Après la promotion
Ajoie: un été pour devenir pro

Le HC Ajoie découvre un nouveau monde. Celui de l’élite. Terminé le bricolage intelligent et place désormais au professionnalisme. Dans la mesure du possible, bien sûr.
Publié: 10.06.2021 à 14:48 heures
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Le HC Ajoie a dominé Kloten en finale de Swiss League pour obtenir le droit de jouer dans l'élite.
Photo: freshfocus
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Grégory BeaudJournaliste Blick

Pour se rendre compte dans quel monde le HCA a mis les pieds, il suffit de jeter un oeil aux chiffres. En National League, le club de Berne annonce un budget oscillant entre 55 et 60 millions de francs. Pendant ce temps, les Jurassiens ont doublé leur précédent budget total pour arriver à... 7,1 millions de francs. Certes, la formation de la capitale est évidemment la plus riche de Suisse et ne constitue pas la norme dans la ligue. A titre de comparaison, Langnau, qui «boxe» dans la même catégorie qu'Ajoie annonce six millions de francs rien que pour la masse salariale de la première équipe. Même les Emmentalois sont dans un autre univers. Et pourtant, c'est bien dans cette nouvelle réalité que va évoluer le club de la Raiffeisen Arena à compter de septembre prochain.

Dans les bureaux du HC Ajoie, cette fameuse promotion a d'ailleurs longtemps été synonyme de nombreuses interrogations. Monter en National League pour y faire quoi? Et avec quels moyens? Finalement, la réponse est venue presque d’elle-même. «Lorsque j’ai vu les soutiens de nos sponsors et la volonté de toute une région, je me suis dit que nous n’avions tout simplement pas le droit de décevoir tous ces gens», se souvient Patrick Hauert, un mois après la victoire décisive. Le président du club jurassien a donc écouté ces nombreuses voix qui l’incitaient à accepter une éventuelle promotion en cas de victoire face à Kloten. «Et nous n’avions pas le droit de ne pas monter, par respect pour les joueurs», précise-t-il.

Pour Patrick Hauert, entrepreneur jurassien, la réponse collective a tout de même quelque chose d’étonnant: «J’ai toujours su que nous savions nous mobiliser, précise-t-il. Mais en cette période économiquement difficile, je ne m’attendais peut-être pas à un tel soutien financier. Pour les sponsors déjà présents en Swiss League, cela représente tout de même un autre tarif. Et puis il y a eu de nombreuses nouvelles demandes de partenariat.» Au niveau des fans également, l’engouement a été vif. «Nous avions 2000 abonnés la saison dernière, poursuit le président local. Rapidement, 500 demandes supplémentaires se sont ajoutées. Et ce n’est probablement pas terminé.»

Deux ans à disposition

Si la réponse locale est plus que satisfaisante, une question demeure: Ajoie a-t-il les moyens de devenir un club professionnel en trois mois? «Comme il n’y a pas de relégation lors de la saison 2021-2022, nous avons tout de même un peu plus de temps, sourit Patrick Hauert. Mais je vous rejoins sur un point. Nous devrons nous étoffer d’un point de vue organisationnel. De nombreuses infrastructures sont déjà en place, mais elles devront être adaptées.»

Dans le club et au sein de la ligue, personne ne se voile la face. Ce sera compliqué. Mais tout le monde semble confiant: Ajoie peut espérer faire sa place à l’échelon supérieur. Tour d’horizon.

Le directeur sportif, Vincent Léchenne (à g.), et le coach Gary Sheehan.

Vincent Léchenne (directeur sportif et entraîneur assistant) et Gary Sheehan (entraîneur).

«Oui, j’ai deux minutes pour vous.» Moins d’un mois après la promotion du HC Ajoie en National League, les émotions sont retombées du côté de Porrentruy. Vainqueurs du championnat de deuxième division, les Jurassiens ont accepté la promotion. En grimpant à l’étage supérieur, ils ont également accepté un changement de catégorie dans l’échelle «sociale». «Cela change tout», remarque Gary Sheehan, l’entraîneur qui a mené le HCA à tous les succès. Evidemment, le directeur sportif Vincent Léchenne devra engager des joueurs pour renforcer une équipe qui serait un peu trop «juste» pour évoluer telle quelle en première division. Mais la glace n’est, finalement, que la face visible de l’iceberg.

À la seconde où Mathias Joggi a inscrit le but de la promotion face à Kloten, une masse énorme de travail s’est accumulée sur le bureau des dirigeants jurassiens. «Depuis, on passe nos journées au téléphone, image Gary Sheehan, entre deux séances avec Vincent Léchenne, directeur sportif ajoulot. On est conscients que nous devons nous professionnaliser. C’est un vrai enjeu. Mais au final ce n’est pas moi qui décide. Je ne peux faire que des propositions aux dirigeants et ce sera à eux de voir ce qui est réaliste ou non.»

