant que novice en sports de glace (et en sports tout court, en réalité), une question me taraude: qui sont ces gens, qui préfèrent s'entasser dans des gradins devant un écran un mardi soir, plutôt que simplement allumer leur télé? Qu'est-ce qui les meut autant (parfois jusqu'aux émeutes)?
Voici donc un petit safari genevois, avec l'affrontement sur la glace en filigrane, pour découvrir qui sont celles et ceux qui font vivre le hockey au bout du Léman. Spoiler: c'est une faune des plus éclectiques et surprenantes.
19h15: «Moi, j'habite en France, mais je viens ici avec mes amis»
19h15. Quarante-cinq minutes avant le début du match. Devant l'entrée principale de la patinoire, un DJ passe de l'électro. Sauf qu'il n'y a personne devant l'estrade... à part un jeune homme, mon premier spécimen. Le lycéen (ndlr: dont le nom a été retiré de l'article après sa demande), Genevois d'origine, mais qui réside au Salève, attend ses copains. Il me confie «Moi, j'habite en France, mais je viens ici avec mes amis: tous mes potes genevois sont des fans du GSHC.» Pourquoi venir le suivre ici? «C'est juste notre point de rendez-vous, on va aller regarder ça dans un bar.» Au temps pour moi.
Aux portes, en revanche, c'est noir de monde (mais ça circule). Une fois à l'intérieur de l'enceinte, je fonce rejoindre la file au bar. En regardant autour de moi, je constate qu'il y a de tout, dans le public: du papa type banlieue résidentielle au papa type bide à bière. De la bourgeoise à peine moins guindée que d'habitude, au motard déjà vénère. En passant par l'adolescent déjà bourré et la bobo citadine. Seul point commun: tous ont l'air fébriles, ivres de l'attente.
19h38: «Putain, y'a plus de place»
19h38. A quelques minutes du début, j'essaie de me faufiler dans les gradins. C'est pas gagné. Les places mises à disposition sont quasi toutes occupées. J'entends un petit groupe de retraités, debout entre les sièges, pester: «Putain, y'a plus de place.» Une personne assise réagit: «Moi, je suis là depuis 17h déjà!» Aux premiers de rétorquer: «Au pire, on va au Maxo». Renseignement pris - je vous avais dit que j'étais une novice -, il parlait du «McSo» l'ancien nom du Prime, le bar de la patinoire. Les fans ont visiblement de la peine à oublier Chris McSorley.
On gonfle l'Aigle emblématique sur une glace déserte. Elle ne sera foulée, ce soir, que par des cheerleaders et des engins qui crachent du feu. La voix qui retentit des haut-parleurs chauffe le public, qui ne tarde par à entonner le Cé qu'è lainô, l'hymne genevois.
Je n'ai toujours pas trouvé de place assise. En essayant d'atteindre ce qui, habituellement, est la tribune de presse, tout en haut, je constate que cette dernière est entièrement squattée par des adolescents. Je m'assieds sur les escaliers.
À 20h00, le coup d’envoi. Il y a plus de 5000 personnes dans les Vernets. Presqu’autant qu’en saison régulière pour un vrai match. «On est chauds on fait du bruit», le commentateur harangue la foule. Quelques minutes plus tard, le moment tant attendu: c'est un BUUUT pour Genève. Ca crie, ça chante, ça braille.
Je me dis, à ce moment, que ça ressemble quand même beaucoup à une manif, niveau ambiance. A part qu'on est assis et dépolitisés. Et il y a des hot dogs. Mais les clameurs sont si intenses et rauques, qu'on pourrait presque les confondre avec des cris révolutionnaires.
20h39: «Il y a pas mal de filles. Mais jamais avec les ultras»
20h39. C'est la première pause. Les gens se bousculent pour sortir, les files d'attentes aux stands de boissons se remplissent en un clin d'œil. Je fais la connaissance d'Élodie, collégienne de 19 ans, et de son amie. La Genevoise m'explique ce qu'elle fait ici: «Je vais voir des matches avec ma famille depuis que j'ai trois ans, donc c'est une vieille habitude. Mais, maintenant, je viens plus souvent avec mes potes.»
Il y a pas mal de femmes dans l'assemblée. Je me pose quand même la question: c'est toujours plutôt un milieu d'hommes, le hockey? Élodie rétorque: «Oui, quand même. Dans les gradins, il y a pas mal de filles. Mais moins avec les ultras, par exemple. Il y a encore des espaces majoritairement masculins dans cet univers.»
En parlant de masculinité, en quittant Élodie, je tombe nez-à-nez avec un groupe de Hells Angels — ils sont assez nombreux. J'aimerais bien leur parler, je leur explique que je suis journaliste et que je viens faire un reportage, alors que j'y connais (presque) rien, en hockey. Réponse polie mais catégorique: «On est pas les bonnes personnes pour ça. T'es pas au bon endroit, désolé». J'aurai essayé.
20h56: «Nous sommes sapeurs-pompiers, on avait une intervention à côté»
20h56. Je retrourne à l'intérieur alors que Bienne vient de marquer un but. L'arène paraît plus remplie qu'au début encore — j'aperçois même Madame la Maire de Genève filer à toute vitesse dans les gradins, avec sa famille. Avant de me retrouver face à la mascotte du GSHC, Calvin. C'est l'heure du selfie.
