Avec son pas preste et sa barbe (toujours plus) grisonnante, Christian Dubé est facile à reconnaître lorsqu'il chemine vers le Café de l'Ange, en Basse-Ville de Fribourg, où nous avons rendez-vous. Mais c'est surtout son accoutrement qui détonne: chemise en jeans, manteau vert-olive, pantalon gris, chaussures de sport et une casquette fantaisiste. On lui fait remarquer que, comme à la bande, il prend quelques aises avec les codes vestimentaires habituels. La réponse fuse. «Je suis un type haut en couleurs!»
De son propre aveu, «Dubs» a hérité de ce goût pour les tenues extravagantes de sa mère Elorraine. Il sait très bien que dans son vestiaire et ailleurs, sa garde-robe chatoyante est facilement raillée. Le Québecois naturalisé suisse en rigole: il veut être lui-même, et il n'y a qu'ainsi qu'il se sent bien. Pas question de jouer un rôle, même lorsqu'il endosse sa casquette (pas forcément bariolée) de coach. Les joueurs sentent tout de suite s'il fait semblant, assure-t-il.
«Que diable sont-ils en train de faire?»
Le parcours de Christian Dubé sur les bords de la Sarine a connu un virage décisif il y a un peu plus de deux ans, lorsqu'il a dû licencier Mark French. Après neuf ans à Fribourg, dont cinq en tant que directeur sportif, le fils de Normand Dubé prend ses responsabilités. Estimant qu'il y a mieux à faire avec cette équipe, il se place lui-même à la bande avec le soutien de l'ancien coach de l'équipe nationale Sean Simpson. Un conseiller auprès duquel il a énormément appris. «Sean s'est parfois demandé: Mais que diable sont-ils en train de faire?», sourit l'homme fort de Gottéron.
Mais l'ancienne terreur des glaces helvétiques a appris. Très vite. Il s'est rapidement avéré que le coach Dubé avait un bon flair pour savoir comment traiter ses joueurs. Des «protégés» à qui il sait tantôt taper sur l'épaule pour les féliciter, tantôt les titiller pour qu'ils améliorent leurs prestations. Et ça marche: non seulement les Dragons trônent en tête de National League, mais plusieurs éléments fonctionnent à plein régime, comme rarement dans leur carrière. Samuel Walser, Killian Mottet et Dave Sutter s'éclatent sous le maillot de l'équipe de Suisse. Une blessure a empêché Mauro Jörg d'honorer sa convocation. Et l'explosif Chris DiDomenico n'a presque jamais dépassé les bornes à Fribourg, au contraire de ses précédents clubs.
Le fantasque Canado-Italien a beaucoup de points communs avec son coach canado-suisse. «Sur la glace, Christian Dubé était très ambitieux, parfois à la limite de l'arrogance. Mais en dehors, il était toujours très courtois», se rappelle le directeur des équipes nationales Lars Weibel, coéquipier du Québecois en 1999 lors de la première saison de celui-ci à Lugano. Dans le vestiaire, «Dubs» est toujours là pour faire le show et assurer l'ambiance. Dès qu'il est à la bande, en revanche, il est sous pression. Sans chewing-gum, il aurait déjà abîmé ses dents, assure-t-il.
Il développe le caractère des joueurs
La formule fribourgeoise, avec une double ration de Dubé (directeur sportif et entraîneur), fonctionne à merveille. Il a su gérer l'égo de certains de ses joueurs, qui ont eu la peau de quelques entraîneurs. Le caractère, Christian Dubé aime ça. Il n'est pas dupe, il sait que lors des négociations de transfert et de contrat, les joueurs disent ce que les directeurs sportifs veulent entendre. «Personne ne va te dire: je viens à Fribourg pour l'argent.»
Comme en 1999, lorsque Christian Dubé est arrivé en Suisse? À l'époque, il avait déclaré: «Je me suis rendu avec mon amie Julie quelques jours à Zurich et quelques jours à Lugano. Elle a préféré le Tessin.» Même 22 ans après, impossible de lui tirer les vers du nez. «Les deux offres étaient équivalentes.»
Sa décision avait fait couler beaucoup d'encre. L'ailier des New York Rangers (36 matches de NHL, 1 but et 1 assist) était particulièrement courtisé parce qu'il disposait d'une licence suisse, héritage de son parcours avec les juniors de Sierre et de Martigny lorsque son père Normand était engagé en Valais. Les clubs suisses savaient qu'ils avaient une bonne chance de l'engager, parce que Christian Dubé en avait marre d'être «parqué» en AHL en attendant une hypothétique place fixe en NHL avec les Rangers.
Le choix de Julie s'est avéré payant. Non seulement sur le plan sportif — Lugano s'est permis le luxe de damer le pion à Zurich en finale en 2001 — mais aussi sur le plan privé. Le couple est marié depuis 20 ans et a deux fils adolescents: Liam, 14 ans, et Sky, 11 ans, tous deux actifs avec les juniors de Gottéron.
Le défi ultime: être champion avec Gottéron
Le benjamin est né la même année que le dernier titre de champion remporté par Christian Dubé. C'était en 2010, sous les ordres du duo Larry Huras et Hans Kossmann avec Berne. Le No 96 de Gottéron a passé à deux matches de soulever le vase jaune en 2013, mais a fini par s'incliner contre son ancien club. Parviendra-t-il à offrir la récompense ultime au plus ancien club de ligue A (32 ans sans relégation)? Dubé sait qu'à Berne, le palmarès vierge de Gottéron fait l'objet de nombreuses railleries.
L'attente de ce premier trophée à mettre dans l'armoire est immense à Fribourg. Mais Christian Dubé se montre prudent: «Nous ne sommes pas encore prêts.» L'ancien joueur de Martigny, Lugano et Berne explique que le contigent n'est pas encore assez étoffé à Gottéron et assure à qui veut l'entendre que son club ne dispose que du 7e budget de la ligue.
Dans la paisible ville de Fribourg, où tout le monde se connaît et se salue dans la rue, la saison des Dragons commence à générer une douce euphorie et fait naître quelques attentes. Mais Christian Dubé est trop malin pour se laisser griser: il sait que les émotions sont toujours exacerbées sur les bords de la Sarine, dans les bons comme dans les mauvais moments. Et rien n'est encore gagné. «Les comptes sont faits pendant les play-off», rappelle-t-il sobrement. À Fribourg, on le sait mieux que nulle part ailleurs.