Nous retrouvons René Fasel à la Villa Freigut, dans le quartier chic d'Enge à Zurich, au siège de l'IIHF. Le patron se prépare une tasse de thé dans la cuisine. «Vous voulez un café? Je peux vous faire un espresso, un café au lait, un cappuccino. Dites-moi ce que vous voulez.»
Vous allez bientôt quitter l'IIHF après y avoir passé 27 ans. C'est incroyable, non?
Oui, c'est l'un de mes derniers jours ici à Zurich. La semaine prochaine, le congrès de Saint-Pétersbourg va déjà commencer.
Nous pouvons comprendre que devenir président a quelque chose d'excitant. Être président, n'était-ce pas parfois épuisant ou même ennuyeux?
Ai-je l'air de m'ennuyer? Non, le sport a énormément changé et s'est tellement développé. Nous avons dû nous adapter, tout comme les joueurs doivent le faire s'ils ne veulent pas se retrouver sur le bord de la route. Ça te tient sans cesse éveillé. Les défis étaient nombreux, et s'il n'y en avait pas, je les aurais de toute façon cherchés.
On a l'impression que vous avez toujours préféré les tâches que l'on aurait pu qualifier d'impossibles.
C'est vrai. Nous avons réussi à resserrer nos liens avec la NHL. Les joueurs de ce championnat ont participé aux Jeux olympiques pour la première fois en 1998 à Nagano. Et l'équipe nationale féminine unie de la Corée du Nord et du Sud à Pyeongchang, c'était un grand moment pour moi! Nous avons beaucoup travail en amont pour parvenir à ce résultat. Il y a eu beaucoup de négociations avec des intermédiaires dans les deux pays.
Il y avait également quelques obstacles organisationnels à surmonter, de nombreux joueurs n'ayant pas de passeport.
Ce n'était pas le seul problème; ils ne se comprenaient pas non plus. Dans le Nord, ils n'utilisaient pas les termes anglais du hockey. Bully, offside, icing, penalty killing. Ils avaient aucune idée de ce que c'était. Nous devions créer une sorte de dictionnaire. C'était une histoire inoubliable.
C'est pourquoi vous avez été fâché lorsque les Suissesses ont giflé la Corée unie par une victoire retentissante de 8-0 lors du match d'ouverture.
Hou... On n'aime pas ça en Suisse. Mes fils m'ont dit: »Eh bien, papa, tu vas à nouveau devoir te cacher pendant trois jours». Ils avaient raison. Mais les gens qui me connaissent bien savent ce que je voulais dire. Les Suisses n'auraient tout simplement pas dû jubiler. autant après le sixième but. Et voilà que je m'énerve à nouveau...
On sent que vous avez toujours le feu. Aurez-vous du mal à vous détacher de tout ça? Un candidat à la présidence de l'IIHF a déjà annoncé qu'il vendrait le siège de Zurich.
Non, je peux vivre avec ça. Cette maison est l'une des raisons pour lesquelles nous sommes dans une position financière aussi solide. Nous l'avons acheté en 2002 et il constitue un actif solide dans notre comptabilité. Si mon successeur ne le voit pas de cette façon, alors malheureusement, c'est ainsi.
L'ambiance entre les candidats semble tendue. Après votre règne, les gens n'ont pas été habitués aux campagnes électorales. Récemment, le Conseil de l'IIHF a révoqué votre secrétaire général. L'accusation portait sur le traitement inégal de vos successeurs potentiels. Votre collègue le plus proche est donc parti...
Horst Lichtner est toujours secrétaire général, il est actuellement en congé maladie. Si nous avons très bien travaillé ensemble pendant de nombreuses années, c'est aussi parce que nous sommes différents. J'étais toujours le créatif chaotique, Horst Lichtner était ordonné et minutieux, il préparait toujours les dossiers pour moi, il avait toujours tous les documents à portée de main. C'est grâce à lui que l'on ne me voit jamais avec un bout de papier dans les mains.
Vous êtes un homme de verbe. Un diplomate qui peut parfois dépasser les limites: l'accolade avec le dictateur Loukachenko a-t-elle été la plus grosse erreur de votre carrière?
Oui, je dois le reconnaître. Tout cela partait d'une bonne intention, mais à la fin, tout a mal tourné.
Avez-vous été déçu?
Oui. J'étais probablement naïf. Je pensais que je pourrais faire du bien. Une fois de plus, j'ai dû me cacher pendant quelques jours. Le shitstorm qui a suivi, excusez le mot, (ndlr «tempête de merde») était extraordinairement intense.
Votre service de communication a-t-il déjà essayé de vous faire cesser de faire tout un plat de votre amour pour la Russie et de votre admiration pour Poutine?