Vincent Léchenne, lui, trouve le temps de répondre à quelques questions. «Je ne dirais pas que je suis l’homme le plus occupé du hockey suisse, mais il y a beaucoup à faire», rigole-t-il. «Nos secrétaires ont eu une séance avec la ligue et je peux vous garantir que les exigences sont nombreuses, poursuit Vincent Léchenne. Nous allons essayer de toutes les remplir en étant conscients que ce sera parfois difficile.»

Deux casquettes

D’un point de vue structurel aussi, le HCA entre dans une nouvelle dimension. «Lorsque je regarde les autres clubs, cela n’a rien à voir, poursuit le dirigeant. Je vous donne un exemple concret: nous faisons les démarches pour engager un deuxième responsable du matériel et certaines équipes en ont quatre ou cinq à disposition.» Actuellement, les joueurs n’ont pas la possibilité de se faire masser quotidiennement. «C’est également quelque chose que nous voulons pouvoir offrir à nos joueurs, poursuit Vincent Léchenne. Ils sont conscients qu’ils ne pourront pas disposer de sauna et autres installations de ce genre comme ailleurs, mais nous voulons être capables de leur fournir un encadrement le plus professionnel possible.»

Pour passer de l’amateurisme à cette professionnalisation «light», le club de Porrentruy pourra compter sur un budget doublé. De 3,5 millions lors du dernier exercice, les Jurassiens auront 7,1 millions de francs à disposition pour l'entier du club. Une manne certes bien plus importante. Mais pas de quoi flamber. Bien au contraire. «Chaque franc sera dépensé intelligemment, poursuit Vincent Léchenne. On ne peut de toute façon pas se permettre de faire des folies.»

Le directeur sportif aura aussi la casquette d'entraîneur adjoint. Là où certains clubs ont une organigramme extrêmement garni, celui du HCA sera réduit à son strict minimum. «Nous cherchons encore un entraîneur des gardiens capable d'être notre analyste vidéo, précise Gary Sheehan. Nous devrons absolument travailler de manière efficace et pragmatique pour compenser le manque de moyens.» Le technicien avait été assistant du côté de Berne et voit donc la différence entre les deux mondes. «Au bout d'un moment, le troisième assistant ne sert pas à grand-chose durant le match sauf s'il faut couper les citrons ou faire des cafés, rigole-t-il. Nous verrons plus tard si un autre assistant devient nécessaire, mais nous avons décidé de continuer avec Vincent comme ce fut le cas durant les cinq dernières années.» Par souci d'économie forcément. Mais par confiance dans la structure en place aussi, évidemment.

Jordane Hauert, capitaine du HC Ajoie: «Je ne vais pas arrêter de travailler à côté du hockey»

Âgé de 34 ans, Jordane Hauert n’a connu que le HCA hormis deux infidélités passagères (1 match à Langnau et 10 à Bienne). A l’image de son club, le défenseur va donc devoir apprendre le professionnalisme «sur le tas». Mais ce n’est pas parce que les Jurassiens militent désormais dans l’élite qu’il va arrêter de travailler à côté du hockey. «Nous encourageons les joueurs qui le souhaitent à continuer leur activité avec un petit pourcentage, détaille Vincent Léchenne, directeur sportif ajoulot. Je pense qu’ils préfèrent cet équilibre au lieu de glander à la maison tous les après-midis».

Jordane Hauert, avez-vous déjà posé votre démission dans l’entreprise de votre père?

Non, je compte bien continuer de travailler, comme je l’ai toujours fait d’ailleurs. C’est un équilibre important pour moi. J’ai toujours procédé ainsi et ne compte pas changer. Mon père, patron de l’entreprise de boîtes de montre dans laquelle je travaille, est également président du HCA. C’est un peu plus facile pour bénéficier de petits arrangements lorsque le calendrier le demande.

On imagine que durant ces play-off, avec des matches tous les deux jours, on comptait un petit peu moins sur vous…

C’est déjà le cas depuis février en effet. Les jours de match, je ne venais plus au bureau alors que d’habitude, j’étais tout de même présent en début d’après-midi. Les veilles de match, j’arrêtais un petit peu plus tôt. C’était important de pouvoir trouver un peu de temps pour se reposer. Après la promotion, j’ai également eu droit à quelques jours de congé avant de reprendre normalement le travail, le 3 mai.

En National League, vous n’allez affronter que des joueurs pros. N’y a-t-il pas une tentation de le devenir aussi?

Non. Comme dit auparavant, c’est un équilibre qui m’a toujours convenu. Et, vous savez, je suis plus proche du terme de ma carrière que du début. C’est important de penser à la suite. Rares sont les joueurs qui peuvent vivre de ce qu’ils ont gagné sur la glace.

Mais le HCA ne doit-il pas se professionnaliser pour avoir une chance dans l’élite?

