«Il doit être déchu de l'IIHF»
Un ancien collègue de René Fasel règle ses comptes

La proximité de René Fasel avec Vladimir Poutine continue de faire des vagues. Dans un média finlandais, un ancien collègue du Fribourgeois à la tête du hockey mondial le met violemment en cause, réclamant le retrait de son statut de président d'honneur de l'IIHF.
Publié: 11.03.2022 à 13:41 heures
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Dernière mise à jour: 11.03.2022 à 15:59 heures
René Fasel et Vladimir Poutine lors d'un match de gala à Sotchi, en mai 2021.
Photo: Keystone
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Adrien SchnarrenbergerJournaliste Blick

C'était il y a moins de deux mois à la patinoire de Fribourg. «Il y a du beau monde pour la retraite de René Fasel», écrivait Gottéron sur Instagram. Un conseiller fédéral en personne, Ueli Maurer, avait fait le déplacement de la BCF-Arena pour féliciter le Fribourgeois pour l'ensemble de sa carrière, dont 27 ans à la tête de la Fédération mondiale de hockey sur glace (IIHF).

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Ce soir-là, René Fasel est devenu le cinquième homme à entrer au «Hall of Fame» de Gottéron. Un cercle très fermé qui compte notamment les deux anciens génies russes des Dragons, Slava Bykov et Andreï Khomutov. Avec René Fasel, c'est en quelque sorte un troisième Russe, de coeur cette fois, qui accède à cet honneur.

L'homme n'a jamais caché son amour pour le plus vaste pays du monde. En septembre dernier, lorsque le Fribourgeois s'apprêtait à refermer le livre de sa belle histoire avec l'IIHF, Blick lui demandait si son service de communication ne lui avait pas conseillé par le passé de mettre son admiration pour Vladimir Poutine en sourdine. «Toute tentative de me dissuader aurait été inutile, rétorquait René Fasel. Le président Poutine a accompli beaucoup de choses en peu de temps. Gouverner un tel pays relève de l'exploit. Pour ça, oui, je l'admire.»

À la suite des événements récents en Ukraine, René Fasel n'avait pas voulu s'exprimer auprès de Blick. «Je ne pense pas vraiment être à la hauteur de commenter une situation aussi délicate et dramatique», a-t-il poliment répondu. Pourtant, quelques jours plus tard, il a brisé le silence dans «La Liberté» — pas vraiment pour condamner les actes de Vladimir Poutine, dont une photo trônait jusqu'à son départ sur le bureau de l'ex-président de l'IIHF, mais pour dénoncer une «mise au ban» du sport russe.

Le dentiste de formation a également entretenu des relations privilégiées avec Alexandr Loukachenko. Il y a un peu plus d'un an, l'accolade de René Fasel avec le président biélorusse avait fait débat, le pays d'Europe de l'Est étant en proie à l'époque à la répression sanglante d'une contestation populaire, en plus des restrictions sanitaires liées au Covid.

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En septembre 2019, l'équipe de hockey de Loukachenko, dont le propre fils Dmitry, participait par ailleurs à un tournoi international amical dans l'agglomération fribourgeoise. «La venue à Marly de hockeyeurs de Russie et de Biélorussie a de drôles d’incidences ces derniers jours. Un bal de véhicules noirs et même la présence d’un tout-terrain à l’immatriculation en cyrillique près des bords de la Gérine», rapportait alors «La Liberté», expliquant que Loukachenko était «un mot tabou» durant ce week-end «sous haute surveillance», notamment de la police fédérale.

«Il doit être déchu»

Si la réaction de René Fasel dans le quotidien fribourgeois a provoqué quelques courriers de lecteurs, une condamnation autrement plus significative a été publiée jeudi dans les médias finlandais. Son auteur? Szymon Szemberg, ancien collègue direct du Suisse à la Fédération internationale de hockey. «René Fasel devrait être privé de la présidence d'honneur à vie de l'IIHF s'il ne condamne pas Vladimir Poutine et la guerre qu'il a déclenchée, et s'il ne soutient pas les sanctions contre la Russie et la Biélorussie», avance le Suédois.

Les deux hommes sont très liés: Szymon Szemberg a été responsable de la communication de l'IIHF de 2001 à 2014, autant d'années où René Fasel dirigeait le hockey mondial. Il a par la suite dirigé la Champions Hockey League (CHL) depuis Zurich, où son bureau était juste à côté de celui du Fribourgeois, avant de devenir CEO de l'Alliance des clubs de hockey européens, poste qu'il occupe toujours.

Les mots de Szymon Szemberg dans le média finlandais «Iltalehti» sont très violents vis-à-vis de son ancien chef. «René a toujours aimé la Russie. Au départ, c'était à cause du hockey. Il était impressionné par les joueurs russes. Mais il a ensuite poussé trop loin sa sympathie envers ce pays, au point que les affaires russes ont obtenu un traitement spécial.»

