Yann Sommer, la grande interview
«À un moment, on s'est dit: on y croit, on va donner tout ce qu'on a»

La Suisse l'adore. Yann Sommer est la star incontournable de la Nati pendant l'Euro. Dans notre grande interview, il évoque le penalty qui changea l'histoire du football suisse, son rôle de père et son rapport à la célébrité.
Publié: 11.07.2021 à 11:28 heures
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Dernière mise à jour: 11.07.2021 à 16:06 heures
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Le grande interview de Yann Sommer: l'Euro, sa famille, le pénalty contre Mbappé.
Photo: Nils Grubba
Interview: Andreas Böni et Steffi Buchli, Alexandre Cudré (adaptation)

Yann Sommer se tient sur la terrasse de sa maison, à Düsseldorf. «On dirait qu’il va pleuvoir», dit-il. «En Suisse, c’est le déluge ces temps-ci, non?». C’est vrai que depuis que la Suisse a été éliminée de l’Euro, la pluie n’a cessé de tomber ou presque.

Yann, pendant la demi-finale de l’Euro entre l’Espagne et l’Italie, combien de fois avez-vous pensé: «Bon Dieu, on aurait pu être en train de jouer ce match»?
Yann Sommer: Pour être honnête, je n’ai pas beaucoup regardé de football ces derniers jours. J’ai vu la séance de tirs au but. Mais je ne porte pas le deuil des choses très longtemps. Oui, c’est dommage, il ne manquait pas grand-chose. Mais c’est comme ça dans le sport.

Qu’avez-vous fait depuis l’élimination de la Nati?
En fait, j’ai juste été un papa et un mari.

Ces deux semaines ont été incroyables pour vous. Commençons par le match contre l’Italie: est-ce que vous saviez que vous alliez devenir papa juste après?
Non, mais nous savions que cela pouvait arriver à tout moment. C’était une situation tendue pour moi et ma femme, nous étions prêts à cette éventualité durant tout l’Euro.

Puis votre fille est née et vous êtes resté à la maison pendant une courte période. Est-ce que cela a été difficile de repartir pour retrouver l’équipe de Suisse?
C’était difficile, surtout pour Mila, notre aînée. Papa vient et repart aussitôt. Mais je suis capable de faire facilement la transition entre père de famille et footballeur professionnel. C’est un nouveau chapitre pour toute la famille.

Contre l’Italie, la défaite a été lourde: 3-0. Une fois que votre fille est née, par contre, vous avez été imbattable ou presque contre la Turquie, la France et l’Espagne.
Lors du match contre l’Italie, personne n’était vraiment au niveau. Mais au moins, on peut dire que nous avions joué contre les finalistes.

Que s’est-il passé au sein de l’équipe entre les matches contre l’Italie et la Turquie?
Nous avons pris le temps de discuter, de se dire ce nous attendions les uns des autres. Nous avons parlé avec l’entraîneur, Vladimir Petkovic, puis juste entre joueurs. Cette réunion d’équipe était importante. On a abordé notre langage corporel, nos performances, tout ce qui n’allait pas. Nous avons évoqué nos objectifs, puis nous avons pu nous donner à fond contre la Turquie.

Résultat: victoire 3-1. Ensuite, il y a eu ce 8e de finale contre la France. Beaucoup pensaient que la Suisse n’avait aucune chance. Comment avez-vous abordé ce match?
Avec beaucoup de courage et de confiance en soi. Nous savions qu’ils étaient les champions du monde. Nous savions qu’il y aurait des moments difficiles. Durant la partie, nous avons parfois souffert comme jamais avec l’équipe de Suisse. D’abord, le penalty raté, alors que nous menions déjà 1-0, puis les buts de Benzema et Pogba qui ont retourné la situation à 3-1. À un moment donné, on était sur le terrain, on s’est tous regardés et on s’est dit: on y croit, on va donner tout ce qu’on a. Cette souffrance s’est transformée en moments magiques.