J'aime ce pays et ses habitants, c'est comme ça. Toute tentative de me dissuader aurait été inutile. Le président Poutine a accompli beaucoup de choses en peu de temps. Gouverner un tel pays de manière stable à travers onze fuseaux horaires et avec une centaine de langues relève de l'exploit. Pour ça, oui, je l'admire.
Vous aurez votre cérémonie d'adieux la semaine prochaine en Russie, plus précisément à Saint-Pétersbourg. En tant que président sortant, vous ferez quitterez vos fonctions lors du congrès de l'IIHF. A quoi ressemblera le programme des festivités?
Nous irons à l'opéra ensemble le premier soir. Le célèbre directeur vedette Gergiev a conçu un spectacle spécialement pour nous. Il n'est pas possible d'organiser un spectacle de trois heures pour les athlètes, alors il a préparé un pot-pourri spécialement pour nous. Ensuite, il y a une soirée sportive, un match de légendes avec de nombreux grands noms, Arno Del Curto entraînera une équipe, Jari Kurri sera là, Valeri Kamenski, Esa Tikkanen, martin Gerber et bien d'autres. Et la troisième soirée est une soirée de gala. Et puis c'est...
Adios Amigos?
Exactement. Ensuite, il y aura la nouvelle élection.
Qui paie pour tout cela? L'argent que vous dépensez n'est pas censé aller au hockey sur glace? Ou est-ce que vous le payez vous-même?
Ces festivités ne sont pas aussi coûteuses que vous le pensez. Quand je demande à Gergiev combien coûte l'opéra, il répond: «rien». J'ai des sponsors qui paient pour ça.
Et qu'en sera-t-il après, lorsque vous ne serez plus président, resterez-vous en Russie? Vous avez dit un jour que vous aimeriez perfectionner votre russe après votre carrière.
(Rires) Je reviendrai certainement à la maison. Mais oui, je vais revenir et apprendre le russe correctement. J'ai encore beaucoup de projets là-bas...
A la tête de la KHL?
Non, je ne veux pas faire ça. Je n'ai plus envie de prendre un poste opérationnel. Mais c'est sûr qu'il y aura des contacts. Pour l'heure, j'ai des idées qui vont dans une autre direction... Mais (il s'éloigne) vous ne devez pas tout savoir aujourd'hui. Vous le saurez le moment venu.
Comment voyez-vous l'évolution de la Ligue nationale suisse? Avez-vous des suggestions?
Je ne veux pas donner de conseils. Mais si vous me demandez ce que je changerais? Le planning des matches. Trop de matches, un calendrier trop serré, pas assez de repos. Mais je comprends bien le but. Je suppose que c'est pour avoir plus de rencontres et faire plus d'argent. Je serais favorable au plafonnement des salaires, à la réduction du nombre d'équipes, à la réduction du nombre d'étrangers et à une plus grande concentration sur les jeunes talents. J'ai aussi très envie que Fribourg devienne enfin champion. Mais en tant que fan, je ne pourrais plus en rêver si cela se réalise...
Vous avez toujours passé plus de 200 jours par an sur la route. Devez-vous vous occuper pour ne pas ennuyer votre femme, Fabienne, à la maison?
(Rires) C'est possible. Non, tout se passe toujours très bien après quarante ans. Même pendant le confinement! Nous n'avons jamais eu de turbulences. C'est super, n'est-ce pas?
Absolument! En parlant de maison. Avez-vous déjà vidé la cave pour faire de la place à tous les souvenirs qui traînent dans votre bureau?
Non, je ne prends rien avec moi. Je ne suis pas un collectionneur. Je ne l'ai jamais été. Mes enfants jouaient au hockey sur la pelouse de la maison avec une crosse signée par Wayne Gretzky. Il y a beaucoup de choses que je vais donner. Quatre sacs sont déjà prêts pour un ami russe. Il a la plus grande collection de hockey du monde. Il appréciera ces choses.
René Fasel regarde autour de lui et s'excuse du désordre qui règne dans son bureau. Puis il montre une photo avec un sourire: deux présidents rient face à l'appareil, celui du hockey mondial et celui de la Russie. Puis Fasel ouvre une vitrine et en sort une petite statue d'un joueur de hockey. L'original grandeur nature se trouve sur un piédestal à l'extérieur dans le jardin. Il pourrait prendre celui-ci avec lui, il a toujours aimé ce bonhomme. «Regardez, la dynamique de ce joueur! Voilà le sport que j'aime.»
Cinq candidats sont en lice pour lui succéder: Franz Reindl (Allemagne), Luc Tardif (France), Petr Briza (République tchèque), Sergei Goncharov (Belarus) et Henrik Bach Nielsen (Danemark).