Faute de place assises, je décide de continuer mon safari tout en gardant un œil sur l'écran central. Dans l'aile gauche du stade, un groupe d'hommes en uniformes attire mon attention. Je m'approche.
«Nous sommes sapeurs-pompiers, on avait une intervention à côté. Cela vient de se terminer. Du coup on est passés en équipe!» Pas de noms, pas de photos sans l'autorisation du Commandant. C'est noté. L'un d'eux me confie tout de même: «Moi, j'ai atterri là un peu par hasard. J'ai suivi mes collègues, mais en vrai, moi non plus je n'y connais rien en hockey (rires)!»
Vers 21h10, c'est un but de Bienne: 2-1. Aouch. En attendant, je crois que j'ai enfin repéré les ultras: en bas à droite, tous debout, à huer en cœur la débâcle qui s'annonce. Quelques minutes plus tard, c'est de nouveau la pause.
21h22: «Je suis philosophe antique. Mon fils s'est pris de passion pour le hockey»
21h22. Je vais chercher une bière. Dans les couloirs des Vernets, un homme aux allures de dandy attire mon attention. Je l'ai dit: la foule est très hétéroclite — et c'est ce qui fait tout son charme. Mais ce Monsieur jure particulièrement avec l'ambiance générale. On dirait qu'il sort de l'Opéra.
Blaise Alexandre accepte de discuter avec moi. «Je suis philosophe antique, stoïciste, et je préfère les plaisirs simples, d'habitude — comme me balader, aller boire un verre. Mais mon fils Ambroise, qui a dix ans, s'est pris de passion pour le hockey. Je ne sais absolument pas d'où ni de qui ça lui vient, mais ça fait trois ans maintenant. Donc je suis la saison avec lui.»
Et d'un point de vue philosophique, qu'est-ce que ça lui évoque, tout cet attroupement? «C'est assez fascinant, parce que c'est très différent des endroits que je fréquente d'habitude. C'est festif. J'y vois une grande joie, mais aussi une tension. Une manière d'oublier son quotidien, de se réunir autour d'une bannière commune: et ça, l'être humain le fait depuis l'antiquité. Depuis la nuit des temps, même!»
22h11: «Bonne rentrée à la maison...»
21h40. Pour le dernier tiers du match, je me mets debout, vers ceux que je pense être les ultras — voir s'il y a de l'ambiance. Le Cé qu'è lainô est chanté à tue-tête: rien n'y fait, la soirée s'annonce plutôt mal pour le GSHC. A 22h02, c'est un but pour Bienne — nous sommes à 3-1. Sur l'écran, tout s'accélère. À peine quatre minutes plus tard, c'est Genève qui marque — 3-2. Lueur d'espoir pour les supporters.
Une lueur d'espoir qui se dissipe très vite, à 22h11, lorsque l'ultime but est marqué par Bienne. Résultat: 4-2. La grande finale de la National League, qui peut encore voir Genève devenir champion, sera donc ce jeudi aux Vernets. Ce soir-là, la glace ne restera pas immaculée comme ce mardi. La foule hue, alors que le haut-parleur s'exclame: «Bonne rentrée à la maison...», sans plus de formalités. Les gradins se vident au compte-goutte: qui traînasse en finissant son verre, qui se rue vers la sortie.
En serpentant dans la foule, je croise le regard dépité de deux femmes de ménage, qui semblent évaluer l'ampleur de la tâche qui les attend, immobilisées dans un coin, face aux gens qui passent. À ce moment, je pense à tous ces gobelets en plastique jetés furieusement par terre à la fin du match. Les deux femmes ne me parleront pas: «On ne peut pas, sans l'autorisation de la Ville.» Étrange.
Dehors, les gens fument des clopes et se dispersent gentiment. Suivant une traînée de foule, noire de maillots GSHC, je rentre à la gare Cornavin à pied, via la rue de l'école de Médecine — l'antre des bars estudiantins. Je vois certains maillots devant moi bifurquer à l'entrée d'un troquet, bien rempli pour un mardi soir. Ils dormiront plus saouls encore. Et moi moins bête.
Équipe | J. | DB. | PT. | ||
---|---|---|---|---|---|
1 | Lausanne HC | 20 | 12 | 40 | |
2 | ZSC Lions | 18 | 20 | 39 | |
3 | HC Davos | 19 | 21 | 38 | |
4 | SC Berne | 20 | 15 | 33 | |
5 | EHC Bienne | 19 | 4 | 32 | |
6 | EV Zoug | 19 | 11 | 29 | |
7 | EHC Kloten | 19 | -2 | 28 | |
8 | Rapperswil-Jona Lakers | 19 | -8 | 26 | |
9 | HC Ambri-Piotta | 18 | -10 | 24 | |
10 | HC Lugano | 17 | -13 | 22 | |
11 | HC Fribourg-Gottéron | 19 | -11 | 22 | |
12 | Genève-Servette HC | 16 | -2 | 21 | |
13 | SCL Tigers | 17 | -3 | 21 | |
14 | HC Ajoie | 18 | -34 | 12 |