Le football des talus: ses joueurs hors de forme, son niveau technique hasardeux, son ambiance champêtre, ses troisièmes mi-temps… et son dopage. Difficile d’imaginer que des pratiquants qui évoluent dans les plus petites ligues du pays se fassent pincer pour usage de produits interdits. C’est pourtant le cas. Le ballon rond amateur représente même un tiers des personnes suspendues à ce jour par Suisse Antidoping.
Deux footballeurs du dimanche sont venus allonger la liste début juillet. Ils sont bannis des terrains ces trois prochaines années pour la possession et l’usage, respectivement la tentative d’usage, d’un produit dopant. «Les suspensions sont effectives pour tous les sports et dans le monde entier», a précisé la fondation nationale. Mais comment expliquer que l’amélioration de la performance touche ce milieu qui est à des années-lumière du haut niveau? Blick a mené l’enquête.
Avec l'aide des douanes
Les identités des fautifs n’ont pas été mentionnées. «Nous ne diffusons normalement pas les noms de manière proactive lorsqu’il s’agit de sportifs amateurs, afin d’éviter des répercussions disproportionnées, sur leur vie professionnelle par exemple», nous explique Ernst König, directeur de Suisse Antidoping. D’après nos recherches, cette nouvelle affaire trouve un écho en Suisse romande. Dans l’un des cas, il s’agit d’un joueur évoluant dans un club du Nord vaudois. Ce défenseur faisait partie de sa deuxième équipe, qui milite en 5e ligue. Le plus bas niveau de football en Suisse.
Ce joueur amateur est tombé sans jamais avoir été testé positif à un produit dopant. Et pour cause, les contrôleurs antidopage ne font pas partie du paysage dans le foot des talus. «A quelques exceptions près, nos tests et notre travail d’enquête se concentrent sur le sport d’élite. C’est aussi le cas pour le football», confirme Ernst König.
Ces infractions ne sont donc pas révélées par les laboratoires mais par les services de douane et de police. En ce qui concerne notre arrière vaudois, c’est un paquet commandé en ligne qui a causé sa perte. Son adresse figurait sur une boîte de 100 tablettes de Dianabol, un stéroïde anabolisant. Dans l’autre cas révélé par Suisse Antidoping début juillet, c’est une perquisition policière au domicile du joueur amateur qui a permis de trouver trois ampoules contenant de la testostérone. Les saisies de produits dopants sont automatiquement signalées à Suisse Antidoping, dans le cadre de la Loi sur l’encouragement du sport (LESp).
La faute à la gonflette
Reste une question, pourquoi ces footballeurs du dimanche se dopent-ils? «Pas forcément pour augmenter leurs performances sur le terrain, précise Ernst König. Cela s’inscrit souvent dans une volonté de sculpter ses muscles, dans un «culte du corps».» La gonflette explique ce dopage étonnant. Le Dianabol retrouvé chez le Romand est par exemple très apprécié des personnes qui cherchent à prendre de la masse musculaire.
Le paraître occupe une place importante dans le football, dont les stars affichent à outrance leurs corps devant les caméras et sur les réseaux sociaux. Un phénomène qui est moins important dans d’autres sports comme l’aviron ou la course d’orientation, pour n’en citer que deux.
La surreprésentation des footeux dans la liste des personnes bannies s’explique aussi par une simple notion de probabilité. «Il y a tellement de pratiquants dans le pays, le football est un sport si populaire et universel, que c’est normal que les sportifs suspendus y soient plus nombreux», résume Ernst König.
Des tests rares dans le football
Le football est d’ailleurs loin d’être à la tête en matière de lutte antidopage dans le pays, même si on inclut le haut niveau. Selon le rapport d’activité 2020 de Suisse Antidoping, le ballon rond ne se classe qu’en 9e position des sports les plus testés. Avec 100 contrôles (principalement urinaire) l’année dernière, il représente moins de 5% de la totalité des examens effectués. Le foot fait nettement moins bien que d’autres disciplines plus souvent liées à des affaires de dopage. Le cyclisme (sur piste et sur route) cumule près de 300 tests, devançant l’athlétisme (249) et le ski de fond (155) sur le «podium».
Tous sports confondus, la pandémie a freiné la lutte antidopage et les contrôles effectués dans nos frontières. Une baisse de près de 15% du nombre annuel de tests menés par Suisse Antidoping a été observée entre 2019 et 2020.