Lors de la séance de tirs au but contre Mbappé, vous avez pointé du doigt un côté, puis l’autre. Vous le faites souvent?
Ce n’était pas vraiment prévu. La plupart du temps, tu essaies de faire quelque chose sur le moment pour déstabiliser le joueur. L’avantage du gardien de but, c’est qu’il n’a pas besoin de bouger. Le joueur doit se déplacer de la ligne centrale jusqu’à la balle. Tous les regards, toutes les caméras sont braqués sur le tireur. Il doit aller frapper dans ce ballon et marquer. C’est un moment psychologique extrêmement dur pour le joueur. Tous le diront. En tant que gardien de but, on va essayer de l’influencer. Parfois ça marche, parfois moins.

L’ancien gardien de la Nati, Pascal Zuberbühler, a dit qu’on vit pour des moments comme celui-là.
L’objectif, c’est de se qualifier. En tant que gardien de but, on se concentre sur ses arrêts, on ne cherche pas à briller. On fait juste notre travail. Alors que la séance de tirs au but s’approchait, je me suis dit: «On a déjà fait tellement de choses. Il faut juste que l’aventure continue.» Je l’ai abordée avec cette attitude.

Vous étiez-vous préparé aux différents tireurs?
Un peu, nous avions travaillé avec l’entraîneur des gardiens Patrick Foletti. Mais la plupart des joueurs pour lesquels on s’était préparés, comme Griezmann ou Benzema, étaient déjà sortis. Les très grands joueurs, comme Mbappé, ne réussissent pas toujours leur penalty et leur style est très variable. Ils tirent à chaque fois différemment.

Avez-vous revu Mbappé?
Non. Les Français étaient déçus et sont partis rapidement.

Avez-vous regardé la séance de tirs au but après coup?
Non. J’ai vu le penalty ici et là, dans les médias, bien sûr. Mais je devais rapidement passer à autre chose dans ma tête et penser au match contre l’Espagne, qui avait lieu quatre jours plus tard.

Qu’avez-vous fait des gants que vous portiez pour ce penalty?
Je les ai donnés à des fans. Leur émotion était immense, je voulais simplement leur donner quelque chose en retour. Avec le recul, je me suis même dit que j’aurais pu leur donner mes shorts ou un maillot… Mais j’espère avoir pu rendre un fan heureux.

Aviez-vous peur que l’arbitre annule le penalty et le fasse retirer?
Non, il m’a dit avant le tir de Mbappé que je ne devais pas commencer à courir partout si je l’arrêtais. La VAR devait d’abord vérifier que j’étais bien sur la ligne. En tant que gardien de but, on ne sait jamais. J’ai donc attendu qu’il valide officiellement le but (pendant huit secondes, ndlr). Puis, j’ai sprinté. Cela aurait été vraiment idiot si j’avais commencé à courir et que j’avais dû revenir dans le but après (rires).

Pouvez-vous imaginer combien de personnes vous avez fait pleurer de joie?
Je ne le réalisais pas encore, à ce moment-là. On s’en rend compte à l’instant où on sent le stade vibrer. D’ailleurs, beaucoup de Roumains étaient de notre côté, c’était génial. Lorsque nous avons vu ce qui se passait dans les rues de Suisse, nous avons été très touchés.

Votre fille a-t-elle compris que son papa était un héros en Suisse?
Elle comprend, d’une certaine façon en tout cas. Bien sûr, elle n’est pas encore autorisée à regarder les matches tard le soir en direct, mais il existe des rediffusions pour cela.

Y a-t-il eu des moments où vous étiez au bord des larmes?
Oui, je suis une personne émotive. Ce tournoi, le voyage, la naissance de ma fille — c’était incroyable. Même les trois ou quatre premiers jours après le tournoi, on était encore un peu dans ce tunnel. Les jours où l’on réalise tout ça, où l’on s’assied et où l’on en profite consciemment, ne viennent que plus tard. Quand toutes les émotions ressurgissent.

Comment avez-vous vécu cet élan de popularité en Suisse?
Ça me rend très heureux. Je suis aussi content qu’après les trop nombreuses critiques à l’égard de cette équipe, nous ayons retrouvé un élan positif. Cela touche toute l’équipe de sentir le pays entier derrière elle et cela nous donne beaucoup de force.