Oui. En tant que club ce sera en effet important que les choses se mettent petit à petit en place pour avoir une chance de se maintenir à moyen voire à long terme. A 34 ans, je ne suis juste pas le bon exemple (rires).

Le 28 avril dernier, le capitaine Jordane Hauert a soulevé la Coupe de champion de Swiss League.
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Âgé de 34 ans, Jordane Hauert n’a connu que le HCA hormis deux infidélités passagères (1 match à Langnau et 10 à Bienne). A l’image de son club, le défenseur va donc devoir apprendre le professionnalisme «sur le tas». Mais ce n’est pas parce que les Jurassiens militent désormais dans l’élite qu’il va arrêter de travailler à côté du hockey. «Nous encourageons les joueurs qui le souhaitent à continuer leur activité avec un petit pourcentage, détaille Vincent Léchenne, directeur sportif ajoulot. Je pense qu’ils préfèrent cet équilibre au lieu de glander à la maison tous les après-midis».

Jordane Hauert, avez-vous déjà posé votre démission dans l’entreprise de votre père?

Non, je compte bien continuer de travailler, comme je l’ai toujours fait d’ailleurs. C’est un équilibre important pour moi. J’ai toujours procédé ainsi et ne compte pas changer. Mon père, patron de l’entreprise de boîtes de montre dans laquelle je travaille, est également président du HCA. C’est un peu plus facile pour bénéficier de petits arrangements lorsque le calendrier le demande.

On imagine que durant ces play-off, avec des matches tous les deux jours, on comptait un petit peu moins sur vous…

C’est déjà le cas depuis février en effet. Les jours de match, je ne venais plus au bureau alors que d’habitude, j’étais tout de même présent en début d’après-midi. Les veilles de match, j’arrêtais un petit peu plus tôt. C’était important de pouvoir trouver un peu de temps pour se reposer. Après la promotion, j’ai également eu droit à quelques jours de congé avant de reprendre normalement le travail, le 3 mai.

En National League, vous n’allez affronter que des joueurs pros. N’y a-t-il pas une tentation de le devenir aussi?

Non. Comme dit auparavant, c’est un équilibre qui m’a toujours convenu. Et, vous savez, je suis plus proche du terme de ma carrière que du début. C’est important de penser à la suite. Rares sont les joueurs qui peuvent vivre de ce qu’ils ont gagné sur la glace.

Mais le HCA ne doit-il pas se professionnaliser pour avoir une chance dans l’élite?

Oui. En tant que club ce sera en effet important que les choses se mettent petit à petit en place pour avoir une chance de se maintenir à moyen voire à long terme. A 34 ans, je ne suis juste pas le bon exemple (rires).

Danis Vaucher, CEO de la Fédération suisse de hockey.

Denis Vaucher, directeur de la National League.

Du côté des instances dirigeantes, la promotion du HC Ajoie est accueillie à bras ouverts. «C’est une belle aventure, détaille Denis Vaucher, CEO de la National League. Je suis content pour cette région qui aime ce sport.» Pourtant, la Raiffaisen Arena ne répond pas tout à fait aux exigences de la National League avec ses 4721 places. «Il y a toujours des exceptions qui sont faites, précise le dirigeant du hockey suisse. Le minimum est fixé à 5000 personnes, mais les infrastructures sont à la hauteur grâce aux travaux de rénovation qui ont été réalisés. Le club a d’ailleurs fait de gros efforts pour mener à bien ce projet ambitieux.»

Si les coûts seront évidemment plus nombreux, le club jurassien bénéficiera également d’entrées financières supplémentaires. Ainsi les droits TV ajouteront 1,3 million de francs dans le porte-monnaie. «La télévision est le plus gros dossier en ce qui concerne l’infrastructure, poursuit Denis Vaucher. Pour répondre aux exigences des diffuseurs, il faudra effectuer quelques ajustements. Nous sommes en discussions avec le club.» Des caméras devront en outre être ajoutées au-dessus des buts afin de permettre le visionnage des images par les arbitres en cas de but litigieux. Une option qui n’existe pas en seconde division.

S’il est conscient des difficultés qui attendent les Jurassiens, Denis Vaucher se veut tout de même optimiste. «C’est un club dirigé par des entrepreneurs sérieux qui savent tenir un budget. Et du côté d’Ajoie, je pense que personne n’a oublié la promotion en LNA de 1992, la relégation en LNB 1993 et celle en 1re Ligue de 1995.» S’il s’attend à une euphorie sur la première saison en National League, Vaucher prévient: «D’expérience, nous savons que le deuxième championnat est toujours plus difficile car les attentes des gens augmentent. Mais cette promotion est également un test pour la ligue afin de voir si un club comme Ajoie arrive à se faire une place en National League. Je me réjouis de vivre cette expérience en leur compagnie.»


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