Il appelait les Russes «mes amis»

Selon le Suédois, cet état de fait était connu de tous au sein de l'IIHF: René Fasel ne s'en cachait pas et appelait les Russes «mes amis», assure Szymon Szemberg. Ce processus aurait commencé dès 2006 environ avec la création de la KHL (concrétisée en 2008), la prestigieuse «ligue continentale de hockey» principalement composée de clubs russes et considérée comme le meilleur championnat au monde derrière la NHL nord-américaine.

«La KHL est une ligue conçue par Vladimir Poutine et où toutes les positions de leadership ont été occupées au fil des ans par le cercle fermé des amis du président russe», résume Szymon Szemberg. Le Suédois n'a que peu goûté les positions très pro-KHL de René Fasel: le Suisse était censé s'occuper de la CHL, il a toujours encensé la KHL et s'est montré ironique vis-à-vis de la compétition européenne, selon lui.

L'actuel CEO de l'Alliance des clubs étaie sa position avec un exemple: en 2010, la première édition de la Champions Hockey League voit Zurich affronter le Metallurg Magnitogorsk, un club, russe, en finale. Après un nul 2-2 dans la ville minière au nord de la frontière avec le Kazakhstan, Zurich s'impose 5-0 et s'assied sur le toit de l'Europe. De quoi réjouir le patron — suisse! — de l'IIHF? Pas vraiment. René Fasel aurait ouvertement encouragé les Russes et aurait même esquivé la fête d'après-match, selon Szymon Szemberg.

Sotchi, un combat personnel

René Fasel aurait également eu une participation active dans l'attribution des Jeux olympiques d'hiver 2014 à Sotchi. Le Fribourgeois avait été élu en 1995 comme premier représentant du hockey au Comité international olympique (CIO). Il a d'ailleurs présidé l'Association internationale des sports d'hiver au CIO entre 2002 et 2014. «René était très ouvert sur son soutien à Sotchi. Il a dit publiquement qu'il allait tout faire pour aider cette candidature», se souvient Szymon Szemberg.

Le Suédois pense que le Suisse était tout à fait conscient que la station balnéaire de Sotchi n'était pas la mieux indiquée pour organiser des Jeux olympiques d'hiver. «C'était une façon de prouver son allégeance à la Russie et à Poutine, car il savait que les JO étaient un projet très important pour le président», explique l'ancien collège de René Fasel à «Iltalehti».

Autre accusation du Suédois: le fait que les JO de Sotchi aient contribué à mettre au jour le plus grand programme de dopage dirigé par un gouvernement de tous les temps, avec des échantillons falsifiés, n'a pas chagriné l'ancien boss de l'IIHF. Et ce même si toute l'équipe russe de hockey féminin ait été impliqué dans un scandale. «René Fasel a fait appel auprès de la Cour d'appel internationale du sport pour empêcher que les athlètes russes soient condamnés à de longues peines. Il a aussi plaidé pour que la Russie ne perde pas le droit à son hymne national et à ses symboles nationaux.»

«Personne n'a eu le courage»

Dans le journal finlandais, Szymon Szemberg revient enfin sur les liens de René Fasel avec Alexandr Loukachenko. «Je me souviens lui avoir dit avant le Mondial 2014 en Biélorussie de ne pas interférer avec le président biélorusse. Même topo en 2021, alors que les Mondiaux doivent aussi avoir lieu à Minsk où la contestation de la rue grondait. «Je lui ai dit que si vraiment il voulait lui parler, il fallait le faire hors du champ des caméras et dans un face-à-face, explique le Suédois. Bien sûr, il n'en a rien eu à faire.»

Alors que le torchon semble brûler entre les deux figures du hockey sur glace, l'ancien collègue de René Fasel se souvient d'un homme «gentil et charmant». «Mais le pouvoir, le prestige et la volonté d'avoir un statut ont transformé un président pétri de bonnes intentions en une personne très dépendante des Russes, pleine de vanité», analyse Szymon Szemberg. Qui termine par un constat: «Lorsque vous restez 27 ans aux commandes du hockey mondial, vous devez avoir beaucoup de liens avec les clubs et les dirigeants. Ces quinze dernières années, René Fasel n'avait jamais le temps ni l'envie de rencontrer des formations européennes ou finlandaises. Pour Poutine et la KHL, il était toujours là.»

Cela aurait «beaucoup nui» à la réputation de René Fasel à l'IIHF, mais «personne n'a jamais eu le courage de le lui dire», selon le Suédois. Avec ce déballage médiatique, gageons que c'est désormais chose faite.

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