Combien de messages avez-vous reçu après le match?
Beaucoup, beaucoup. J’ai été très heureux de les recevoir. Ceux de ma famille et de mes amis proches m’ont vraiment fait très plaisir.

Et après le match contre l’Espagne… comment vous sentiez-vous?
J’en retiens beaucoup de choses positives. Bien sûr, nous étions très déçus car la victoire était proche. Les Espagnols ont dominé, nous avons encaissé le 1-0 dans le même stade de Saint-Pétersbourg que lors de la Coupe du monde 2018 contre la Suède, sur une nouvelle déviations mais nous nous sommes relevés. Je suis très fier de la façon dont nous avons traversé ce tournoi.

Granit Xhaka vous a-t-il manqué dans ce quart de finale?
C’est un leader, bien sûr qu’il nous a manqué. D’autres joueurs ont montré qu’ils pouvaient également jouer un rôle important.

Avez-vous reproché à Xhaka ces deux cartons jaunes pour réclamation?
Non, pas du tout. Cela fait partie d’un tournoi comme celui-ci, il y a beaucoup de tension, de pression et d’émotions. Aucun reproche, il a tant donné à cette équipe lors de cet Euro.

Combien de fois avez-vous sorti votre guitare pendant le tournoi?
Nous étions sur la route si souvent que j’ai rarement eu l’occasion de sortir ma guitare. Nous avons pas mal joué à «Brändi Dog», un jeu de société que Christian Fassnacht avait apporté. Nous avons aussi joué au golf et simplement discuté entre nous.

Niveau business, vous êtes aussi plutôt doué. Vous avez des partenariats avec une chaîne de télévision payante, une marque de montres, un fabricant automobile et même un géant de la distribution pour des grillades. Comment choisissez-vous vos sponsors?
La chose la plus importante c’est ce que représente ces entreprises. Je veux travailler avec des partenaires sur le long terme, resté authentique et pouvoir m’identifier au produit. En outre, je dois me sentir à l’aise, avoir envie de m’amuser et d’apprendre quelque chose. Je préfère que ce soit familier et ludique. C’est aussi une façon pour moi d’élargir mes horizons en dehors du football.

À propos de barbecue… vous avez toujours fait très attention à votre alimentation. Comment cela a-t-il évolué au cours de votre carrière?
Dans notre famille, c’est capital de cuisiner, de bien manger et d’avoir du plaisir à table. Et puis on sent, en vieillissant, qu’il faut prendre soin de son corps. Pour moi, par exemple, le sommeil est très important, surtout pour le mental. Si je peux, je dors neuf heures par nuit, en plus d’une sieste d’une demi-heure pendant la journée. Nous nous couchons très tôt en famille. Et j’ai de la chance avec les enfants, ils font bien leurs nuits.

Pourquoi avez-vous arrêté votre blog de cuisine?
Je n’avais plus le temps. Après tout, si vous voulez être bon, c’est presque un travail à plein temps. J’ai appris à bien cuisiner et à prendre de belles photos. Mais c’est terminé, maintenant.

En club, vous jouez au Borussia Mönchengladbach depuis sept ans maintenant. Pensez-vous à un transfert vers un grand club cet été?
J’ai un contrat avec Gladbach jusqu’en 2023 et je me laisse surprendre par ce que l’avenir me réserve.

Il faudrait que quelque chose de grand se présente pour quitter le Borussia Mönchengladbach, n’est-ce pas?
Je suis dans un super club, oui, et ce depuis 2014. Je profite de tout ce qui se passe autour de moi en ce moment.

A quoi ressemblera votre vie après votre carrière? Resterez-vous en Allemagne ou retrouverez la Suisse avec votre famille?
Nous ne savons pas encore, ma femme et moi devons encore en discuter. Cela dépendra de l’évolution de ma carrière à partir de 2023.

Yann Sommer se penche en arrière. Il veut désormais profiter de la paix et du calme, des vacances. «J’ai toujours besoin de quelques jours après un tournoi comme celui-ci, le temps de tout digérer. Une élimination est toujours décevante, et puis on rentre à la maison. Mais je me sens bien et je suis heureux de pouvoir passer du temps avec ma femme et de profiter de ma vie de famille.»

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